Vous aurez beau tenter de changer le paradigme et de révolutionner le petit monde des super-héros, c'est en fait un univers cyclique, qui repropose régulièrement plus ou moins les mêmes trames, abordées sous un angle subtilement différent. Prenez Daredevil, par exemple; depuis que Frank Miller a posé définitivement les jalons du personnage, il est convenu que son existence croise la route de celle de Wilson Fisk, le Caïd, que sa double identité lui pose de sérieux problèmes, que la ninja Elektra soit tour à tour la compagne parfaite ou une ennemie problématique. Sans compter son sentiment de culpabilité écrasant! Le run de Chip Zdarsky continue donc avec Devil's Reign, ce que nous pourrions appeler le nouvel "événement Marvel", même si sa portée est moindre, car concernant avant tout les personnages que nous pourrions qualifier de "urbains". Les deux nouveautés récentes à appréhender avant de lire ces épisodes sont les suivantes : Fisk est désormais le maire de New York et il a tenté sans succès de se racheter une conduite en abandonnant ses activités criminelles. Au bout du compte, ça n'a pas empêché ses mains de plonger à nouveau dans le sang. Puis, il a épousé Typhoïd Mary. Elle aussi fait partie des ennemis récurrents de Daredevil et son instabilité mentale est une de ses caractéristiques principales. Il n'y a pas à dire, voilà de quoi former un joli couple. Ajoutons à tout ceci un énorme problème. Daredevil était parvenu à faire oublier à tous sa double identité; personne ne se souvenait plus qu'il est aussi l'avocat Matt Murdock, depuis qu'il avait eu recours à l'aide inespérée des enfants de l'Homme Pourpre. Mais voilà que la vérité a éclaté de nouveau dans l'esprit de Wilson Fisk, qui bien entendu a vraiment du mal à accepter d'avoir été manipulé de la sorte. Son sang ne fait qu'un tour et sa vengeance s'annonce d'ores et déjà terrible.
En tous les cas, les temps sont durs pour les super-héros de la grosse Pomme; en effet une nouvelle loi les empêche d'exercer leurs activités diurnes ou nocturnes, ce qui n'est pas sans rappeler d'ailleurs l'acte d'enregistrement des super-héros qui avait caractérisé Civil War. Bien entendu, tous ceux qui ne respectent pas les exigences du maire, comme par exemple le Moon Knight dans le premier épisode, sont interceptés par une bande de criminels notoires (les nouveaux Thunderbolts), pour une fois aux ordres discutables de l'État, avec des types aussi intègres que le Rhino, Elektro (la version féminine) ou encore Shocker ou US Agent, spécialiste des mauvaises causes. Autre personnage d'importance à ajouter dans l'équation, le Docteur Octopus, qui travaille au service de Fisk, à moins que ce ne soit le contraire. Toujours est-il que tous les deux sont associés jusqu'à ce que le plus malin -ou le plus retord- trahisse l'autre, évidemment. On peut aussi y voir quelque part la culpabilité de Daredevil, car la situation qui vient à se créer est aussi en partie de son fait. Toujours est-il que la solution passe également par une action politique, ce qui est un message attendu, dans un pays qui sort de plusieurs années de trumpisme dans un tel état qu'il risque en fait d'y retomber assez rapidement. il faudrait donc un super-héros, ou en tous les cas un représentant de la communauté à super pouvoirs, pour s'opposer à la super capacité de nuisance du Kingpin, le maire actuel. Pour entraver sa réélection, Luke Cage -par exemple- pourrait-il être l'homme providentiel ? Zdarsky réalise un travail suffisamment soigné et cohérent pour nous maintenir en haleine jusqu'à la fin; néanmoins, on pourra lui reprocher ce que je reproche toujours aux récits qui veulent être trop réalistes, c'est-à-dire qu'en voulant coller à la réalité et assumer une trame géopolitique concrète, on finit par s'en sortir grâce à des subterfuges qui ne tiennent pas la route et qui laisse un sentiment d'amertume. Les super-héros ont-ils besoin de véritablement frayer dans un monde qui ressemble d'aussi près au nôtre, telle est la question. En tous les cas, le travail de Marco Checchetto est lui toujours aussi classieux, cliniquement froid mais joli à regarder. Ses planches -pour ceux qui aiment ce style- restent un plaisir esthétique évident. Pour ce qui est de Panini Comics, le choix a été fait de proposer cette saga sous forme de 3 numéros kiosque softcover, en incluant toute une série de tie-in dont l'intérêt est tout de même assez variable. À défaut d'être l'événement du siècle ou même probablement de l'année, Devil's Reign n'est pas dégueulasse, promis.
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