En juillet, nous avons lu Le Pavillon d’or de Yukio Mishima. Un classique de la littérature japonaise que nous avons eu le plaisir de découvrir en très bonne compagnie ! On vous en parle tout de suite (avec difficultés), suivez le guide !
Notre dernière lecture commune avec l’Ourse Bibliophile remonte à 2020, alors franchement, il était temps qu’on se mette à lire ce livre qu’on s’était promis de découvrir ensemble il y a belle lurette ! La lecture du Pavillon d’Or a été une sacrée expérience qui nous a menées au bord du craquage par moments mais on vous le dit, on a bien rit quand même ! On vous invite, évidemment à découvrir sa chronique :
La chronique de l’Ourse Bibliophile sur Le Pavillon d’Or de Yukio Mishima.
Et maintenant, place à notre propre chronique !
De quoi ça parle?
Que la Beauté puisse exister et le jeune moine s’en trouverait irrémédiablement exclu. Mais la soudaine et commune fragilité qui l’unit au Pavillon d’Or, alors que retentit au loin le bruit des bombes, scelle son destin au temple sacré. La quête de cette ultime communion, en commettant l’irréparable, constitue sa secrète destinée. Bègue et sans beauté, il est en apparence réservé et taciturne ; le mal et la laideur sont les hôtes de son âme. Le pendant de sa souffrance physique est un ego démesuré et tyrannique qui le pousse à croire à sa mission tragique et exemplaire : atteindre le « cœur même du mal » et anéantir le sacré d’entre les sacrés par un acte de « pure abolition ».
L’incendie du Pavillon d’Or en juillet 1950 anéantissait un trésor national. En explorant les méandres psychologiques du jeune Mizoguchi, Yukio Mishima établit le mobile d’un crime qui ébranla le Japon. En arrière-plan, l’auteur livre sa vision philosophique du Beau absolu.
Une première approche intéressante
La première approche de cet évènement par Mishima nous a paru intéressante. D’une part, nous ne nous souvenions plus que ce livre était inspiré d’un fait divers et c’est un « format » qui nous passionne à chaque fois. D’autre part, nous ne nous attendions pas à trouver entre les pages de ce livre, une narration à la première personne du singulier.
L’usage du « je » a tendance à faciliter notre immersion dans l’histoire, même si dans certains cas, elle a tendance à mener à une simplification de la narration à l’extrême, ce qui nous déplait, en général. Ici, rien de tout ça, on plonge immédiatement dans les pensées de Mizoguchi, jeune moine dans un temple bouddhiste de Kyoto (le fameux Pavillon d’or qui donne son titre au roman) et laissez-moi vous dire que le monsieur se fait des nœuds au cerveau, c’est le moins qu’on puisse dire ! Dès les premiers chapitres, on perçoit le manque de fiabilité et de rationalité du personnage. Et pour cause, l’objectif de Mishima avec ce roman n’est pas de maintenir un quelconque suspens, mais bien de nous mener dans les pensées méandreuses d’un gamin paumé et rejeté qui finira par devenir pyromane. Aucun spoil donc, on vous le fait comprendre dès le début, le Mizoguchi, il est voué à faire une grosse connerie. Finalement la question est plutôt de savoir : qu’est-ce qui peut pousser un jeune garçon à devenir un incendiaire ?
Mizoguchi, un personnage ambiguë
Le protagoniste de cette histoire apparait immédiatement comme un être non seulement pétri d’intentions douteuses (on s’aperçoit rapidement qu’il a un certain goût pour la violence dès lors qu’il exprime son souhait de voir mourir une jeune fille… Le tout avec beaucoup de ferveur.) mais également de pensées contradictoires. Totalement ambivalent, il se sent tout à la fois « hors du monde », rejeté par la société à cause de ses bégaiements, tout en se sentant investi d’une mission quasi « divine » (à la page 325 il affirmera « ma personne était devenue précieuse. »)
« Qu’un jeune garçon, handicapé irrémédiablement, en arrive à penser qu’il est un être secrètement choisi, faut-il en être surpris ? J’avais le sentiment que, quelque part en ce monde, une mission m’attendait, dont je n’avais encore aucune idée. »
Le Pavillon d’or, Yukio Mishima, Folio, 1961, p. 31.
Et les choses ne vont pas aller en s’arrangeant. Au fil des pages, la fascination du jeune moine pour le Pavillon d’or grandi. La découverte du temple signe la mort du lieu tel que Mizoguchi l’avait fantasmé et avec elle la découverte d’un monde qui ne va cesser de le décevoir, faisant grandir sa haine pour le Beau. L’obsession de Mizoguchi pour ce lieu rêvé laisse place à sa volonté d’en rehausser la beauté par son incendie. Par le truchement de la guerre et des bombardements en cours au Japon, Mizoguchi se met à espérer voir ce lieu prendre feu. C’est dans ces bombardements que la beauté du lieu atteindrait son apogée, c’est dans les flammes que le destin du Pavillon et de celui de Mizoguchi sont voués à se rencontrer.
« Jusqu’alors, la certitude qu’il était impérissable m’écrasait, dressait un obstacle entre lui et moi ; mais il était voué à être incendié par les bombes et cela rapprochait singulièrement son destin du nôtre. Peut-être serait-il anéanti le premier… »
Le Pavillon d’or, Yukio Mishima, Folio, 1961, p. 85.
Les bombardements n’auront finalement jamais lieu mais c’est dans ce « rêve primitif » d’incendier le Pavillon que Mizoguchi se voit prendre part à la Beauté du monde. Progressivement, le Pavillon devient source de haine autant que de fascination, y mettre le feu est la seule façon d’en finir avec cette Beauté qui n’a de cesse de rappeler à Mizoguchi sa propre laideur.
« Car cette obsession du Pavillon d’Or, c’est à ma laideur, qu’à mon insu, je finissais par l’attribuer toute. »
Le Pavillon d’or, Yukio Mishima, Folio, 1961, p. 76.
La seule façon pour Mizoguchi de prendre part à la Beauté du monde, est de lui transmettre un peu de sa laideur. Le Beau et l’atroce seront alors réunis grâce aux flammes aussi envoutantes qu’inquiétantes.
Un roman d’apprentissage de l’immoralité
Le Pavillon d’or se présente comme un roman d’apprentissage de l’immoralité. Le parcours initiatique du jeune garçon le mènera finalement au crime que l’on sait et chacune de ses rencontres va un peu plus lui apprendre les rouages de la violence et précipiter son acte criminel.
Sa rencontre avec Kashiwagi à l’université mène Mizoguchi plus loin encore dans la découverte de ses fantasmes, du fétichisme et d’un érotisme morbide. Le personnage devient un véritable modèle pour Mizoguchi, fasciné par sa vision de la vie et « son sadisme ». À son contact il parvient à donner sens à ses fantasmes, à les assumer tout en y trouvant une source de vie.
« Toutes les hontes de mon âme, tous les démons de mon cœur, remodelés par ses paroles, devenaient choses pleines de fraîcheur. »
Le Pavillon d’or, Yukio Mishima, Folio, 1961, p. 166.
Kashiwagi devient une source d’inspiration pour le protagoniste qui attend de lui « qu’il lui apprenne la vie ». (p. 168) et progressivement ses idées font leur chemin dans l’esprit de Mizoguchi dont les projets d’incendie prennent forme.
Ce personnage n’est cependant pas le premier personnage dont Mizoguchi fait la rencontre cela dit. Dès les prémices du roman, le protagoniste rencontre Tsurukawa, un jeune moine qui le maintient dans un monde approximativement sain, tant qu’il le peut. Une révélation au sujet de ce personnage dans la suite du récit viendra bouleverser la vision que Mizoguchi avait de son ami. L’être le plus pur qui lui ait été donné de côtoyer avait aussi ses propres démons. Cette révélation agit comme un moment de bascule dans le récit, Mizoguchi est définitivement perdu et lui permet d’affirmer : « se trouvait à jamais tranché le fil qui me reliât au monde de la pleine lumière et du grand jour. » (p. 197)
Miroirs, doubles, reflets : l’ambivalence du monde
Nous vous le disions plus haut, le protagoniste est d’une ambivalence parfois confondante, au point où comprendre sa véritable opinion est parfois difficile. Mais cette notion d’ambivalence nous parait centrale pour comprendre la construction de ce récit par Mishima.
Tout au long du roman, Mishima multiplie les images de miroirs, de reflets, de doubles. Le monde n’est jamais ce qu’il est vraiment chez Mishima. Ainsi la véritable beauté du Pavillon d’or se trouve dans le reflet déformé que présentent les eaux qui l’entourent, la beauté réside dans la laideur, l’un et l’autre s’attire inévitablement (p. 169) et dans ce monde les contraires deviennent bizarrement synonymes : « vivre et détruire sont synonymes. » (p.176).
Cette dualité est visible également dans l’opposition entre Tsurukawa et Mizoguchi, dualité qui prendra fin après la révélation sur Tsurukawa qui vient totalement chambouler Mizoguchi et le faire sombrer définitivement. C’était dans l’équilibre de leur relation que la noirceur de Mizoguchi faisait sens. La luminosité de Tsurukawa et la noirceur de Mizoguchi sont les deux faces d’une même pièce.
« J’étais le négatif de l’image ; lui le positif. Que de fois n’avais-je pas constaté avec stupéfaction à quel point mes pensées les plus fangeuses, une fois passées au filtre de son âme, reparaissaient toutes transparentes et rayonnantes de clarté ! »
Le Pavillon d’or, Yukio Mishima, Folio, 1961, p. 102.
Mishima tisse donc un récit où les notions de double, de contraire, de synonymes, de reflets et de miroir viennent s’entremêler et brouillent notre perception du monde et du récit. Mais cette thématique présente aussi un petit défaut…
« Les deux filles, lassées par cette discussion, avaient rebroussé chemin »
Cette citation présente dans le livre et dont nous faisons usage en guise d’intertitre pourrait résumer la relation que l’Ourse et moi-même avons tissé avec ce livre il me semble. Nous avons, certes, décroché à des moments différents, mais nous avons décroché toutes les deux environ à la moitié du récit.
Loin de moi l’idée de parler pour l’Ourse, je parlerais pour moi-même en émettant l’hypothèse que mon propre décrochage résulte d’un manque de renouvellement des thématiques abordées par Mishima. Certes la construction du récit nous a paru intelligente : des parties présentes dans le premier tiers du roman entrent en résonance avec le dernier tiers du roman, toujours avec cet effet de miroir qui traverse toute l’œuvre. Mishima semble le justifier à travers la bouche de son personnage comme le montrent les deux citations suivantes :
« Tout se passait comme si mon expérience personnelle fît jouer de secrètes connivences. Comme en un couloir de glaces où chaque objet reflété se répète indéfiniment, les choses vues dans le passé se réfléchissaient dans les choses nouvellement rencontrées, et j’avais le sentiment d’être conduit à mon insu, d’image en image, jusque dans les lointaines profondeurs du couloir, dans une insondable retraite »
Le Pavillon d’or, Yukio Mishima, Folio, 1961, p. 235.
« J’ai toujours eu le sentiment que chacune des expériences que j’étais appelé à faire dans ma vie n’a été que la répétition plus terne d’une expérience précédemment réalisée sous la forme la plus brillante ; je n’ai jamais pu me défaire de cette croyance. »
Le Pavillon d’or, Yukio Mishima, Folio, 1961, p. 334.
L’Ourse et moi-même l’avions constaté déjà en nous faisant cette réflexion sur la première scène entre la Geisha et le soldat, puis la rencontre bien plus loin de ladite Geisha. La seconde expérience n’est qu’une pâle réminiscence de la première.
Cette construction est donc volontaire de la part de l’auteur mais n’empêche qu’elle est source d’ennui puisque l’on a l’impression, sans cesse de se voir marteler les mêmes réflexions pseudo-philosophiques (ça va pas non plus chercher bien loin et ce sont toujours les mêmes idées autour du Beau qui reviennent… Je suis désolée, me jetez pas des cailloux). En résulte un bon gros ventre mou autour des chapitres cinq à sept où notre intérêt pour l’histoire en a pris un sacré coup, faisant de cette lecture une lecture finalement mitigée, une lecture qui ne va pas assez loin tout en prétendant le faire en nous assénant les mêmes idées en boucle sur 370 pages …
J’ai également été passablement agacée par la façon qu’a Mishima d’intégrer des scènes choquantes à son récit de manière un peu gratuite. On comprend bien que l’idée c’est de montrer comment Mizoguchi part à la dérive et que, par conséquent, ces scènes sont un peu des « étapes » supplémentaires vers la « folie » mais c’est fait de manière assez peu subtile tout de même. Sa descente dans la folie aurait pu être symbolisée par ces actes tout en étant intégrées de manière plus fluide et subtile au déroulé de l’histoire…
Heureusement les derniers chapitres rattrapent le coup et nous font presque oublier ces deux grosses faiblesses du Pavillon d’Or. Mishima est parvenu à nous surprendre sur cette dernière partie du roman, il faut l’admettre.
L’empathie de dernière minute
Alors qu’en débutant notre lecture nous nous faisions la réflexion que ce personnage était franchement assez détestable, j’ai été agréablement surprise par la fin du roman. Après avoir détesté ce personnage, avoir eu du mal à nous mettre à sa place, à avoir été choquées par sa violence gratuite et soudaine, nous nous sommes prises de pitié pour lui, à notre grande surprise. Un sacré tour de force de la part de l’auteur qui finit de nous achever avec un final grandiose qui surpasse à lui seul l’ensemble du roman. La dernière phrase du livre nous a donné un petit frisson, on se demande même si ce n’est pas devenu l’excipit le plus marquant qu’il nous ait été donné de lire.
J’ai l’impression qu’on est quand même beaucoup plus souvent marqués par des incipit (type la première phrase de l’Étranger de Camus ou encore celle d’Aurélien d’Aragon) que par des excipit. Bref, ça nous a pour le moins fait plaisir de lire une fin qui est devenue immédiatement culte pour nous malgré notre avis mitigé sur l’ensemble du bouquin.
Le Pavillon d’Or est donc un roman d’apprentissage qui nous propose de plonger dans les pensées amorales et sinueuses d’un jeune moine voué à sombrer dans la pyromanie. Les réflexions sur la Beauté nous ont beaucoup intéressées et la traduction nous a semblé rendre à la fois la poésie et la bizarrerie qui traverse ce livre. On regrette cependant le manque d’approfondissements de ce récit. Les idées développées sont redondantes et ont tendance à freiner le récit sans rien ajouter véritablement à ce qui a été dit précédemment. Malgré une entrée en matière mitigée dans l’œuvre de Yukio Mishima, les thématiques de ce livre et la beauté de la traduction nous confortent cependant dans l’idée que d’autres livres de cet auteur pourraient nous intéresser.
Si vous avez lu ce livre, je serais très curieuse d’avoir votre opinion sur celui-ci en commentaires ! N’hésitez-pas également à me conseiller d’autres livres de Yukio Mishima qui pourraient être selon vous une bonne option pour continuer de découvrir son œuvre !! 🙂
éé