Philippe Corentin par lui-même.
Quelle tristesse. Philippe Corentin, né Philippe Le Saux, est mort ce lundi 7 novembre. Il rejoint son jumeau Alain Le Saux, décédé le 14 mars 2015 (lire ici), avec qui il créa ses premiers albums pour enfants au début des années 1980. L'itinéraire des deux frères nés à Boulogne-Billancourt le 16 février 1936 a été parallèle: intérêt pour l'art, illustrations pour la presse et la publicité avant de prendre le virage de la littérature pour enfants. En rigolant, de préférence.
Philippe Corentin a éclairé, renouvelé, amusé la littérature de jeunesse dans les années 1990 principalement, avec une production à l'école des loisirs aussi soutenue que variée, et ce graphisme personnel aux teintes pastel un peu délavées. Génération après génération, il enchante toujours autant les enfants.
Avant de parcourir son œuvre, ces mots d'Arthur Hubschmid, co-fondateur de l'école des loisirs, qui fut son éditeur.
“Une histoire doit être faite non pour endormir les enfants mais pour les réveiller.”Philippe Corentin est mort le 7 novembre 2022 à l'âge de 86 ans. Il a publié 21 albums à l'école des loisirs. Le premier "Mademoiselle tout-à-l'envers" en 1988 et le dernier "N'oublie pas de te laver les dents!" en 2009. Ces 21 livres forment une pléiade d'histoires drôles qui - fait très rare - font rire enfants et adultes. Chacun de ses livres nous emmène dans un dédale de mauvaise foi qui pour Philippe fut toujours le fond commun de l'humanité. Avec candeur et tendresse, ces héros s'obstinent dans des aventures grandiosement échafaudées, finissant toujours avec un éclat de rire. Il était maître dans l'art de combiner les images et les mots. Il n'illustrait pas, il contait avec mots et images. C'est ensemble, en se complétant, qu'ils font sens, et qu'ils nous font rire. Ses héros, les Zigomar, Pipioli, Mademoiselle Sauve-qui-peut ou tout-à-l'envers, ont la truculence et la mauvaise foi chevillées au corps. "Quel talent, hein!" s'exclamait-il quand il venait nous présenter ses projets. C'était de l'autodérision, évidemment. Maintenant, nous approuvons tous. Philippe nous a fait rire les premiers, puis il a fait rire ses lecteurs, enfants et parents. En France d'abord, puis dans le monde entier. Et oui, c'est triste, il n'y aura plus de nouveau livre de Philippe Corentin. Mais ses livres, eux, restent et continueront à nous faire rire.
Autoportrait.
En parcourant les archives du journal "Le Soir", je m'aperçois que j'ai présenté quasi tous les livres de Philippe Corentin, dès "Mademoiselle Tout-à-l'envers" en 1988, cette cousine bizarre Chiffonnette qui bouscule gentiment les habitudes des deux souricettes Trottinette et Totoche.
Un an plus tard, "Le Père Noël et les fourmis" bouscule les standards du genre de l'album de Noël. L'auteur-illustrateur tisse une toute nouvelle trame sur une chaîne ancienne en soignant ses cadrages. Son héros sort de temps ancestraux mais tout le reste, contexte, scénario, traitement des images, appartient à notre monde moderne. Et tout sonne juste. Même à côté de la télévision à écran plat.
En 1990 débarque Zigomar, ce merle plein d'assurance au nom exquis, qu'on retrouvera dans plusieurs albums. En Afrique, en instructeur de vol ou en rêveur végétarien! Corentin se prend au jeu et publie à tour de bras, revisitant les histoires classiques comme la traversée d'une rivière par un ogre, un loup, une petite fille et un gâteau ou le petit chaperon rouge, présentant les papas comme jamais auparavant, testant le format à l'italienne, portant le farfelu au plus loin. Qu'il traite de gourmandise, d'amitié, d'aventures. Bien sûr, il s'occupera de loups et de pleins d'autres animaux et bousculera les attendus qu'on leur prête. Il livrera même une histoire triste, enfin triste à sa manière. Dans les années 2000, le rythme de parution faiblit mais pas la force de l'humour, de la dérision et de ses formidables provocations.
Enfant terrible de la littérature de jeunesse française, autoproclamé "gribouilleur", et même "génial gribouilleur", Corentin a été avant tout un rigolo. Adoré par les enfants. Pas toujours compris par les parents. Il déploie des trésors d'humour et de fantaisie, servis par un graphisme original et percutant. Iconoclaste, il bouscule allégrement ce qu'il rencontre sur son passage. Tout fait eau à son moulin: les habitudes, les bonnes manières, les contes, les loups et les ogres qu'il relève d'un non-sens très personnel. Au téléphone, il me l'a dit plusieurs fois: "Il faut les réveiller avec des histoires qui les font rire. Les enfants adorent les chatouilles, alors chatouillons-les dès le matin avec des livres guili-guili. Moi je fais des livres guili-guili."