Avant d'être le succès planétaire que vous savez, sur la plateforme Prime d'Amazon, The Boys c'était la maxi série la plus déjantée et installée dans la durée, du scénariste dingo Garth Ennis. Panini est toujours à l'affut (le contraire serait une faute éditoriale) de l'instant, et propose donc le premier Omnibus de nos petits Gars, et pour ceux qui sont passés à côté (oui, il en reste) c'est une opportunité à saisir, et vite. Il y en a même qui n'ont jamais regardé la série télévisée, et ne savent pas de quoi nous parlons. Promis ! Je m'adresse donc à ceux-là en premier, mais à vous autres aussi : franchement, vous croyez vraiment que si les super-héros existaient, ils se contenteraient, du haut de leurs statuts d'icônes et de leurs pouvoirs formidables, de sauver la veuve et l'orphelin sans rien demander en échange? Juste par pure abnégation et sens des responsabilités, comme ce bon vieux Peter Parker? Oui, il y en aurait peut être, mais il y a aussi fort à parier qu'une bonne majorité d'entre eux finirait par s'adonner à la corruption, ou par dévier de sa trajectoire initiale. Le pouvoir fait tourner les têtes, alors le super pouvoir, imaginez donc! Et quand une communauté de héros en latex, tout puissants, commence à toiser le commun des mortels et ne s'embarrasse plus des dommages collatéraux occasionnés par les batailles de rue, qui pourrait donc bien rétablir un semblant d'équité, en rappelant à l'ordre, par la force s'il le faut, ces demi-dieux inconscients? Cette tâche ingrate, c'est celle qu'ont acceptée les cinq membres d'une force gouvernementale secrète, The Boys, dirigée par la carrure impressionnante de Butcher, le plus cynique et solide d'entre eux. Toutes les méthodes sont bonnes pour faire plier ces super gugusses sans foi ni loi, comme les sept plus grands héros de la Terre, avec le terrifiant et et égocentrique Homelander à leur tête, qui en orbite géostationnaire autour de la Terre, dans leur quartier général ultra moderne, font passer une audition particulière à la petite dernière, leur nouvelle et jeune recrue. La jolie blonde va devoir ouvrir la bouche pour ces messieurs (toute ressemblance avec la JLA de Dc comics n'est pas fortuite, bien entendu) alors que la version juvénile de ces défenseurs de la paix (les Jeunes Terreurs, clin d'œil réussi aux Jeunes Titans) n'est pas en reste : les gamins se fourvoient dans le stupre, la drogue, l'immoralité la plus totale. Il est temps d'agir, les Boys sont là pour cela.
Garth Ennis avait l'ambition de faire encore plus dérangeant, avec The Boys, que ce qu'il fit avec Preacher quelques années auparavant. Mission réussie, mais il ne faut pas être trop sensible. L'aspect religieux, si souvent présent et brocardé chez l'auteur irlandais, est ici mis de coté, au profit d'une représentation crue et acide de la sexualité débridée, tout spécialement des rapports de groupe et homosexuels. On a l'impression que tous les super slips, chez Ennis, sont clairement ou indirectement dévoyés, et cachent de lourds secrets/tabous en rapport avec leurs pratiques ou fantasmes sexuels. La charge ironique sur le sujet est si forte qu'on bascule régulièrement dans le mauvais goût, même si c'est très clairement à prendre au second (troisième ?) degré. C'est bien là la limite de Garth Ennis, sa propension à vouloir écrire des scènes qui flattent les plus bas instincts de son public, jouant avec les codes honnis du sexe, principalement. Du coup, il atteint par moments sa cible à merveille, comme la scène où Stella, jeune recrue, est contrainte à une fellation multiple pour être acceptée parmi ses aînés héroïques; ou lorsque son idole de toujours lui dessine une vaste échancrure au marqueur, sur le costume, pour l'inciter, sur ordre des sponsors du groupe, à en revêtir un nouveau, plus audacieux et croustillant. The Boys est un concentré hautement irrévérencieux mais pas forcément subversif, je ne sais pas si vous saisissez et appréciez la différence. C'est en tous cas, indéniablement, un comic-book qui vous transporte dans une joyeuse sarabande parodique, et modifie à jamais votre perception ingénue des rapports entre tous ces héros que vous avez appris à connaître, que vous aimez, mais qui cachent tous, tant bien que mal, leurs parts de névroses, addictions, et autres manies honteuses. Justement le terreau fertile sur lequel prospère la série de Ennis, qui réserve aussi des moments d'espoir ou plus apaisés, principalement avec un duo attendrissant. Une histoire d'amour véritable, belle et sincère, peut-elle quand même s'épanouir dans l'univers glauque et cynique de The Boys? C'est tout le défi qui est réservé au P'tit Hughie et à la blonde Stella. Le premier est certes la dernière recrue en date de la bande impitoyable qui contrôle l'exubérance des super-héros, mais il n'a pas encore ce coté désabusé et violent qui distingue ses compagnons d'armes. La seconde est une vraie héroïne depuis qu'elle a été accepté au sein de la super équipe des Sept, mais son enrôlement avait un prix humiliant, une séance de viol collectif à son arrivée. Ces deux-là ont des bleus à l'âme, et sont peut être faits pour se rencontrer. Butcher, lui, fait foi à son patronyme, la Crème est une armoire à glace friable, la Fille une explosion de violence jouissive, et le Frenchie une sorte de couteau suisse bourré de surprises. Darick Robertson est parfait aux dessins, avec son trait gras et expressif, et il parvient à mettre en scène tout un univers de super-héros plus proches de super-zéros, aux costumes bigarrés et aux coutumes dissolues. The Boys est donc avant tout un divertissement subversif, qui ose et met le doigt là où ça fait mal, quitte à tomber parfois dans le grand guignol ou l'outrance la plus complète. Mais clairement, ce genre de comic book, aux mains d'artistes de cette trempe, est également salutaire et fascinant. Probablement plus encore que la série d'Amazon, qui ne peut pas, par exemple, parodier les X-Men (ici les G-Men) pour des questions de droits, et doit parfois (si, je vous jure) mettre un peu d'eau dans son vin, comparé à la liberté de ton de Garth Ennis au format papier. Si ça, ça ne vous incite pas à lire…