Jon Krakauer s’est livré à une enquête sur le terrain particulièrement pointue pour retracer le parcours et finalement le décès de McCandless. Il a interrogé ses parents et tous ceux qui l’ont approché, y compris des hommes qui l’ont pris en stop dans leur véhicule lors de son périple. En s’aidant aussi du journal tenu par le jeune homme, nous le suivons, quasiment pas à pas vers son destin tragique et pour ainsi dire écrit d’avance.
Deux angles de son caractère expliquent en partie son errance. D’une part, il souhaitait vivre en homme libre au plus près de la nature, hors du système, un baluchon pour tout bagage ; d’autre part, en conflit avec ses parents, il désirait partir et les rayer de sa vie ; Jon Krakauer ne s’attarde pas trop sur ce point par respect pour eux et sa sœur, en mémoire de leur fils. Ce problème familial l’envoie à travers l’Amérique, pour une première expérience de hobo faite de stop, de trains pris sans billet, de petits boulots ingrats qui plus tard l’amèneront à entreprendre le grand voyage vers l’Alaska, seul au milieu de nulle part, son rêve absolu.
Christopher qui se fait appeler Alex, pour rompre symboliquement avec sa vie ancienne, a fait des études et n’est pas idiot. Il tente d’accorder sa vie avec ses héros littéraires, Jack London, D.H. Thoreau, Tolstoï dont il annote les pages de leurs livres qui constituent le plus lourd de son barda. Tous ceux qui l’ont croisé sont unanimes, Alex était un garçon très gentil, il bossait dur et consciencieusement, très à l’écoute des autres, mais il avait son petit caractère, quand il avait décidé quelque chose, nul ne pouvait lui faire changer d’avis.
Son expédition vers l’Alaska s’apparente à une sorte de baroud d’honneur, l’épreuve ultime. On pourrait y voir un suicide inconscient, pourtant il avait prévu d’en revenir, écrivait-il, et de s’établir avec peut-être un enfant ? Ce dernier point semble difficilement crédible néanmoins. Ne tenant compte d’aucuns conseils donnés par ceux qui connaissent la région, il s’engage dans son aventure avec presque rien comme matériel, alors que la neige recouvre encore le secteur. Il s’établira dans la carcasse d’un vieil autobus le 1er mai 1992, vivant tant bien que mal de bestioles chassées, de baies sauvages et d’un sac de riz. Il tiendra trois mois avant de mourir de faim et empoisonné par une substance toxique contenue dans une plante.
Le livre est une longue tentative d’analyse psychologique de McCandless, comment peut-on en arriver-là, à vingt-quatre ans, quand on n’est pas réellement idiot comme lui ? La personnalité du jeune homme restera à jamais en partie mystérieuse.
C’est très beau et très triste à la fois.
« McCandless ne correspond pas très bien au type habituel de la victime de la forêt. Il ne connaissait pas l’Alaska, négligeait les précautions avec une témérité folle mais ne manquait pas de compétence – sinon, il n’aurait pas réussi à survivre pendant 113 jours. Ce n’était ni un idiot, ni un sociopathe, ni un bandit. Il était autre chose, mais il est difficile de dire quoi. Un pèlerin peut-être. »
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christian Molinier