Animal Man, pour beaucoup de lecteurs qui ont pris le train des comics en marche ces dernières années, c'est avant tout une série écrite par Jeff Lemire, où il est question de forces élémentales de la nature, comme la Sève, le Sang, ou la Nécrose. Mais ce n'est pas le seul et unique grand moment de la carrière de ce super-héros un peu particulier. Longtemps cantonné à de brèves apparitions, en tant que guest-star dans les aventures des autres, ou ravalé au rang de faire valoir, Buddy Baker devient enfin un héros respectable à la fin des années 80, alors que Dc comics cherche à mettre la main sur le nouvel Alan Moore, et s'en va faire razzia de nouveaux artistes en Grande-Bretagne. La plupart finiront dans le giron du label Vertigo, et réaliseront des œuvres qui restent encore aujourd'hui comme de petits bijoux indémodables. L'écossais Grant Morrison ne fait pas exception à la règle. Au départ, Dc lui confie Animal Man pour une mini série de quatre épisodes, avec une liberté totale de mouvement. Le background et la continuity du personnage sont si peu exploités, à cette époque, que Morrison a carte blanche pour raconter plus ou moins ce qui lui passe par la tête. Du coup, il se focalise sur deux points essentiels. La vie de famille de Buddy, qui avant d'être un héros en costume (pas très crédible, par ailleurs) est aussi un père de famille et un mari un peu frustré (sa femme paie le loyer). Et puis la défense des animaux, notamment ceux utilisés pour des tests en laboratoire, qui servent de cobayes pour les délires malsains de la science et du progrès. Animal Man va ainsi se heurter à un laboratoire, qui sous couvert de mettre au point un remède contre le Sida, fabrique en réalité une nouvelle souche du virus Ebola. Engagé par les scientifiques pour arrêter une sorte de surhomme aux pouvoirs totémiques (B'Wana Beast, incarnation des pouvoirs sauvages de la Terre Africaine, avec un costume ridicule entre revue du Crazy Horse et Thunderbird, des premiers X-Men), notre héros va vite se rendre compte que la réalité est ailleurs… Morrison est végétarien, et il va également convaincre son personnage de le devenir. La série engrange rapidement faveurs du public, et chiffres de vente respectables. Ce qui amène tout naturellement Dc à transformer l'essai. Animal Man devient une on-going des plus surprenantes, où il se passe un peu tout et n'importe quoi, avec une seule constante : la qualité intrinsèque des idées de Grant Morrison. Comme dans cet épisode considéré le plus réputé, The Coyote Gospel, où Animal Man rencontre l'équivalent du Road Runner de Tex Avery (Bip Bip si vous préférez), pour un récit qui flirte avec l'absurde et la méta bande-dessinée. Ce n'est que la première étape d'une grande réflexion, qui va amener Buddy a prendre conscience qu'il n'est en fait qu'un personnage de papier, soumis aux caprices de son auteur.
Animal Man devient vite une série incontournable. Certes, tout n'est pas non plus parfait. Par exemple, les aventures du héros tendent à se limiter assez vite à des histoires narrées en un seul numéro, dont la qualité varie un mois sur l'autre. Quelques baisses de régime se font sentir, notamment lorsque Buddy part aux Iles Féroé pour sauver des dauphins du massacre (une boucherie caricaturale qui se termine avec Animal Man qui condamne un des responsables à une mort quasi certaine, sans que cela l'émeuve particulièrement, lui et ses amis écologistes) ou encore lors d'une virée à Paris, contre The Commander of Time, qui donne l'impression d'un fill-in bâclé. On peut déplorer également les dessins parfois sommaires et souvent dépouillées de fond de case construits d'un Chas Truog aimable mais loin d'être transcendantal, et d'un Doug Hazlewood du même acabit. Un peu mieux fait Tom Grummett, honnête artiste taillé pour les comic books en costumes. Qu'à cela ne tienne, réjouissez-vous avec cet Animal Man et son monde cocasse, étrange, et truffé, comme l'aime Grant Morrison, de personnages de second plan, un peu risibles et pathétiques, qui montent sur la scène et jouent les premiers rôles, l'espace d'une vingtaine de pages. Comme le Mirror Master, qui vient attaquer Buddy en famille, ou encore le Red Mask et ses robots, qui envisage le suicide. Questionnement sur l'identité même du héros, sur les frontières entre réalité et monde de papier, sur l'essence même, la définition, d'un super héros aux repères fracassés, le Animal Man de Morrison déroute, provoque, amuse, interroge. Il explore aussi la dualité entre hommes et animaux, flirte avec la justification des actions coup de poing des défenseurs animaliers, avec un héros qui n'hésite pas à briser la loi et s'introduire dans les laboratoires où se poursuivent certaines expériences au détriment de singes brimés, ou même de petits rongeurs. Urban Comics a entamé la publication de l'intégrale de ces épisodes longtemps attendus, et nous vous conseillons très très chaudement d'investir en ce sens. Signalons aussi qu'au terme de la prestation de Morrison, ce sont des scénaristes comme Peter Milligan, Jamie Delano ou le regretté Rick Veitch qui prennent le relai, alors que l'horreur devient de plus en plus prégnante.