Hoka Hey! (Neyef – Label 619 – Editions Rue de Sèvres)
Dans les majestueux paysages du Far West, le petit Georges récite à haute voix des textes de la Bible devant le pasteur Francis Clemente et l’une de ses amies. Confortablement installés sous un arbre pour pique-niquer, tous deux s’émerveillent devant la détermination et la vivacité d’esprit de ce petit Indien. Celui-ci s’est mué en parfait petit Américain depuis qu’il a été recueilli par le pasteur, qui est par ailleurs l’administrateur de la réserve indienne dans laquelle ils vivent. « C’est fascinant ce que vous avez réussi à faire avec cet enfant », s’exclame la jolie dame rousse. « J’en viendrais presque à le croire aussi intelligent qu’un blanc. » Encouragé, Georges lui révèle qu’il rêve de devenir un jour un grand médecin. « Ha ha! Voyez-vous ça! Un médecin indien? », rigole-t-elle, en soulignant qu’il s’agit d’une idée pour le moins saugrenue. « Tu peux disposer, Georges. Madame et moi avons à faire », lui dit le pasteur, en coupant court à la conversation. Quelques instants plus tard, alors que Georges est couché dans les herbes hautes en dégustant une pomme, il voit passer un drôle de trio à cheval, composé d’un Indien Lakota qui s’appelle Little Knife, d’une Indienne avec un foulard sur le nez qui s’appelle No Moon et d’un cow-boy irlandais qui sent le bouc et qui répond au nom de Sully. Ils sont à la recherche du pasteur Clemente. Lorsqu’ils le trouvent, Little Knife descend calmement de son cheval et demande au vieil homme s’il sait où habite un certain Gavin Atkins. En entendant ce nom, le pasteur est manifestement interloqué, mais il répond qu’il n’a aucune idée de l’endroit où Gavin peut se trouver car il n’a plus entendu parler de lui depuis au moins dix ans. Little Knife lui révèle alors qu’il est le fils de Blue Flower, un autre nom qui semble perturber le pasteur. Et il menace de lui tirer une balle dans le foie et de scalper sa jeune amie s’il ne lui dit pas immédiatement où se trouve Gavin. Devant la froide détermination de l’Indien, le pasteur finit par lâcher que l’homme en question vit à Twin Points, une petite ville minière au nord de l’Etat. Ayant obtenu ce qu’il voulait, Little Knife n’hésite pas à abattre froidement Clemente et son amie… sous les yeux de Georges, qui était caché derrière un arbre mais qui a tout vu. Celui-ci tente de s’enfuir, mais les trois cavaliers le rattrapent sans problème. L’Indien hésite à flinguer le gosse, car il se dit qu’il ne parviendra pas à tenir sa langue, mais No Moon le fait changer d’avis. En découvrant que Georges est lui aussi un Lakota, Little Knife décide d’emmener le garçon avec eux jusqu’à ce que leur affaire son terminée et de lui faire découvrir le monde en-dehors de la réserve. Mais ce qu’il ignore, c’est que la jeune femme du pique-nique a survécu à ses blessures… et qu’elle vient de révéler leur destination au chasseur de primes qui les poursuit!
« Hoka Hey! » est un cri de guerre Lakota qui signifie « En avant! ». On le hurle à la face de ses ennemis lorsqu’on s’élance dans la bataille. En enseignant ce cri au petit Georges, le fier guerrier Little Knife a une idée bien précise en tête: il veut permettre au jeune garçon de renouer enfin avec ses racines et de (re)découvrir le mode de vie des Indiens Lakota. C’est l’un des aspects les plus intéressants de cette BD, qui est plus qu’un simple thriller haletant, puisque c’est aussi un récit psychologique autour de la thématique de l’assimilation culturelle et de l’impossible relation entre les Indiens et les envahisseurs blancs. Alternant des scènes d’action spectaculaires et violentes avec des séquences plus contemplatives et d’autres moments beaucoup plus bavards, le découpage de « Hoka Hey! » fait penser à celui d’un film de Quentin Tarantino. Il faut dire que cet album est beau comme du Cinémascope. Grâce aux grandes pages et à la qualité du papier, mais aussi grâce à l’utilisation habile de la lumière et des couleurs, on a vraiment l’impression d’être au cinéma. On est immergé au milieu des Rocheuses, avec ses ciels tourmentés, ses hautes herbes, ses forêts presque vides et ses ambiances nocturnes. Visuellement, c’est remarquable. Il faut bien le reconnaître, ce roman graphique ambitieux est un western grand format et grand spectacle. Sur 224 pages, Neyef prend son temps pour installer un décor somptueux et des personnages attachants. L’auteur français a travaillé plus de deux ans sur cet album et ça se ressent, tant le résultat final est particulièrement réussi. « Hoka Hey! » est un album publié par les éditions Rue de Sèvres, mais c’est surtout le logo du Label 619 qui frappe sur la couverture. Neyef est effectivement l’un des membres de ce studio de création particulièrement intéressant, au sein duquel on retrouve également des auteurs tels que Run, Florent Maudoux et Mathieu Bablet. C’est également ce Label 619 qu’on retrouve derrière le tout aussi réussi « A Short Story », une passionnante BD documentaire sur le célèbre fait divers du Dahlia Noir, elle aussi parue chez Rue de Sèvres. Mais ça, c’est une autre histoire. En attendant, retenons surtout que « Hoka Hey! » est un western magnifique et triste, qui plaira à coup sûr à tous les amateurs du genre.