Au café de la ville perdue, Anaïs Llobet

Au café de la ville perdue, Anaïs Llobet

Au café de la ville perdue, Anaïs Llobet, Les éditions de l’Observatoire, janvier 2022, 327 pages.

Chypre. Une île partagée en deux, déchirée entre les chypriotes turcs et les chypriotes grecs.

Depuis 1974, la ville de Varosha est derrière les barbelés, inaccessible, une ville fantôme qui fut, pourtant, dans les années soixante, une ville solaire, très prisée des touristes. Ariana n’a pas connu la maison que ses parents avaient dans cette ville, au 14, rue Ilios, à l’ombre d’un figuier majestueux, mais elle trimballe son histoire et lorsque son père vend cette maison pour qu’elle soit détruite, elle est sous le choc et ne comprend pas.

La construction de ce roman est très fine. C’est ce qui fait la réussite de ce roman. Une écrivaine (Anaïs LLobet elle-même ?) recueille les témoignages des personnes qui ont connu cette ville, qui y ont vécu et parallèlement, on découvre ce qu’ont vécu ces personnes devenus personnages de son roman.

L’intrigue sur les grands-parents d’Ariana est subtilement dévoilée au fil des pages, étroitement imbriquée avec le présent. Les époques valsent entre elles, s’entrecroisent, sans jamais nous perdre, on se laisse emmener au gré des vagues, au gré des rencontres, des non-dits. Le texte n’est pas linéaire, il faut en assembler les pièces pour comprendre les uns et les autres, pour que se dévoile la vraie profondeur des caractères.

Il est plein de détails qui forgent le texte, qui lui donnent de l’ampleur. Certains personnages secondaires provoquent des émotions fortes comme ce grand-père qui perd la tête mais qui a récupéré les photos du 14 rue Ilios. Les tatouages de la jeune Ariana, comme un condensé de son héritage…

Obligés de quitter leurs maisons, les habitants de Varosha ont dû déménager dans la partie grecque de l’île avec interdiction totale de revenir sur les lieux de leur vie d’antan. En abandonnant tout. Ce roman mêle adroitement les deux histoires : celle de l’île, en évoquant cet exil forcé dans son propre pays et celle d’une famille, en déroulant leur vie à l’image d’une tragédie grecque. C’est l’incapacité des hommes à vivre les uns avec les autres que l’auteure creuse à travers ces secrets de famille.

Un livre qui m’a passionnée.