Sur la planète Oeagre, paisible colonie de la Terre, d'étranges événements se produisent soudain : en plein été, les récoltes gèlent, la terre tremble, le sol s'entrouve. Sans raisons apparentes. La Terre croit à la guerre, mobilise et envoie ses légions. Mais contre quel adversaire ? Et la plus terrible de ces agressions est sans doute la folie collective qui s'est emparée des habitants d'Oeagre. Sans explications, mus par une impulsion irrésistible, ils quittent leurs maisons et leur ville et se dirigent en un effrayant cortège vers un but imprévisible, comme des lemmings. Dans cette cohue mortelle, Lorbeer le logicien a deux raisons de percer le mystère : d'abord retrouver la femme qu'il aime, Laurelance. Ensuite accomplir la mission que lui a confiée Erms, dieu du hasard, auquel il ne croit pas.
Pourquoi ce livre ? Acheté et dédicacé aux Imaginales 2019, je me souviens de l'avoir pris sur un coup de tête, alors que j’avais fini le très sublime diptyque La Lyre et le Glaive du même auteur. Bref, quatre ans plus tard sur une sélection de Mister, ce livre sort enfin de ma PAL.
La plongée sur cette Planète inquiète n’est pas aisée. Dans un style très littéraire, très relevé, on va suivre plusieurs temporalités, découvrir plusieurs personnages sans avoir d’explications, entrer dans le vif du sujet sans véritable amorce. Ce fut une expérience déroutante mais non pas moins envoûtante. Je vais en reparler plus tard mais la plume de l’auteur m’a très vite happée, m’a portée jusqu’à la fin. Ce fut donc un début à l’immersion difficile et le meilleur moyen de l’aborder est de se laisser couler dans le récit. Ce n’est pas un scénario original, dans le sens où on retrouve des sujets très marquants quand on évoque la chute d’une civilisation, ici d’une colonie terrienne : politique, religion, un peu de philosophie sur les événements. Toutefois j’ai adoré la façon dont s’est abordé, au travers du cheminement du personnage principal, Lorbeer, dévoué à sa quête personnelle qu’est la recherche de son amour passé. Parti avec des idées plutôt préconçues, on va assister à son évolution, notamment celle de sa pensée et de son regard sur le monde et les autres.
Si cela a contribué à me perdre en début de roman, j’ai adoré la déconstruction de la temporalité. Il faut que ce roman n’est composé d’aucun découpage (chapitre, partie). La seule marque typographique est déterminée par un astérisque, les seules pauses dans le récit. Et il n’y en a pas beaucoup. De fait, les changements de temps entre passé et présent ne sont marqués que par les sauts de ligne, ce qui perturbe énormément au départ : on n’a pas le temps de se familiariser avec un personnage ou un décor, une ambiance, qu’on change directement pour quelque chose de totalement différent. Cependant une fois habituée à cela, j’ai trouvé que c’était original et que les réponses entre passé et présent apportaient une atmosphère à l’ensemble. C’est à partir de cette petite révélation que je me suis laissée portée plus facilement par le récit.
La femme est sacralisée dans cette histoire, cependant je ne suis pas sûre d’avoir apprécié la façon dont elle est décrite, à embellir son physique en passant outre ses possibles qualités intellectuelles. Je suppose que cela sert le propos final, quand Lorbeer comprend enfin certaines choses, qu’il se rend compte de certaines réalités, toutefois cela peut paraître maladroit dans la société actuelle - et je le dis sans me sentir féministe moi-même…
Je ne peux pas dire que je me sois attachée aux personnages mais je reconnais une certaine fascination pour la quête intime de Lorbeer. J’étais curieuse de savoir s’il allait retrouver cet amour passé et surtout dans quel état elle serait, après la grave crise que connaît la colonie. Au-delà de ça, ce fut compliqué d’apprécier la multitude de personnages que l’on suit quelques lignes par-ci, quelques lignes par-là, toujours dans ce jeu de saute-moutons temporel. Ce n’est pas qu’ils soient mauvais, simplement qu’il est complexe de déterminer et retenir qui est qui.
La plume de l’auteur est un véritable atout dans ce récit. Je ne saurais comment décrire ce style qui donne le sentiment de lire de la poésie sur trois cent pages. C’est très littéraire mais cela reste accessible, avec une douceur qui contrebalance l’urgence de cet effondrement.
Un petit bijou de science-fiction comme j’en lis trop rarement. Je ne me suis peut-être pas attachée aux personnages, le voyage du protagoniste Lorbeer m’a fascinée : la quête intime de son amour passé permet de dessiner les traits d’une société en chute libre, soulevant ainsi une foule d’interrogations sur les différentes valeurs qui façonnent nos vies. L’intrigue n’est pas originale, mais la forme du récit et la déconstruction temporelle rendent le voyage unique. Que dire du style de l’auteur, une vraie pépite littéraire qui se lit aisément. Oui, ce voyage me restera longtemps en mémoire.
16/20