Anne et sa maison de rêve - Lucy Maud Montgomery

Anne et sa maison de rêve - Lucy Maud MontgomeryAnne et sa maison de rêve, Lucy Maud Montgomery

 Editeur : Monsieur Toussaint Louverture

Nombre de pages : 330

Résumé : Après trois années passées à Summerside à faire des rencontres toutes plus surprenantes les unes que les autres, Anne Shirley quitte le lycée dont elle avait la direction et la charmante pension de Windy Willows et s’apprête à entamer un nouveau chapitre de sa vie aux côtés de son fiancé, Gilbert Blythe, à Four Winds, dans un coin de paradis de l’Île-du-Prince-Édouard.

- Un petit extrait -

« Les oiseaux chantent rarement en septembre, mais lorsque Anne et Gilbert prononcèrent leurs vœux éternels, l’un d’eux gazouilla depuis quelque branche cachée. Anne l’entendit et en frémit de plaisir ; Gilbert l’entendit et s’étonna que tous les oiseaux du monde n’aient pas déjà entonné un hymne de joie ; Paul l’entendit et écrivit plus tard une phrase à ce propos qui devint l’un des vers les plus prisés de son premier recueil de poésie ; Charlotta IV l’entendit et eut la béate certitude que c’était un signe de chance pour sa M’dame Shirley adorée. L’oiseau chanta jusqu’à la fin de la cérémonie qu’il conclut avec un petit trille saisissant, un petit trille ravissant. »
- Mon avis sur le livre -

 « Une maison de rêve, c’est là où résonnent les conversations intimes et les rires de nos amis, c’est aussi le lieu où entouré d’âmes échouées et magnifiques, on peut combattre la douleur et retrouver l’espoir, un endroit d’où l’on repousse les ombres et où l’on accueille la vie » : voici comment Monsieur Toussaint Louverture introduit ce nouvel opus des aventures d’Anne, la petite orpheline aux cheveux flamboyants qui a su conquérir le cœur de ses lecteurs aussi sûrement que celui de son cher et tendre Gilbert. Quel alléchant programme que celui-ci, ne trouvez-vous pas ?! Malgré l’inévitable petit pincement au cœur au moment de quitter définitivement Green Gables, de laisser derrière nous Marilla, Diana, Madame Lynde, Davy et Dora, c’est avec un petit frisson d’allégresse que nous suivons nos deux jeunes et heureux mariés dans la petite baie de Four Winds, à la rencontre de leur douce « maison de rêve » et de leurs nouveaux amis. Avec Anne, il n’y a d’adieux qui ne soient suivis de délicieuses rencontres, ni de fins qui ne soient talonnées de nouveaux départs. Ame sage en dépit de son insouciante jeunesse, Anne saisit chaque occasion de créer de formidables souvenirs pour l’accompagner tout au long de son existence : résolument tournée vers l’avenir, elle ne garde que le meilleur du passé et ne laisse jamais la nostalgie entraver sa folle épopée. Rien d’étonnant qu’elle s’entende si bien avec le Capitaine Jim : à chaque nouvelle étape de sa vie, Anne ne demande qu’à « prendre le large », tel un vieux marin ne songeant qu’à prendre la mer …

Plus que jamais, la plume délicate, élégante, raffinée de Lucy Maud Montgomery nous ensorcelle. Elle nous transporte presque physiquement sur ce majestueux et sauvage rivage de rochers ocre où le « docteur » Blythe et sa flamboyante épouse viennent de poser leurs bagages : nul besoin de posséder l’imagination débridée d’Anne pour voir se dessiner devant nous ces paysages enchanteurs, pour entendre les murmures des sapins qui dansent avec le vent, pour ressentir toute la chaleur qui se dégage de la cheminée de leur « maison de rêve ». Plus qu’une simple maison, cette charmante petite bâtisse ne tarde pas à devenir un véritable foyer : lieu de toutes les joies, mais aussi de toutes les peines, théâtre des éclats de rire entre amis, mais aussi des différends occasionnels. Avec son charmant petit jardin fleuri, son allée de peupliers et son bosquet de bouleau, son petit ruisseau, la demeure semble tout droit sortie d’un conte de fée : assurément l’endroit parfait pour quelqu’un comme Anne, qui, bien que devenue une jeune femme tout ce qu’il y a de plus raisonnable et sensée, n’en reste pas moins cette enfant rêveuse et passionnée qui ne jure que par le romantisme et la poésie. Que ne donnerais-je pas pour me glisser dans le salon de cette petite maison, qui a tout d’un petit paradis sur terre ! Et parce qu’Anne est Anne, il ne fait aucun doute qu’elle ouvrirait grande la porte de ce petite chaumière, et plus grandes encore celle de son cœur : loin de garder jalousement son bonheur, la jeune Madame Blythe ne demande rien de plus qu’à le partager tout autour d’elle, aussi généreusement que le phare de Four Winds brise la nuit sombre de son éclatante lumière.

Si Anne a toujours aimé « les joyeux petits moments avec les gens », elle ressent désormais sans pouvoir se l’expliquer le besoin de fonder des amitiés plus solides, plus profondes. Jusqu’alors attirée par les âmes aussi lumineuses que les siennes, Anne se tourne désormais vers les cœurs alourdis par le fardeau de la vie, vers les âmes assombris par les défis incessants de l’existence. Elle pressent que ces amitiés, autrement plus « laborieuses » et « exigeantes » que les camaraderies spontanées qu’elle a su suscité jusqu’à présent, sont de celles qui se nouent pour toute une vie. De celles que les épreuves ne déchirent pas, mais affermissent plus encore. De celles que les souffrances ne brisent pas, mais cimentent plus encore. Anne découvre que même les plus belles amitiés peuvent être teintées d’une pointe d’amertume et de jalousie, de regrets et de mélancolie. Que l’on peut aimer profondément quelqu’un tout en le haïssant par moment. Anne apprend que l’amitié, tout comme la vie, est d’autant plus belle lorsqu’on a lutté pour elle. Lorsqu’on refuse de la laisser s’effilocher à la moindre vexation, à la première contrariété, lorsqu’on s’obstine à offrir son amitié même lorsque l’autre semble ne pas vouloir la recevoir. Mais aussi lorsqu’on accepte l’amitié offerte, même et surtout dans les moments où on n’en veut pas. Parce que rien n’est plus difficile que de céder une petite place à l’amitié lorsque la souffrance semble occuper tout l’espace, lorsque la peine fait naitre le désir viscéral de se replier sur soi-même, à la fois parce que la gentillesse blesse et pour ne pas blesser les gentils.

Car ni la plus accueillante des maisons de rêve, ni la plus sincère des amitiés, ne peut protéger contre les « abîmes du désespoir » qu’Anne évoquait dans sa prime jeunesse, sans se douter de leur profondeur ni de leur noirceur. Après avoir expérimenté la plus viscérale des joies, notre pauvre Anne va affronter la plus cruelle des souffrances, voyant son rêve le plus cher se briser en des milliards de petits morceaux de verre qui entaillent son pauvre petit cœur encore si innocent. Si vous saviez comme j’ai pleuré, en dépit de toute la pudeur et la délicatesse que l’autrice manie pour atténuer cette horrible épreuve ! J’ai pleuré comme on pleure sur la détresse d’une amie chère, d’une sœur aimée. J’ai pleuré comme on pleure sur le sort injuste et funeste d’un innocent, sur l’insouciance définitivement perdue, piétinée. C’est dans le fracas d’une tornade dévastatrice que s’envole l’enfance d’Anne, et non dans la quiétude d’une délicate brise qu’elle aime tant … Et ce double et tragique « baptême de douleur » transforme profondément notre Anne adorée. En mieux. Alors bien sûr, ça fait un petit pincement au cœur de voir s’effilocher l’insouciance enfantine qui caractérisait la petite orpheline arrivée à Green Gables, mais Anne y gagne une certaine sagesse d’esprit qui s’entremêlé à sa grandeur d’âme et sa bonté de cœur pour faire d’elle la plus tendre, la plus loyale, la plus attentionnée et la plus délicate des amies possibles. Moins impulsive, elle réfléchit désormais aux conséquences de ses actes avant de foncer tête baissée, bien consciente désormais que, parfois, en voulant bien faire, on ne fait qu’attiser un peu plus les peines et les tourments. Moins envahissante, elle sait désormais quand il est préférable de s’éclipser, car elle sait désormais que, parfois, la présence la plus réconfortante est la solitude.

Il y a donc dans ce roman un clair-obscur des plus délicats et exquis, un sobre et tendre équilibre entre la joie la plus pure et la peine la plus incisive. Il y a l’amour incroyable d’Anne et Gilbert, qui s’aimaient déjà tant en tant qu’amis, en tant que fiancés, et qui s’aiment chaque jour plus encore en tant que jeunes mariés. Il y a la beauté grandiloquente de ce petit bout de terre qui accueille leur petite maison, la grandeur de l’océan, la magnificence du ciel, le charme des plages et la majesté de ce phare où habite un marin conteur au grand cœur. Il y a l’amitié qui unit tout ce beau petit monde, du jovial mais nostalgique Capitaine Jim à la dévouée et hantée Leslie en passant par l’acariâtre mais généreuse Cornelia. Il y a, comme toujours, les réjouissantes petites bizarreries de la nature humaine, les petites manies hilarantes, les histoires abracadabrantes, les petits conflits plus ou moins amicaux. Il y a la vie qui se déploie, qui a toujours le dernier mot, quoi qu’il arrive, même quand les épreuves semblent insurmontables, même quand les douleurs semblent interminables. Il y a donc aussi les incessantes journées pluvieuses, orageuses, les tempêtes de la vie qui se reflètent dans la météo indomptable de la petite baie. Il y a les peines, il y a les peurs, il y a les colères également. Il y a la mort qui rode, qui menace, qui dévore. Il y a les conflits qui dégénèrent en drame, les drames qu’on ne peut oublier, ceux qu’onaimerait éviter. Oui, assurément, cet opus est autrement plus sombre que les précédents, mais les Ténèbres sont toujours vaincues lorsque se lève le soleil : la lumière, la douceur, gagnent à tous les coups.

En bref, vous l’aurez bien compris, une fois encore, je ne sais en réalité pas quoi dire : j’ai le sentiment que chaque nouvel opus des aventures d’Anne est encore plus extraordinaire que le précédent, plus émouvant et plus palpitant encore. Plus réconfortant et apaisant, également : il y a ce petit quelque chose, indéfinissable et indescriptible, qui me fait un bien fou, qui apaise toutes mes angoisses et tous mes chagrins. La plume de Lucy Maud Montgomery y est peut-être, sans doute, pour quelque chose : avez-vous déjà vu et lu quelque chose d’aussi joliment écrit ? Je me noie de bonheur dans ces descriptions, si délicatement poétiques, toutes emplies d’une espèce de tendre mélancolie, de douce rêverie. Je m’enivre de ces phrases, si habilement tournées, de leur dansante sonorité, je les murmure, je les déclame, je les savoure. Et il y a, aussi et surtout, le personnage d’Anne en lui-même : en elle j’ai trouvé une âme sœur, l’amie que j’ai si longuement et si vainement cherchée, la sœur que j’aurai pu avoir. Elle me rappelle un peu l’enfant que j’étais, et je pense que j’aimerai être la femme qu’elle est devenue. Je lui envie son indéfectible gout de vivre, sa spontanéité, sa résilience, sa confiance, son audace. J’aimerai, comme elle, être capable de semer la joie là où je passe. Anne est tout à la fois un miroir et un modèle, comme si elle était celle que j’aurai pu devenir. Dans un autre monde. A une autre époque. Alors, faute de pouvoir changer de monde ou d’époque, je me contente de chercher un peu de sérénité et de bonheur au détour de ces pages, picorant un chapitre par-ci par-là lorsque le besoin s’en fait sentir, comme pour confier à cette amie de papier tout ce qui me pèse, piochant en contrepartie un petit peu de cette lumière qu’Anne dégage, envers et contre tout …