Aujourd’hui c’est avec plaisir que nous vous parlons du Domaine Pouchkine de Sergueï Dovlatov. Publié en mars 2022, Le Domaine Pouchkine est la cinquième œuvre de l’auteur russe édité par les éditions de la Baconnière.
Nous vous avions déjà brièvement parlé de Sergueï Dovlatov au détour d’un bilan mensuel. Et pour cause La Valise s’est hissé dans le top 5 de nos plus belles découvertes de l’année 2021. Alors quand on a vu un autre titre de l’auteur passer dans la Masse critique Babelio de septembre, on a tenté notre chance. Et nous voici aujourd’hui sur le blog pour vous donner nos retours sur ce court roman d’une centaine de pages.
Après avoir mis en scène dans La Zone ses années de gardien de prison, Sergueï Dovlatov nous raconte dans Le domaine Pouchkine, avec ce même mélange d’humour, de tendresse et de pessimisme imbibé de vodka, sur fond de grisaille soviétique, son expérience de guide du musée Pouchkine à Leningrad.
Un récit autobiographique
Comme c’était le cas pour son roman La Valise, qui revenait sur les anecdotes entourant le contenu (souvent saugrenu) de la valise que l’auteur avait emportée lors de son émigration forcée vers les États-Unis, Le domaine Pouchkine est un roman autobiographique. Ici l’auteur se crée un double fictif, Boris Alikhanov, intellectuel Léningradois qui lors d’un été au cours des années 1970 va être amené à travailler en tant que guide au Domaine Pouchkine, un musée créé en l’honneur du célèbre auteur russe.
Si la première partie du récit se penche plus sur l’adaptation de Boris à son nouveau cadre de vie et à son nouveau métier, la seconde partie du roman s’attarde un peu plus sur les problèmes familiaux qu’il rencontre et sur la véritable crise existentielle qu’ils déclenchent.
La première partie du roman est par conséquent beaucoup plus émaillée d’anecdotes et de personnages truculents dont Dovlatov se plaît à nous brosser le tableau avec malice :
« Il faut dire que son discours est organisé selon un schéma assez remarquable. Il n’articule que les substantifs et les verbes. Principalement dans des combinaisons ordurières. Quant aux adjectifs et autres éléments, il en use à la sauvette, prenant au hasard ceux qui se présentent. Je ne parle même pas des prépositions, particules et interjections qu’il élabore au passage. Son discours évoque la musique classique, la peinture abstraite ou le chant d’un oiseau. Les émotions l’emportent sur le sens. »
Le domaine Pouchkine, Éditions de la Baconnière, 2022, p. 58.
On pouffe souvent en lisant Dovlatov et lorsqu’une blague repose sur une référence culturelle purement russe, les éditions de la Baconnière on prit soin de recontextualiser les éléments difficilement compréhensibles pour des non-spécialistes de la littérature et de l’histoire russe. L’humour est tout de même moins présent que dans l’autre ouvrage de l’auteur que nous avions lu et le résultat final est par conséquent, plus sombre.
Un roman plus sombre
Si La Valise nous avait beaucoup fait rire, ça a moins été le cas du Domaine Pouchkine, beaucoup plus mélancolique. Évidemment on retrouve quelques dialogues savoureux et autres situations qui frôlent l’absurde et provoque le rire, mais le tout reste malgré tout beaucoup plus sombre.
« – Où logez-vous? Si vous voulez, je peux téléphoner à l’hôtel. Nous en avons deux. Un bon et un mauvais. Lequel préférez-vous ?
Le domaine Pouchkine, Éditions de la Baconnière, 2022, p. 15.
– Ça demande réflexion. »
L’auteur passe, comme à son habitude, du rire à la crise existentielle en quelques paragraphes seulement.
« La vie s’étendait autour de moi comme un immense champ de mines. Je me tenais au centre. Il fallait diviser ce champ en parcelles et m’atteler à la tâche. Briser la chaîne des circonstances dramatiques. Analyser ma sensation d’échec. Étudier chaque facteur séparément. »
Le domaine Pouchkine, Éditions de la Baconnière, 2022, p. 19.
Décrivant son quotidien au sein d’un pays où le mythe communiste commence à perdre de sa splendeur, Dovlatov nous montre une Russie sous vodka, totalement désespérée.
« Les uns s’apprêtent à émigrer et les autres les méprisent »
Il ne faut pas s’y tromper, la question centrale que pose cette œuvre de Dovlatov est celle de l’émigration. L’auteur voyait lui-même son ouvrage comme un adieu à la Russie. Mais cet adieu ne se fait pas sans difficultés. Comme c’est souvent le cas dans la littérature russe produite alors que l’URSS existait encore, la question du « partir ou rester » se pose inévitablement. Le départ est perçu par certains comme une trahison envers le pays, pour les autres comme un moyen de vivre une vie meilleure, en Occident.
Dès la dédicace de l’ouvrage, on comprend bien que Dovlatov a fini par quitter son pays (comme sa femme le lui avait conseillé), bien qu’à contre cœur, devant abandonner à grands regrets la langue russe, qui représente selon lui « quatre-vingts pour cent de sa personnalité ». Au détour de ce livre, Dovlatov se questionne donc aussi rapidement sur le fait de produire une littérature dans une langue qui n’est pas la sienne ou dans un pays qui n’est pas le sien. Une pratique à laquelle il finira par céder, Le domaine Pouchkine ayant été écrit alors qu’il avait déjà quitté le territoire russe.
Le domaine Pouchkine n’est donc pas un coup de cœur au même niveau que l’avait été La Valise. Il n’en reste pas moins que cela a été pour nous une excellente lecture, qui nous donne envie, encore et toujours de lire plus des ouvrages de cet auteur russe encore assez méconnu en France. On vous le conseille vivement si vous avez peur de vous attaquer à des classiques plus anciens, aux mêmes égards que Ce n’était que la peste de Ludmila Oulitskaïa que nous vous avions conseillé lors d’un précédent bilan lecture.
Publicité Réglages de confidentialité