J'ai choisi de lire ce livre parce qu'il a obtenu le prix Inter 2022 et je suis attachée à ce prix littéraire (pour plusieurs raisons : une sélection qui sort un peu des clous et son jury de lecteurs annuellement modifié mais toujours ultra-compétent) : je ne lis pas systématiquement le roman lauréat mais je me tiens au courant. En feuilletant Mahmoud ou la montée des eaux avant de le découvrir, j'ai été très surprise (agréablement surprise serait le meilleur terme) d'observer la forme littéraire choisie par Antoine Wauters : celle d'une prose en vers libres. Et cette forme-là, loin de me rebuter, m'a plus que motivée (parce que je garde un souvenir ému d'À la ligne de Joseph Ponthus et que j'aime les prises de risque en littérature).
Verdict : j'ai bien fait ! Mahmoud ou la montée des eaux est un livre fantastique qui allie force narrative et forme poétique, discours politique et histoire d'un militant qui a su transmettre sa lutte malgré l'enfermement, malgré les absences, malgré les représailles.
Avec une écriture minutieuse, Antoine Wauters distribue les révélations au gré des divagations du vieil homme et de ses plongées (aquatiques, dans le passé). Alliant forme et fond, l'auteur nous dévoile un poète au langage imagé mais explicite, un bel humain qui rêve de paix et de Lumière(s) pour son pays, un mari attentif et aimé, un père longtemps absent au courage exemplaire.
De Mahmoud ou la montée des eaux, je retiendrai les images du pays - La Syrie- l'étendue du lac et les vestiges inondés d'un village paisible, les représailles sur les civils, les discrètes mais régulières allusions aux femmes qui ont compté, les drames et les joies, la vivacité d'une population encline à faire respecter ses droits mais qui ne cesse de subir les exactions d'un pouvoir dynastique autoritaire et sanguinaire (celui des El-Assad : d'abord le père puis le fils cadet, à défaut du fils aîné mort avant de régner).
À la fin de la lecture, je me suis dit que ce livre pourtant tout petit (autour de 130 pages) méritait d'autres relectures de ma part, parce qu'il laisse planer des interprétations diverses sur les scènes dont Mahmoud a été réellement spectateur, sur celles qu'il a occultées par résilience.
Mahmoud ou la montée des eaux est un écrit riche, un manifeste qui m'a nourrie de références syriennes (à la fois culturelles, historiques, politiques) tout en me narrant savamment une histoire parfaitement construite, avec une écriture fantastique. Remarquable en tout point.
Un livre à conserver dans les étagères (comme dirait Cathulu)
Editions Verdier
page 116
Toute ma vie, j'ai écrit parce que je souffrais de voir
se briser ce pays : celui des rêveries de l'enfant.
Toute ma vie, je l'ai passée à me battre pour conserver
le privilège de pouvoir respirer auprès de vous.
page 43 : " Les mots sont la main visible du silence, la forme qu'il revêt pour être compris de tous."