Térébenthine est un écrit inclassable : à la fois l'histoire d'un trio d'étudiants Luc, Lucie et la narratrice, il dévie par moments en analyse sur la conception de l'art, sur les études des arts plastiques en France. Tantôt perçu comme roman, il flirte avec l'autofiction tant certains mots, certaines phrases de l'autrice Carole Fives percutent avec l'émotion et le ressenti d'une expérience vécue. Il raconte la mue de trois jeunes étudiants empreints d'idéaux et confrontés à la réalité artistico-économique.
J'ai bien tout aimé dans ce récit : le recul sur le monde artistique et ses évolutions en perpétuelle contradiction (ce qui ne plaît plus devient finalement avant-gardiste), la sincérité sur un monde âpre où l'humiliation est souvent une monnaie de domination. Carole Fives décortique au scalpel les cours où là encore il faut se battre pour faire entendre la voix féminine, les premières expositions, l'art à la mode et l'art du souterrain, les relations amoureuses, le sentiment régulier et douloureux de faire des études qui ne seront pas reconnues et à l'avenir professionnel incertain, l'exigence de sensibilité et la fragilité qu'elle induit. Mêlé de sociologie, le phrasé de Carole Fives est toujours aussi efficace : Térébenthine raconte aussi une époque, celle de l'aura vécue des artistes et de leur nécessaire besoin de reconnaissance, celle de la difficulté de s'affranchir du pouvoir de nuisance de certains mentors. Térébenthine est surtout un hymne à toute forme de résistance et au courage de tous ces artistes engagés qui vivent souvent à l'ombre de leur vivant et dont les œuvres nous ouvrent le cœur, le cerveau et libèrent notre pensée.
Quelques images : un manifeste et un cours salutaires sur l'apport féminin en arts, une exposition qui vire au pugilat et dont le jet final indique toute la malveillance d'un certain milieu, un dépôt de plainte édifiant qui explicite toute la difficulté des victimes à témoigner de la gravité de la situation quand le danger est là.
Editions Folio (bravo pour la première de couverture)