En gros, peut-on rire de tout avec tout le monde et tout le temps? La fin de la proposition me semble plus discutable; autant il est envisageable de traiter par la dérision tous les différents aspects du super-héroïsme, autant ce genre d'ambition peut rencontrer un public large, autant la répétition forcée présente le danger évident de lasser. Ici, nous avons une héroïne qui sur le papier a l'habitude de briser le quatrième mur, de s'adresser à son public, et surtout d'exploiter à son avantage et au maximum le média que représente la bande dessinée. C'était le point fort de John Byrne, par exemple, qui était capable de faire preuve d'une inventivité extraordinaire, qui venait parfaitement compléter un humour truculent. La série Netflix, elle, se contente de quelques clins d'œil aux téléspectateurs, une sorte de dialogue parfois ébauché par Jennifer avec celui qui regarde, et c'est tout. Car pour le reste, une série sur Disney Plus ce n'est pas un comic book, les codes ne sont pas les mêmes, la liberté d'action aussi, et surtout, l'audace fait défaut. On démarre très vite avec l'avocate Jennifer Walters qui connaît une sacrée mésaventure au moment où sa carrière semble enfin décoller. Un simple accident de la route, un peu du sang de son cousin Bruce Banner qui vient se mêler au sien, et la voici devenir sans autre explication la version féminine du géant vert. Certains parleront de présentation hâtive, mais de notre côté nous nous contenterons de souligner qu'il valait mieux opérer ainsi plutôt que de se lancer dans une bonne heure de palabres stériles, tels qu'on nous les a déjà infligés dans d'autres productions (tiens, serait-on en train d'évoquer le cas Miss Marvel par exemple?) récentes. On va à droit au but, d'autant plus que le personnage principal ne traverse aucune crise métaphysique; pour elle, devenir She-Hulk n'est pas une malédiction, mais elle comprend au contraire très rapidement qu'il y a des avantages à en tirer, et qu'en tous les cas, si son existence doit être bouleversée, ce n'est pas forcément pour le pire... à la limite, ce qu'elle constate, ce sont plus les effets d'une certaine forme de misogynie dans le monde du travail et dans les relations sentimentales entre les deux sexes. Quelques punchlines à ce sujet font mouche et nous rappellent qu'être une femme n'est pas toujours simple, en tous les cas si on en croit l'opinion de Jennifer. Il y a aussi d'autres moments où cela pourrait être un avantage, mais la série ne nous en parlera pas, ou plutôt elle le fera sans le vouloir, lorsque l'héroïne ouvre un profil sur Matcher, la version Tinder de Disney. On se rend compte que pour une femme agréable, quitter le célibat -même si les rencontres ne sont pas toutes extraordinaires- semble tout de même beaucoup plus simple que pour l'homme, perpétuellement réduit à une dimension frustrante, celle de l'élément en demande qui doit toujours passer un test redoutable pour s'avérer désirable. She-Hulk est par essence objet de désir.
Au moins le casting aura-t-il été pertinent, puisque Tatiana Maslani, qui joue le rôle de Jennifer Walters -puis d'une She-Hulk victime d'une CGI qui a en effet tendance parfois à la rapprocher d'une version féminine de Shrek; je sais, cette comparaison est particulièrement éculée, pour autant il y a des scènes où cette remarque est purement inévitable- incarne très bien ce qui lui est proposé. Le spectateur est bien entendu attiré par la possibilité de voir toute une série de guest stars ou d'autres acteurs qui fréquentent habituellement le cinéma made in Marvel Studios; bien sûr il y a Hulk, le cousin qui occupe une bonne partie des deux premiers épisodes. On y trouve également un peu plus tard dans la série le célèbre avocat Matt Murdock, alias Daredevil, mais également Wong, le nouveau sorcier suprême, lui aussi présenté sous un jour divertissant, perpétuellement placé dans la position du magicien du second degré. L'Abomination (Tim Roth) est à classer dans une catégorie identique. Là où le bât blesse, c'est quand arrivent de nouveaux personnages totalement ridicules qui perdent l'intégralité du charisme et de la puissance qu'ils possèdent dans les comics; c'est le cas de Titania, qui semble ici plus préoccupée par les réseaux sociaux et les combats légaux que par ce qu'il a rendu célèbre au format papier. Le Wrecking Crew est aussi de sortie, sauf qu'on assiste au piètre spectacle d'une bande de malfrats que Miss Hulk met en déroute en l'espace d'un claquement de doigts. Nous revenons à ce que nous disions auparavant, à savoir une série extrêmement légère, pétillante, à picorer en apéritif, mais certainement pas à dévorer comme plat de résistance. Il y a assez peu de consistance dans les épisodes que nous avons pu déjà voir pour le moment et l'intention est avant tout celle d'étaler des tartines de coolitude pour montrer que Marvel Studios est capable de faire rire, de se prendre au 3e degré, de tourner en dérision son patrimoine, jusqu'à probablement la limite extrême de l'humiliation. Et là encore, la différence est avant tout une question de média. Une série télévisée ne peut pas être conduite et malmenée comme un comic book, où le rapport qui unit créateur et lecteur n'est pas le même et repose sur une suspension de l'incrédulité différente. Au final, nous sommes loin de penser que She-Hulk est une réussite, tout comme il ne s'agit pas non plus d'un rattache complet. Il s'agit avant tout d'un choix artistique, d'un style qui n'est certainement pas celui que nous préférons, qui est en partie pleinement justifiable, compréhensible et acceptable, quand on connaît le matériau d'origine, mais qui n'a pas été affronté avec le talent et la conviction nécessaire pour unir l'humour, l'audace et le super héroïsme. Parce que au bout du compte, c'est tout de même de cela dont nous parlons, d'une certaine manière, non?