La photo de Sempé qui accueille les visiteurs.
(c) Fondation Folon.
Pour l'un, Sempé, c'est le Petit Nicolas. Pour l'autre, ses dessins de presse. Pour un autre encore, ses couvertures du "New Yorker", 114 si on compte celle qui est posthume (112 entre 1978 et 2018, une en 2019, une en 2022). Artiste extrêmement fécond durant sa longue vie jusqu'à son décès le 11 août dernier à quasi 90 ans (lire ici), Sempé a de quoi réjouir autant les amateurs d'humour que de tendresse, ceux qui s'intéressent au monde, petit ou grand et, bien entendu, les passionnés de dessin. L'immense qualité de l'exposition "Sempé Infiniment vôtre" qui lui est actuellement consacrée à la Fondation Folon à la Hulpe est qu'elle embrasse largement tous les aspects de son art. Quel bonheur d'admirer de près tant d'originaux fort bien choisis, de s'émerveiller devant leurs couleurs intactes, de découvrir les éventuels repentirs au Tipp-Ex ou les annotations du dessinateur! Et quelle surprise devant la taille de certains! Très grands dans les vues exquisément croquées de New York ou de Paris dont les rues jouent avec le soleil et les ombres, ou tout petits quand il s'agit du Petit Nicolas, tellement expressif dans la simplicité de son trait."L'exposition que nous proposons est une longue balade dans l'œuvre de Sempé", m'explique Pauline Loumaye, chargée des expositions temporaires à la Fondation. "Nous avons rassemblé 120 de ses œuvres. A titre de comparaison, l'expo Tomi Ungerer (lire ici) en proposait 80. Le décès de l'artiste en août n'a rien changé à l'exposition. Nous y travaillions avec Martine Gossieaux, son épouse et sa galeriste, depuis un an et demi. Notre défi, vu le nombre d'hommages qu'il a reçus en août, a été qu'on ne pouvait pas se planter."
Pas d'inquiétude, l'exposition est une merveille du genre, permettant d'admirer une formidable série d'originaux remarquablement scénographiés. Ce trait parfait, cet humour, ce sens de l'observation, cette délicatesse, cette empathie, cette joie de vivre, tout Sempé est en majesté aux cimaises ou dans les vitrines horizontales. "La Fondation voulait montrer que Sempé n'est pas que le Petit Nicolas", poursuit notre guide. "D'où le choix d'un parcours thématique plutôt que chronologique." Exception faite de la toute première salle qui montre dix des premiers dessins de Sempé dans les années 1950 pour "Moustique" et "Sud-Ouest". En vis-à-vis chaque fois, les dix couvertures d'époque, dénichées ici et là par Ariane Coquelet, une des commissaires de l'exposition.
Les dessins pour "Moustique".
(c) Xavier Janssens-Fondation Folon.
"Il faut savoir", précise Pauline Loumaye, "que Sempé a réalisé soixante couvertures pour "Moustique" entre 1952 et 1958, établissant là un lien fort avec la Belgique." C'est même dans le magazine des éditions Dupuis que naîtra le Petit Nicolas, en 1954, gamin au début anonyme, réalisé en solo. "Je proposais régulièrement des dessins mettant en scène un petit garçon", dira Sempé. "Le directeur, Charles Dupuis, m'a proposé de lui trouver un prénom. Une publicité pour les vins Nicolas que j'ai croisée m'en a donné l'idée." Le Petit Nicolas était né. Une note interne du directeur des éditions Dupuis, datée de janvier 1954, atteste de son intérêt: "Ce dessinateur est très doué et je suis persuadé qu'il arrivera un jour à la hauteur de Franquin." Scénarisé par René Goscinny, le petit garçon sera l'occasion d'une grande amitié entre ses deux créateurs qui quitteront avec lui le magazine belge. Les histoires du gamin et de ses proches, composées des souvenirs d'enfance des deux amis, atterriront en 1957 dans "Sud-Ouest Dimanche" puis chez Denoël.
Première couverture.
Sempé dessinera ensuite pour "Match", pour "L'Express", pour la revue britannique "Punch" et bien sûr les couvertures du "New Yorker" à partir de 1978. Dix dessins originaux figurent dans l'expo dont celui de la toute première, dans le numéro daté du 14 août.114e couverture.
En réalité, si l'expo "Sempé Infiniment vôtre" s'annonce comme thématique, toutes ses thématiques s'imbriquent les unes dans les autres dans les différentes salles. Que ce soient les "affaires humaines" tellement sensibles, "Sempé et les autres" où sont abordées ses collaborations avec les Français Patrick Modiano et Patrick Süskind et avec le Finlandais Eero Tolvanen, le "Petit Nicolas et l'enfance" et les vacances, en colonie ou chez les grands-parents, ou le "New Yorker". On savoure toutes les facettes de l'œuvre du créateur, le rire qui naît d'un gag, la poésie, la mélancolie, l'empathie, le soin porté à chaque détail. "Sempé n'est jamais dans le jugement mais dans la bienveillance", fait remarquer Pauline Loumaye. "Il arrive aussi à rigoler de sa condition humaine et de la nôtre."
(c) Xavier Janssens-Fondation Folon.
"Mes personnages sont des petits personnages comme vous et moi, qui cherchent seulement à se débrouiller dans la vie", disait Sempé. Qu'il dessine un pianiste de jazz, on entend la musique. Qu'il critique le milieu littéraire, il s'y inclut. Quand il campe une longue séquence où une vieille dame est observée par ses voisins d'en face, on fond devant tant de finesse, de délicatesse, de tendresse devant le temps qui passe. Chaque fois, c'est la vie qui triomphe. Même dans les natures mortes de son atelier. Quel bazar! Un "bazar" magnifiquement représenté. Quant au Petit Nicolas, ses gags visuels sont absolument intemporels et le jeune héros fait toujours autant rire chaque nouvelle génération.
(c) Fondation Folon.
Au fil du temps, Sempé affine sa technique, ajoutant à ses encres de Chine ici de l'aquarelle, là de la gouache. Il joue avec le rythme et les proportions, plaçant régulièrement un tout petit personnage dans un immense décor. Son côté mystique est également abordé par de très belles scènes d'église. Tout comme son goût pour les routes de France qui ont le bon goût des vacances. Partout, on sent le plaisir qu'a Sempé à dessiner le plaisir de vivre, dans une séance de bain de soleil ou dans un parc parisien sous la pluie. Ou encore, quand il montre l'envers du décor des ballerines.
Dessin original pour la couverture du "New Yorker" en mars 2014.
(c) J.J. Sempé.
Virtuose, ses encres de Chine sont parfois proches de la gravure. "Sempé, Infiniment vôtre", est la première exposition d'envergure du dessinateur français en Belgique. Si elle rend parfaitement honneur à l'artiste, elle réjouit aussi le visiteur, peu importe son âge.
Un sublime grand format à l'encore de Chine qui fait penser à de la gravure.
(c) Xavier Janssens-Fondation Folon.
Pratique L'exposition "Sempé Infiniment vôtre" se tient jusqu'au 15 janvier 2023 à la Fondation Folon (drève de la Ramée, 6A -1310 La Hulpe, info et réservations +32 (0)2 653 34 56 [email protected]), du mardi au vendredi de 9 à 17 heures, le weekend de 10 à 18 heures. Plus d'infos ici.