Les frontières entre les différents genres, les différents styles, sont aujourd'hui bien plus minces qu'autrefois. Il n'est plus tabou de présenter un comic book clairement orienté vers le manga, et c'est tant mieux, serait-on tentés de déclarer, à la lecture de Demon Days, publié par Panini en ce mois de novembre. Clairement, je ne suis pourtant pas le public de cette opération, mais si mon regard sur l'ouvrage, sur le produit fini, est globalement très positif, vous pouvez aisément comprendre que ceux qui sont sensibles par nature à cette approche des autres seront probablement ravis. Au départ donc, il s'agit d'une énième réinterprétation des icones Marvel, cette fois placées dans le folklore du Japon d'autrefois, entre monstres horribles et découpes franches au katana. L'histoire débute il y a de nombreux siècles de cela, avec une légende qui prend sa source sur les flancs du mont Kirisaki. Là-bas, les habitants ont un problème de cohabitation avec les Oni, une race en apparence monstrueuse mais plutôt inoffensive, jusqu'à ce que le mépris des premiers cités pour le territoire et la nature qui héberge ces Oni ne pousse ceux-ci à s'aventurer où il ne faudrait pas, de manière pas toujours amicale. La jeune et belle Mariko Yashida (qui fait écho à la fiancée historique de l'ami Wolverine) est l'héroïne de ce récit, et elle va croiser des personnages haut en couleurs, les versions "Japon féodal" de Hulk, Venom (en gros serpent maléfique), Logan (ici transformé en un loup) ou encore Black Widow. Le premier chapitre permet de poser les bases de tout un univers, qui prend véritablement son essor avec les premières pages d'un arc narratif consacré au clan Yashida. Mariko rêve, en réalité. C'est en feuilletant les pages d'ouvrages fantastiques que lui viennent ces songes, encore que finalement… peut-être est-elle juste la marionnette de quelque chose de plus sombre, comme un récit familial alternatif, où il serait question de sa véritable identité. Plus vraiment la gentille jeune fille élevée par sa grand mère, avec une servante dévouée à son service, mais la fille d'un Oni, qui détiendrait les clés (métaphoriquement, et aussi matériellement) de quelque chose d'autre.
On se trouve donc avec un récit initiatique. une jeune fille qui est en quête de son identité, doit comprendre et renouer avec ses racines, tout en affrontant des épreuves pour lesquelles elle ne semble pas taillée, au départ. Sauf qu'elle se découvre un grand courage et des facultés extraordinaires, avant la révélation finale, c'est à dire ce qui s'est vraiment produit avec sa mère, étant toute petite; et cela concerne aussi la sœur, qui va jouer un rôle important dans toute la seconde partie de ce Demon Days. On va y retrouver un Hulk féodal japonisant, une Mystique des plus méchantes, un duo Thor/Tornade qui conserve des pouvoirs de base qui ressemblent à ceux qu'on connaît chez Marvel, d'autant plus qu'ils sont présentés comme des dieux. La quête de Mariko se révèle alors très réussie, voire passionnante par instants, même aux yeux de qui n'est normalement pas trop sensible à ce genre de littérature. Ce qui nous amène à Peach Momoko, devenue en l'espace de deux trois ans une star chez la Maison des Idées, avec de nombreuses couvertures récompensées (l'Eisner Award, excusez du peu) et ce Demon Days dont la suite est en cours de parution. La chorégraphie des ballets de la violence est très réussie et inventive. Des bras sont tranchés, du sang coule, mais ça reste joli et onirique, porté par des aquarelles qui flirtent sur certaines planches avec le dénuement, l'économie totale de moyen. Panini Comics ne s'y est pas trompé, puisqu'outre une édition régulière à 26 euros, qui reprend l'intégralité de cette histoire, est disponible une version collector limitée, vendue dans un très beau coffret, pour le prix (un peu moins abordable, mais il s'agit d'un objet pour collectionneurs tiré à 500 exemplaires) de 80 euros. Le point fort de Demon Days est de s'adresser de la même manière à tous les publics, que ce soit une question de différence d'âge, ou d'habitude de styles de lecture. Une sorte de crossover entre différentes sensibilités, qui possède son propre parfum charmeur et charmant. Une bonne surprise, pile poil pour le grand rush des cadeaux de Noël...