Une des guerres les plus sales de l'histoire, le Vietnam, comme si vous y étiez. Non pas biaisée par un parti pris esthétique ou historique belliqueux, mais tristement réelle et affreusement prosaïque. Le tout raconté par un journaliste du nom de Scott Neithammer, que tout le monde en réalité surnomme "Journal". C'est déjà le cinquième tome pour l'œuvre majeure de Don Lomax, qui se concentre cette fois-ci sur la grande offensive du Têt. Pendant que la première compagnie de cavalerie aéromobile rassemble toutes ses troupes pour se déployer dans une autre région, vers l'ouest, l'armée Viet Kong est sur le point de déclencher ce qui sera une offensive meurtrière. Nous retrouvons Journal à Quang Tri, alors qu'il tente d'évacuer toute la misère dont il a été témoin de la manière la plus simple et pernicieuse, c'est-à-dire avec l'alcool et les femmes à bon marché. Seulement voilà, il va faire une rencontre qui va lui rendre une raison d'y croire encore. Un flic en civil, du nom de Harley Belmont, qui débarque pour remonter la piste de la drogue qui circule allègrement et fait des ravages parmi les combattants américains. La contre-offensive venue du Nord a démarré mais nos deux compères sont eux sur les traces d'un certain Rhein, l'homme derrière les stupéfiants. Une parenthèse, quasiment, quand on voit ce qui est en train de se jouer pendant le même temps. Le premier signe tangible est cette colonie de soldats que croisent Harley et Journal, en direction de la ville de Hué. Sur deux colonnes, un bataillon venu du nord, qui a de quoi donner des sueurs froides, sauf qu'il sont là pour du plus gros gibier. Très important pour la dynamique du récit, il faut aussi comprendre la période particulière de l'année. Nous sommes à Têt, une fête vietnamienne qui correspond plus ou moins à notre nouvel an, et qui a comme conséquence une démobilisation évidente des forces sudistes. Durant la nuit, la bataille s'engage, là où et quand personne ne l'attendait vraiment.
Ça devait être la cité impériale de Hué, l'une des rares poches relativement pacifiée du Vietnam, cela devient finalement un champ de ruines, un terrain de bataille impitoyable où deux régiments de l'armée régulière nord vietnamienne ont ajouté leurs forces au combattants Viet Kong locaux. Outre sur la tragédie, qui voit un grand nombre d'êtres humains fauchés par l'impréparation et des ordres contradictoires et délétères sur le terrain, Don Lomax s'attarde aussi sur des tranches de vie plus personnelles, comme celle qui concerne Hung, un photographe normalement basé à Saigon et qui rentre chez lui uniquement pour perdre en apparence les siens. Les poches de résistance sont séparées, l'armée de la République du Vietnam et le commandement militaire américain sont les dernières options qui restent, au petit matin du 1er février, après une des pires nuits de l'histoire du conflit. Et la purge ne faisait que commencer. Des snipers cachés un peu partout, jusque dans les arbres, des explosions retentissantes et continuelles, des cadavres mutilés, et la sensation imminente que la mort est sur le point d'arriver. Au milieu de tout ça, des milliers de civils pris au piège. Lomax n'a nul besoin d'emphatiser les scènes de combat ou de chercher à rendre spectaculaire des actions de guerre héroïques, il se concentre sur la réalité du terrain, qu'il dépeint dans un style qui emprunte tout autant au réalisme qu'à la caricature. Les vignettes sont très souvent concentrées sur le visage des protagonistes, dévoilent les expressions comme la stupeur, l'effroi, la fatigue ou présentent les effets du combat, c'est-à-dire un brouillard continu, des coups de semonces et des débris. Ce cinquième volume est éprouvant, parce qu'il est dense; c'est une véritable traversée de l'enfer. Il semble s'éterniser, chaque pas amenant Journal et ses compagnons à se rapprocher de ce qui semble être leur mort certaine. Une chronique imparable et à hauteur d'homme, qui ne peut laisser aucun lecteur normalement constitué insensible. Le Vietnam Journal est puissant, car honnête, et factuel. Vraiment remarquable, et disponible dès maintenant chez Delirium.