Thor Love and Thunder est un peu la version cinématographique de ces soirées étudiantes qui s'écoulent entre plusieurs packs de bière et de la vodka à bon marché. Tant que la consommation reste raisonnable, on peut envisager de s'amuser et d'utiliser l'état d'ébriété pour accentuer le côté festif de l'instant. Mais si jamais chacun s'enfile deux litres d'alcool frelaté à 16 %, ça se termine la tête sous la table, dans la bassine à vomi, et l'expérience est beaucoup plus douloureuse et navrante. Taika Waititi se fiche désormais royalement de tout; il est convaincu d'être génial, postmoderne, capable de descendre toutes les icônes de leur piédestal pour les transformer en de vulgaires marionnettes pop, censées nous faire rire toutes les trente secondes, avec des gags qui sont pourtant assez souvent éculés ou grossiers. C'est ainsi qu'il nous présente ce quatrième volet de la saga de Thor, qui était pourtant née sous d'autres hospices, la tragédie shakespearienne de Kenneth Branagh notamment, et qui se retrouve une décennie plus tard à se vautrer dans la blague potache. Ici le dieu du tonnerre est clairement incomplet; il lui manque son engin, à entendre dans le sens de marteau, même si le prolongement phallique est de toute façon évident, et il entretient avec son substitut, la hache Stormbreaker, un rapport assez étrange qui va être l'occasion d'un running gag réellement poussif. Il lui manque aussi l'amour. Cela fait des années qu'il s'est séparé de Jane Foster, pour autant il ne l'a jamais vraiment oubliée. Jane, parlons-en. La célèbre scientifique est atteinte d'un cancer et elle se meurt lentement. Quelques minutes plus tard, nous la retrouvons à l'écran sous l'armure et le casque de Thor, c'est-à-dire de Mighty Thor, la version féminine du personnage. Et là, je ne plaisante pas, il n'y a aucun effort pour crédibiliser cette transformation radicale. De vagues réminiscence d'un contact passé avec le marteau, la vue d'un ouvrage sur les mythes scandinaves qui ravive des souvenirs, et hop, l'affaire est entendue. Même chose pour le jeu du quiproquo, la lente découverte de la véritable identité du nouveau Thor d'aspect féminin. Dès la première scène, les masques tombent, le fils d'Odin reconnaît Jane. Il n'en a pas l'air plus surpris que cela, c'est surtout le fait qu'elle manipule son ancienne arme fétiche qui le perturbe réellement. Vite évacuée la période d'apprentissage et les doutes inhérents à une nouvelle mission, en l'espace d'un claquement de doigts Jane Foster rivalise déjà avec n'importe quel dieu de n'importe quel Panthéon. Ça tombe bien, face aux deux Thor va se dresser Gorr (Christian Bale), le massacreur de dieux. Là aussi, par rapport à la version comics, le mot massacre est ce qui correspond le mieux pour expliciter cette adaptation. Toute la puissance dramatique, la majestuosité de l'ennemi qui menace toutes les créatures divines du cosmos, est ici réduite à un être assez pathétique, qui ne serait rien sans la nécrolame dont il s'est imprudemment emparé. Pire encore -et je ne vous révèlerai pas les détails afin de ne pas vous gâcher la surprise- mais le final du film réserve un sort complètement ridicule au grand méchant. On se regarde embarrassés sans savoir s'il convient de prendre au sérieux tout ce qu'on vient de voir. Mais apparemment oui, il le fallait.
Taika Waititi a décidé qu'il était dorénavant en mesure d'imposer la pantalonnade complète au spectateur. Deux heures, durant lesquelles la légende de Marvel Comics est rigoureusement passée à la moulinette de Fluide Glacial. Voilà le résumé de ce film. Si cela peut être justifié dans les premières minutes (avec les Gardiens de la Galaxie, pour une sorte de bataille catastrophe qui en soi n'est pas si mauvaise, et permet d'introduire le thème musical récurrent de Love & Thunder, c'est à dire le bon gros hard rock américain des Guns n'roses) ça l'est beaucoup moins par la suite, quand le personnage de Gorr nous est présenté. L'idée initiale est louable, et on saisit bien ce qui est déjà le point de départ de la réflexion dans les comic books, à savoir une haine féroce vouée à tous les dieux du cosmos, qui s'amusent et se repaissent de la souffrance de ceux qui les vénèrent, sans jamais lever le petit doigt pour en modifier l'existence, en positif. Mais là où Jason Aaron avait le loisir de construire durant de longs mois, pour tisser une tapisserie de grande ampleur et au souffle épique, le réalisateur n'a que deux heures pour imbriquer toutes les parties du puzzle (Gorr, le boucher des dieux, Jane Foster qui devient Thor), sachant qu'il va perdre un temps considérable à insérer des scènes farces et attrapes à tout propos. Le comble étant l'arrivée de "nos héros" dans une sorte de conseil divin présidé par Zeus en personne, incarné par un Russell Crowe en jupette, dans ce qui ressemble d'avantage à une séquence extraite de Benny Hill qu'à un moment clé de l'histoire des Marvel Studios. Mais revenons-en à Natalie Portman, et au traitement unworthy (indigne, quoi) dont elle est l'objet. Son accession au titre de Thor, sa période nécessaire d'adaptation, ses sensations, ses peurs, son émerveillement, tout cela est éludé. Hors écran. Ou pour parler plus clairement, ça n'intéresse pas Waititi, qui est beaucoup plus occupé à farcir son film de blagounettes irritantes. Jane est malade, elle a un cancer au stade 4, mais même cette terrible épreuve est en réalité juste l'opportunité d'ajouter du pathos, jusqu'à l'inévitable tête à tête avec le fils d'Odin, et la révélation tire-larmes. La dignité du combat contre ce cancer passe aussi à la trappe, ou en tous les cas il est présenté et exposé à l'aune de ce qu'il peut faire ressentir au grand héros masculin. Ce n'est pas le cancer de Jane qui occupe la scène, mais la perte inévitable de la bien aimée qui guette Thor. C'est en cela également que ce film est une adaptation totalement hors sujet du run de Jason Aaron, bien plus malin, fin, articulé, inspiré. Ajoutez des affrontements assez mal chorégraphiés ou simplement infantiles (associer des petits minots à Thor pour défier Gorr, c'est assez idiot, ou alors j'ai mal compris, le grand méchant n'est pas si terrible que ça ?) et vous obtenez un long métrage qui rapportera probablement gros (le public aujourd'hui n'est pas si difficile, faites le rire et donnez lui du pop corn…) mais qui artistiquement parlant n'est que l'ébauche grossière de ce qu'il pouvait et devait être.
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