(c) Casterman.
Tout est dit dans le titre: "Le poids des héros". David Sala est l'auteur de cette magnifique bande dessinée (Casterman, 176 pages) consignant en regards croisés l'histoire de sa famille en France, des Espagnols ayant fui le franquisme et ayant souffert du nazisme dont le souvenir est perpétué de génération en génération. Quitte à peser sur l'épanouissement des plus jeunes. Le fameux devoir de mémoire. "Ma mère était très investie dans le devoir de mémoire", me dit-il lors d'un précédent passage à Bruxelles. "A sa disparition, quelque chose s'est déclenché en moi. L'idée n'était pas à ce point présente de son vivant car elle maintenait cette mémoire. A sa disparition, j'ai voulu transmettre cet héritage. Il n'y avait plus que moi pour le faire. Mes frères ne sont pas dans le domaine du livre."
Il y a un enchaînement entre l'album "Le joueur d'échecs" (lire ici) et "Le poids des héros". "L'album donne des solutions graphiques au thème historique. Quand je passe à un autre album, il y a un héritage du précédent mais aussi une transformation."
(c) Casterman.
Dans ce nouveau livre, tout est vrai dans les trajectoires des deux grands-pères de l'auteur, Espagnols résistants. "Quand j'étais petit, le devoir de mémoire était omniprésent, la guerre, l'injustice du monde. Tous ceux qui avaient une conscience politique revenaient toujours au même sujet". Dans les pages splendidement illustrées en cases non bordées, on voit le petit David évoluer, avec son débardeur tricoté typique des années 1970. Les années hippies sont encore très présentes, en tout cas dans sa famille. "Mon sujet est l'héritage mémoriel, pas le souvenir mondial. Je ne voulais pas faire un récit historique. Ce qui m'intéressait, c'était de trouver un autre angle, de me rapprocher de moi. Les choses se sont alors éclaircies."
(c) Casterman.
L'aspect particulièrement intéressant de cette bande dessinée, outre ses qualités graphiques bien entendu, est justement ce travail, ce regard que David Sala a posé sur lui-même. Sur la manière dont son histoire familiale l'avait affecté. Sur ce carcan, cet étau qui peut conduire à une violence. "Réaliser le livre, c'est finalement remplir une mission parce que c'est dur, les sentiments sont difficiles. J'ai dû négocier avec ma pudeur. Je suis allé jusqu'au bout malgré la difficulté et la douleur de me dire. J'ai aussi voulu protéger mes enfants. Non pas sur le sujet du livre, mais sur la manière dont cette mémoire familiale m'a été transmise à moi."
(c) Casterman.
Graphiquement, l'album est époustouflant, cadrages, couleurs, découpage... "Les choses se sont d'abord mises en place dans ma tête. Je voulais être à hauteur d'enfant, le faire grandir au quotidien. En même temps, un enfant transforme le réel. Je me suis accordé une grande liberté dans le dessin et les couleurs. Le travail a été laborieux mais quelle exaltation quand on part de rien! Je voulais que les couleurs traduisent la narration et l'émotion de la manière la plus juste de façon à ce que le lecteur ressente plus profondément la séquence. Je suis un dessinateur. Je raconte par les images. Je déforme, ou non, les personnages, les perspectives, les couleurs. Pour cet album, j'ai utilisé des encires de couleurs et de l'aquarelle, et de l'eau, beaucoup d'eau pour obtenir cette transparence et les couleurs qui fusent."Pour lire en ligne le début de l'album "Le poids des héros", c'est ici.
Ici, une vidéo dans l'atelier de David Sala.