Merel chez elle. (c) Dupuis.
Dès la couverture, on est en Flandres. Une fermette blanche, tuiles rouges, volets peints, devant un bois touffu sous un ciel bas et gris. Cette maison basse est celle de "Merel" qui donne son titre au sensationnel premier album de bande dessinée de la Belge Clara Lodewick (Dupuis, nouvelle collection "Les Ondes Marcinelle", 160 pages). Merel, la quarantaine, est une femme libre, en training et gros pull, vivant sans mari ni enfant un peu à l'écart du village où elle est née. Comme ses voisins avec qui elle est allée à l'école. Fréquentant, comme on dit, de temps en temps un homme plus jeune qu'elle.
Dans le village, chacun a ses occupations et ses passions. Merel, elle, élève des canards, participe à des concours, suit le club de football local et en tient chronique dans la gazette locale. On se retrouve souvent au bistrot ou lors de fêtes locales. Tout bascule un soir, bêtement, comme si un feu couvait depuis longtemps. Merel fait une blague sur la sexualité du mari de l'une de ses voisines. Une voisine dont le couple est en crise. C'est l'embrasement. "Merel est méchante." La rumeur propage le fait que Merel couche avec tous les hommes de son village. "Merel est méchante." Tout d'un coup, tout d'elle devient suspect. "Merel est méchante." Elle sera seule face à tous. Et face aux enfants qui n'y comprennent rien mais ont entendu leurs parents déblatérer et passent à l'acte. Merel entre en enfer. Elle subira toutes les agressions possibles, lâches évidemment, jusqu'aux plus cruelles. Elle parviendra en finale à les dépasser, à faire réfléchir ses voisins, à casser les commérages qui tuent les amitiés et les relations. Et obtiendra, à sa façon, réparation.
(c) Dupuis.
Quel beau et subtil déroulement d'un harcèlement ordinaire nous propose Clara Lodewick, jeune autrice bruxelloise gauchère et bilingue de 25 ans. Elle nous entraîne dans une petite histoire de village finalement très ordinaire qu'elle porte au sommet grâce à la manière dont elle nous fait comprendre ses personnages. Merel bien entendu, mais aussi tous les autres qui, parfois mal dans leur peau, colportent les cancans, jugent sans savoir, suivent la meute finalement. Pas de morale mais un scénario riche et solide, largement développé dans des pages bien remplies par un attachant dessin en ligne claire. C'est toute notre société qui apparaît au détour des pages, le mariage, le célibat, le travail, les enfants, les personnes âgées en maison de repos. Quel travail que ces cent soixante pages, mais quelle réussite! Des dessins posés au stylo-bille sur le papier puis coloriés à la gouache. On remarque que certaines cases perdent leur fond et leur cadre, on comprendra pourquoi à la lecture. Une preuve de plus de la maturité de la primo graphico-romancière qui avait proposé son travail à l'éditeur sans dire qu'elle était "fille de".
(c) Dupuis.
Si la Belgique flamande est présente en littérature, souvent en traduction, elle s'affiche ici en version originale dans les décors et dans les prénoms des protagonistes, Maarten, Bert, Geert, Vera, Finn,.. C'est suffisamment rare pour être remarqué. Une qualité de plus de cette BD qui inaugure magistralement la collection "Les Ondes Marcinelle" des éditions Dupuis, dédiée à la jeune création. Qu'il est agréable de découvrir une nouvelle-venue aussi prometteuse.Pour feuilleter en ligne le début de "Merel", c'est ici.
"Merel" n'est pas la première histoire de Clara Lodewick où interviennent des canards (flamands) à voir son site où apparaît l'histoire courte "Kwak-Kwak" (ici).