Mon ami Pierrot (Jim Bishop – Editions Glénat)
L’avenir de la jeune Cléa de Ignis semble tout tracé. Ses parents, qui veulent à tout prix voir leur fille rêveuse se comporter enfin en adulte, lui ont trouvé un très beau parti. Ils sont absolument ravis qu’elle s’apprête à épouser Berthier de l’Eau, le fils du comte du même nom. La mère de Cléa se réjouit de voir sa fille renoncer aux sottises qui peuplent son esprit pour consacrer sa vie à devenir une bonne épouse et une bonne mère. Son futur beau-père est sur la même longueur d’ondes, puisqu’il prie déjà pour que Cléa lui donne un petit-fils qui perpétuera la lignée des comtes de l’Eau. Quant à Berthier, il la presse d’accepter sa demande en mariage, en soulignant que comme toutes les femmes de son âge, elle rêve certainement des plus belles robes et d’une merveilleuse demeure dans laquelle elle pourra s’occuper de ses enfants. Mais c’est bien mal la connaître! Car en réalité, Cléa a surtout soif de liberté. En admirant une danseuse sur la scène, elle rêve de partager cette même passion avec le public et de mener à son tour une vie d’artiste. Au plus profond de son âme, elle sent un feu et une énergie qui ne demandent qu’à s’exprimer. Du coup, quand le beau saltimbanque Pierrot apparaît dans sa chambre comme par magie en lui promettant une vie de liberté, elle n’hésite pas longtemps. Plantant là le pauvre Berthier, qui avait pourtant bravé l’interdit de ses parents pour l’accompagner à la Fête de la Lune, elle suit Pierrot le sorcier jusqu’à son antre caché au cœur de la forêt. A l’intérieur d’un arbre majestueux prénommé Bernard, elle découvre un monde magique, peuplé de créatures fantastiques et improbables, comme un hibou à tête de chat par exemple. Au début, tout se passe pour le mieux, d’autant plus que Cléa vit une belle histoire d’amour avec Pierrot. Mais ce dernier ne tarde pas à montrer un autre visage, plus inquiétant, tandis que la forêt autrefois si accueillante ressemble de plus en plus à un piège…
Il y a quelques années, Jim Bishop avait pris la décision d’arrêter la bande dessinée. Comme beaucoup d’auteurs, il avait du mal à joindre les deux bouts et à vivre de son art. Mais surtout, la BD était devenue une activité trop douloureuse pour lui. « Parce qu’elle m’amène à passer beaucoup de temps seul avec moi-même et avec mes pensées », précise-t-il. Heureusement, il a changé d’avis depuis lors et il s’est remis à sa table à dessin. En tant que lecteurs, on ne peut que s’en réjouir, parce que ça a d’abord débouché sur « Lettres perdues », un roman graphique aussi déjanté que bouleversant sur le deuil. Ce livre d’une grande sensibilité a été l’un des gros succès de l’année 2021, propulsant Jim Bishop au rang d’étoile montante de la BD. Aujourd’hui, l’auteur français nous enchante une nouvelle fois avec « Mon ami Pierrot », un ouvrage auquel les éditions Glénat croient énormément. Et à juste titre, car ce conte philosophique est une vraie réussite. A la base, Jim Bishop souhaitait parler d’amour dans ce livre parce que lui-même sortait d’une longue relation. Mais comme dans « Lettres perdues », il a décidé de situer ce récit personnel dans un univers onirique et magique. Comme l’auteur le dit lui-même, ses sources d’inspiration se situent davantage au Japon qu’en Europe. En lisant « Mon ami Pierrot », on pense aux films de Miyazaki, mais aussi à « Zelda » par exemple, un jeu vidéo auquel Jim Bishop a énormément joué. Il y a aussi un peu de Tolkien dans ce livre, qui est un vrai concentré de pop culture, dans lequel on retrouve à la fois du manga, du film d’animation, du fantastique et du conte de fées. Mais peu importe finalement l’origine de cet univers. Ce qui compte avant tout, c’est qu’il fonctionne à merveille. Graphiquement encore plus réussi que « Lettre perdues », ce nouveau roman graphique nous embarque de la première à la dernière page pour un voyage parfois déroutant, mais lors duquel on ne s’ennuie pas un seul instant. « Mon ami Pierrot » est un livre généreux, car Jim Bishop ne ménage pas ses efforts pour insuffler du rythme, de la fantaisie et de la poésie dans ses planches. Et puis comme promis, il y est énormément question d’amour, et donc aussi de trahison, de jalousie et d’estime de soi. Clairement, l’auteur en fait voir de toutes les couleurs à ses personnages. Et c’est ça qui est bien!