Il est forcément un peu plus difficile de susciter la considération et le respect, voire la crainte, quand on est une agréable jeune fille aux cheveux blonds, portant la jupette, d'aspect menu et engageant, plutôt qu'un type ultra musclé chargé en testostérone. D'ailleurs, Kara Zor-El a beau être "super", elle n'en reste pas moins une girl là où son cousin est lui présenté comme un man et non pas un boy; une petite différence sémantique qui démontre bien que l'héroïne a toujours dû mettre les bouchées doubles pour trouver sa place au sein de l'univers DC comics. Notons qu'il en existe différentes incarnations, et que sa carrière éditoriale est pour le moins chaotique. À première vue, on pourrait la croire plus faible, et d'ailleurs certains ennemis de Superman n'hésitent pas à s'en prendre à elle pour se venger, lorsqu'ils la croisent dans l'espace. Mais ce serait une erreur. C'est ce que nous montre assez rapidement Tom King dans cette nouvelle mini série en 8 volets, qu'Urban Comics présente dans sa collection Black Label. L'histoire démarre sur une lointaine planète, dans une ferme de roche, où une jeune fille (Ruthye) assiste au meurtre de son père, des mains de Krem des collines d'ocre, un assassin impitoyable, qui laisse son épée enfoncée dans le poitrail de sa victime. Commence ainsi une vengeance personnelle contre Krem, avec l'idée d'enrôler un mercenaire pour obtenir réparation dans le sang, en se servant de la fabuleuse épée abandonnée par Krem, comme monnaie d'échange pour la transaction. Mais rien ne se passe comme prévu pour la pauvre jouvencelle. Fort heureusement, dans le même bar où se déroule la négociation, nous retrouvons Supergirl, bien occupée à fêter son 21e anniversaire (c'est-à-dire selon la loi américaine celui de sa majorité, autrement dit elle a désormais le droit de consommer de l'alcool) en se mettant minable grâce à la bouteille. Et quand une demoiselle en détresse rencontre une super héroïne en proie au doute et à la recherche de son destin personnel, les conditions sont réunies pour mettre sur pied une petite épopée spatiale attachante et fantasmagorique, qui va nous emmener rencontrer des mondes singuliers et interroger ce qui constitue notre humanité, à des années lumières au fin fond du cosmos.
On embarque donc avec Tom King pour un voyage merveilleux. À travers les mondes, le cosmos, pendant de longs mois. Supergirl et sa protégée vont affronter toute une série d'aventures qui seront autant de jalons vers l'acceptation et la compréhension de soi. Ne croyez pas que la toute-puissance de la charmante blondinette lui permette de faire face à tout et n'importe quoi; tout d'abord parce qu'une partie de ce périple va se dérouler sur une planète baignée d'un soleil vert qui se révèle être hautement toxique pour qui vient de Krypton, et c'est cette fois au contraire Ruthye qui va devoir protéger l'héroïne. Mais aussi parce que cette poursuite à travers les étoiles, pour mettre la main sur Krem et obtenir réparation, constitue une preuve de force intérieure : est-il nécessaire de tuer quand la magnanimité permettrait d'opter pour un autre châtiment ? C'est là que tout le génie de Tom King frappe le lecteur, avec deux dernières pages absolument splendides qu'il est impossible d'aborder concrètement sans spoiler l'histoire, mais qui ne correspondent pas forcément à tout ce à quoi vous pouvez vous attendre en lisant ce qui précède. Cette histoire au demeurant fort belle et poétique est rythmée par un phrasé et une langue soignée, excellemment traduite en français par Jérôme Vicky. Le dessin est de Bilquis Evely, et s'il peut surprendre notamment pour ce qui est du visage de Supergirl (assez anguleux, voire caricature, avec le bleu des yeux qui mange ou illumine le reste) le côté féerique de l'ensemble compense largement cet aspect un peu moins gracieux que d'habitude. Les planches sont vivantes, truffées de petits détails, et surtout elle ne se ressemblent pas ou tout du moins leurs différences finissent par s'accorder, pour orchestrer un ensemble de mondes, ce qu'on appelle un univers graphique. Un long voyage, une quête personnelle, presque un récit légendaire comme on le comprend en fin de parcours, nous sommes là face à une bande dessinée qui échappe à la norme, l'envie de convoquer la surenchère et le bain de sang, pour donner la parole à un personnage aussi fort que fragile, aussi sous-évalué que potentiellement magnifique, et qui l'espace de huit longs épisodes nous enchante régulièrement. Woman of tomorrow a donc tout pour être également woman of the summer, le temps que nous y sommes. Woman, et pas juste girl.