Finaliste du Prix Jean Giono 2022
En lice pour Le Prix Le Temps Retrouvé
En deux mots
À la fin des années 1950 deux orphelins sont confiés à un orphelinat situé à Jersey. Comme tous les autres pensionnaires, ils vont être maltraités et victimes de sévices sexuels. Plus d’un demi-siècle a passé quand la narratrice débarque sur l’île pour enquêter à la demande de son père qui y fut pensionnaire. Elle devra franchir bien des obstacles pour entrevoir la vérité.
Ma note
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique
L’enquêtrice et les deux orphelins
Maud Simonnot confirme son talent avec ce second roman qui revient sur l’affaire de l’orphelinat de Jersey. On y suit d’une part Simon et Lily, deux des pensionnaires qui essaient de ses soustraire aux mauvais traitements et d’autre part une enquêtrice cherchant à reconstituer leur parcours plus d’un demi-siècle plus tard.
La jeune femme qui débarque à Saint-Hélier sur l’île anglo-normande de Jersey n’est pas venue pour ouvrir un compte bancaire et profiter des largesses de ce paradis fiscal, mais pour enquêter sur une affaire bien plus douloureuse. En 2008, à la suite de découverte de plusieurs cadavres autour de l’orphelinat, une «immense bâtisse victorienne en granit, rendue plus lugubre encore par son histoire», les langues ont commencé à se délier dans ce pays qui cultive le secret comme personne. Le scandale provoqué par la découverte des mauvais traitements et des sévices subis par les enfants a été retentissant. Mais depuis l’affaire s’est tassée. Alors pourquoi remuer à nouveau ce douloureux dossier? Parce que, comme on le découvrira plus tard, son père était l’un des pensionnaires de l’établissement.
C’est à la fin des années 1950, il n’avait alors que trois ans, qu’il a débarqué en compagnie de Lily. La fratrie a longtemps partagé son infortune, mais seul Simon a réussi à prendre la fuite. Désormais, il veut savoir ce qui s’est passé sur l’île maudite, ce qu’il est advenu de ce petit ange qui avait cherché dans la nature environnante de quoi se préserver du mal. Il avait en particulier trouvé le réconfort au petit matin (et la romancière son titre): « C’est son heure préférée, celle où la forêt devenue bleue renaît. Cette heure merveilleuse, suspendue avant l’aube, où tous les chagrins s’effacent, où tous les espoirs semblent permis. L’heure des oiseaux. »
Mais leur projet de fuite va prendre une forme plus concrète après leur rencontre avec un ermite. Ils sont persuadés que le «roi des Écréhou» pourrait les aider à fuir l’enfer qu’ils vivent au quotidien.
On l’a compris, Maud Simonnot a choisi de faire alterner l’enquête menée par la narratrice et le récit de la vie de Lily et de Simon quelques 60 années plus tôt. Un contraste saisissant entre une brutale réalité et un silence pesant, entre l’abjecte violence infligée et la douceur autoproclamée d’un territoire qui vit par et pour la discrétion, entre la cruauté et la poésie.
Ce roman, qui est basé sur des faits réels, s’appuie notamment sur deux témoignages glaçants Personne n’est venu de Robbie Garner ainsi que Ils ont volé mon innocence de Toni Maguire (disponibles au Livre de poche) ainsi que sur le drame vécu par Alphonse Le Gastelois (l’ermite), accusé à tort d’agressions sexuelles. Il s’inscrit également dans la lignée de L’enfant céleste, qui déjà explorait le monde de l’enfance, un monde où tout est encore possible mais aussi un monde où l’innocence bafouée laisse de profonds traumatismes. On retrouve aussi l’île dans L’heure des oiseaux. Mais ici le territoire est une prison, alors que dans le premier roman il constituait d’abord un refuge. En filigrane, on y ajoutera aussi la dimension socio-politique que Maud Simonnot parvient parfaitement à rendre sans attaquer frontalement ces autorités de tous ordres qui ont failli et continuent de privilégier le silence ou, à l’inverse, qui s’acharnent sur le premier bouc-émissaire trouvé.
Un roman bouleversant, qui marque durablement.
L’heure des oiseaux
Maud Simonnot
Éditions de l’Observatoire
Roman
160 p., 17 €
EAN 9791032923146
Paru le 24/08/2022
Où?
Le roman est situé sur l’île de Jersey, principalement à Saint-Hélier.
Quand?
L’action se déroule à la fin des années 1950 et de nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
Île de Jersey, 1959. Pour survivre à la cruauté et à la tristesse de l’orphelinat, Lily puise tout son courage dans le chant des oiseaux, l’étrange amitié partagée avec un ermite du fond des bois et l’amour inconditionnel qui la lie au Petit.
Soixante ans plus tard, une jeune femme se rend à Jersey afin d’enquêter sur le passé de son père. Les îliens éludent les questions que pose cette étrangère sur la sordide affaire qui a secoué le paradis marin. Derrière ce décor de rêve pour surfeurs et botanistes se dévoilent enfin les drames tenus si longtemps secrets.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
20 minutes
Page des Libraires (Chronique de Victoire Vidal-Vivier, Librairie La Manufacture à Romans-sur-Isère)
Zone critique (Thomas de Just)
Culture 31 (Sylvie V.)
C News (Anne Fulda)
The Unamed Bookshelf
Maud Simonnot présente son roman L’heure des oiseaux © Production Librairie Mollat
Les premières pages du livre
« La buanderie est une étuve décrépie, entourée de longs bancs et de hublots sales par lesquels même les jours radieux ne filtre qu’une grisaille diffuse, mais c’est la pièce préférée de Lily. Car ici on l’oublie parfois pendant des heures à la tâche, ici la fillette est enfin tranquille.
Cachée derrière une pile de linge, elle aperçoit dans l’encadrement de la porte l’intendante et le surveillant en chef en train de s’embrasser. Si la jeune femme blonde a un visage disgracieux, le surveillant est bien plus repoussant avec ses manières grossières et l’éclair mauvais qui anime son regard. Lily, comme tous les enfants de l’orphelinat, le déteste et le craint.
D’abord surprise par cette scène inattendue, la fillette sourit. Tant que ces deux‑là s’occuperont de leurs affaires, ils ne seront pas derrière elle.
Le jour où je suis arrivée sur l’île, il neigeait.
J’avais rêvé d’azur, de voiliers et de soleils couchants qui brûlent en silence, j’ai débarqué en pleine tempête dans un endroit où personne ne m’attendait.
Par facilité j’avais choisi un vieil hôtel dans un port du sud de l’île, près de la capitale, Saint‑Hélier, à quelques kilomètres du lieu des crimes. Comme tous les villages bordant cette côte, celui‑ci était bâti au creux d’une baie abritée des tempêtes.
Mon guide précisait : « une superbe baie dessinée par des chaos de roches se perdant dans le bleu intense de la Manche ».
D’ordinaire le soir on pouvait voir, ajouta le patron de l’hôtel, le demi‑cercle scintillant d’une guirlande qui ourlait la côte sur des kilomètres. J’étais prête à croire le guide et cet homme enthousiaste mais ce jour‑là on ne distinguait pas son chien au bout de la laisse, et tout était d’un blanc triste, le ciel comme la mer.
Dans mon esprit se superposaient aussi des images d’archives : j’avais vu un documentaire sur la Seconde Guerre mondiale dans les îles Anglo Normandes et je savais qu’une attaque navale terrible avait illuminé autrement cette jolie anse, les fusées repeignant le ciel en vert et rouge, aux couleurs de l’enfer. Le grondement des canons avait retenti pendant des heures tandis que les sirènes du port hurlaient, recouvertes à leur tour par les cris, les bruits des bottes, les balles traçantes sur la plage…
*
Une fois dans ma chambre, j’ai laissé glisser le lourd sac de toile de mon épaule et passé l’appel téléphonique promis: « Oui, ça y est, je suis à Jersey. »
Lily voit que le Petit a encore pleuré. Parce qu’il a eu peur, parce qu’on lui a dit quelque chose d’effrayant, ou qu’on l’a grondé pour une faute inconnue. Sous la frange trop courte, mal coupée, de ses cheveux fins, les yeux clairs sont cernés.
Elle a une idée. C’est dimanche ; les adultes, après la messe, vaquent à leurs occupations à l’extérieur, l’orphelinat est vide.
Elle court à la cuisine et revient avec quelques légumes dérobés dans un panier du marché.
Il y aura la reine Rutabaga ceinte d’un chiffon blanc. Un œuf de caille trouvé au pied d’un mur, que Lily garde précieusement avec d’autres trésors sous son lit, sera parfait pour représenter l’enfant sur l’autel. Les reflets céladon de la coquille émerveillent le Petit qui n’en a jamais vu de semblables. Lily aligne les carottes comme des soldats de chaque côté et bâtit pour ses autres créatures un mobilier miniature à partir de branchettes.
Le spectacle commence. Le Petit oublie ses larmes, béat devant l’histoire qui se matérialise sous ses yeux. Lily a transformé l’atmosphère autour d’eux avec cette manière si particulière des enfants souverains, capable de réenchanter l’endroit le plus sordide et de créer un monde plus heureux.
Un instant.
Dès le lendemain, j’ai voulu voir l’orphelinat. Face à moi s’élevait une immense bâtisse victorienne en granit, rendue plus lugubre encore par son histoire et le fait que depuis des années elle soit abandonnée aux vents et aux dégâts du temps. Un brouillard marin épais rejoignait un ciel cendré : le décor naturel était en harmonie.
Un des orphelins, parmi les témoins les plus importants du procès, avait déclaré qu’il souhaitait voir démolir cet endroit, symbole de son traumatisme. Dans ce sombre bâtiment bordant la forêt à la sortie du village, des dizaines d’enfants placés par l’Assistance publique avaient subi l’inavouable.
Maltraitances physiques, humiliations, privations, punitions. Et, d’après plusieurs victimes qui avaient enfin parlé, sévices sexuels.
Tout avait débuté en 2008 lorsqu’on avait dégagé les restes d’un corps enterré dans une cave de l’orphelinat sous une dalle de béton. Un appel téléphonique anonyme avait précisé au commissariat l’emplacement des ossements. À partir de là, l’enquête était enclenchée : le chef de la police arriva sur les lieux et fit venir le médecin légiste, la route qui mène au pensionnat fut barrée – elle le resterait des années. Les premières constatations ne permirent pas de trouver le moindre indice supplémentaire, mis à part l’entrée dissimulée d’une autre cave, identique, dans laquelle des prélèvements furent effectués. Il s’avéra rapidement que les ossements provenaient d’animaux, c’était une fausse alerte. L’affaire aurait donc pu s’arrêter là
mais, après la macabre découverte, les langues s’étaient déliées.
La presse locale évoqua des caves secrètes dans lesquelles des enfants auraient été attachés et enfermés sans rien à manger ni à boire, à l’isolement complet. Des journalistes de grandes rédactions anglo saxonnes prirent le relais, tout s’emballa et le scandale médiatique entraîna une bien plus vaste investigation. Des lettres et des appels affluèrent de l’Europe entière.
Au total cent soixante anciens pensionnaires racontèrent les violences infligées par des membres du personnel et certains visiteurs à partir de l’après guerre. L’accumulation des témoignages et leur concordance ne permirent pas sur le moment de remettre en question leur parole.
Les policiers tentèrent de dresser la liste des personnes impliquées et celle des victimes. L’une comme l’autre furent difficiles à établir : l’orphelinat avait été fermé en 1986, on n’avait conservé aucun registre des employés ni des enfants.
Dans l’enquête menée par la Jersey Child Abuse Investigation, une douzaine de spécialistes de la police scientifique furent chargés de la recherche et de l’identification de traces humaines qui pourraient raconter une histoire vieille de plus d’un demi siècle. Car d’autres témoignages signalaient aussi des disparitions d’enfants. La terre brune de l’île fut entièrement retournée aux alentours de l’orphelinat et les enquêteurs furent aidés par les plus fameux limiers du Royaume, deux épagneuls renifleurs déjà utilisés lors de la disparition de la petite Maddie. Mais on ne retrouva pas d’ossements, juste quelques objets tachés de sang, impossibles à identifier.
Et puis plus rien. Dans les médias, le doute sur ce qui s’était véritablement passé dans l’orphelinat s’était peu à peu installé, faute de preuves. La police locale, qui se divisait entre une police dite « officielle » et une police « honorifique » constituée de connétables, centeniers et vingteniers – des citoyens élus depuis le XIVe siècle par les paroissiens pour « le maintien de l’ordre » –, était débordée par une si grosse affaire, rien n’avait pu être fait dans les règles. Des preuves avaient été égarées, les analyses et les témoignages se contredisaient, des informations censées rester confidentielles avaient circulé, certains témoins avaient été intimidés et étaient revenus sur leur déposition… Parmi les suspects encore vivants, trois seulement
furent un temps inquiétés. On conclut à des « défaillances » dans la gestion de l’enquête, le chef de la police, dont l’intégrité gênait les notables locaux, servit de fusible et fut limogé. Last but not least, des experts en relations publiques furent engagés pour redorer l’image du paradis fiscal. Dans l’île britannique, à vingt kilomètres des côtes françaises, l’onde de choc s’éteignit aussi vite qu’elle s’était levée et le bailliage de Jersey put recouvrer sa tranquillité légendaire, ses banques et son bocage verdoyant. »
À propos de l’auteur
Maud Simonnot © Photo Cyril Dion
Maud Simonnot a passé sa jeunesse dans le Morvan et plusieurs années en Norvège qui l’ont inspirée pour ce livre. Sa biographie de Robert McAlmon, La Nuit pour adresse (Gallimard, 2017) a reçu le prix Larbaud et a été finaliste du prix Médicis essai. L’enfant céleste (L’Observatoire, 2020) a été dans la sélection Goncourt 2020, finaliste du Goncourt des lycéens et choix Goncourt de l’Italie.
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