Auteur : John Le Carré
Éditions : Éditions du Seuil
Paru le : 07 octobre 2022
240 pages
Thème : Polar
disponible sur le site de l'éditeur
et sur Amazon
J'ai adoré !
Résumé
« Julian a volontairement troqué son job lucratif à la City contre une librairie dans une petite station balnéaire de la côte est anglaise. Mais à peine est-il installé qu’un visiteur surgi de nulle part vient bouleverser sa nouvelle vie : Edward, immigré polonais habitant la vaste demeure en bordure de la ville, semble en savoir beaucoup sur sa famille, et porter trop d’intérêt à a bonne marche de son entreprise.Lorsqu’une lettre parvient entre les mains d’un haut gradé des Services, l’avertissant qu’une taupe organiserait la fuite d’informations confidentielles, son enquête le conduit jusqu’à cette paisible localité du Norfolk.
Dans L’Espion qui aimait les livres, John le Carré révèle les affres et les doutes des agents secrets, dans l’exercice de leur fonction comme derrière des portes closes de leur foyer. Par-dessus tout, il dénonce comme jamais auparavant les faiblesses du Renseignement britannique. Un roman passionnant, point d’orgue d’une œuvre grandiose.
« John le Carré n’a pas simplement écrit un roman palpitant, il nous a laissé un avertissement. »
The Washington Post. »
Ma chronique
Je remercie la masse critique de Babelio ainsi que les éditions du Seuil pour l'envoi de ce livre. C'est la première fois que je lis cet auteur et je dois admettre que je vais aller fouiner pour y découvrir ses autres titres. "L'espion qui aimait les livres" est son dernier, celui qu'il n'a pas vu paraitre. Cela fait bizarre de se dire qu'il ne l'a pas tenu en main et j'espère que de là où il est, il est fier de ce qu'il a accompli.
Nous suivons plusieurs personnages, certains sont des espions, d'autres non. La vie d'un tel personnage n'est pas de tout repos. Se souvenir de ce qui a été dis, fait, ne jamais se tromper, rester sur ses gardes, garder secret même envers sa famille, l'espionner au passage en cas de doute si le conjoint serait capable d'être également un espion d'un autre clan. Le passé d'un tel homme (ou femme) est tout sauf cousu de fil blanc. Les dossiers sont épais, les histoires terriblement crédibles de l'enfance, de l’adolescence, des petit(e)s ami(e)s... Tout y passe et parfois la vie de famille n'est qu'un leurre. Nous ne sommes pas totalement plongés aux côtés de ces hommes et femmes qui vivent tels des espions ou juste des compagnons qui savent ou non, mais ce n'est pas grave. Les émotions sont nombreuses et bien présentes, impossible de ne pas les ressentir. Nous sentons que ces personnages font de nombreux sacrifices pour un monde qu'ils veulent meilleur, pour une idéologie qui ne plaît pas à tout le monde. Et dès que le doute survient, c'est tout un monde qui se met en quête de savoir : Qui a fait quoi ? Qui a dis quoi ? Et à qui surtout ? Comment faire confiance ? Comment croire des mots de gens auquel on leur a menti toute leur vie ? De nombreuses questions se posent et le malaise s'installe lentement, mais surement.
Ce fameux malaise, ou mal-être de personnages qui se doutent, imaginent et tombe au cœur d'une machination sans le savoir. Je me suis posée et me pose encore la question de savoir qui est vraiment Julian. Ce personnage qui quitte tout pour ouvrir une librairie et fait la rencontre d'autres protagonistes qui vont l'entraîner dans un monde. Mais connait-il déjà ce monde ou n'est-il qu'un homme parmi tant d'autres ? Qui peut véritablement le savoir ? Tout comme Deborah, Edward (ou Edvard selon qui parle avec accent), Celia ou encore Ania, Proctor et bien d'autres. Pour certains c'est assez facile de comprendre qui ils sont, pour d'autres, le flou persiste et ce n'est pas plus mal. Cela me fait penser à "tout le monde peut être suspect", pouvant devenir "tout le monde peut-être un espion". C'est à la fois drôle de chercher qui est qui et par la même occasion frustrant de ne pas savoir. La vie d'un espion est tout sauf la vérité pour les autres. Elle va vite sans possibilité de pouvoir revenir en arrière, sans laisser le temps aux personnages de vraiment comprendre dans quel engrenage ils ont mis le doigt. Signer pour éviter la prison ou bien pire afin d'entrer dans un cercle privé est quasiment vital. Il faut déterminer si ce sont les bons ou non, si le retournement de situation ne pourrait pas être favorable, mais à qui ?
Les personnages sont doués pour dissimuler la vérité et camoufler le mensonge, mais dans ce récit ils montrent aussi bien leurs forces que leurs faiblesses. Des protagonistes rendus plus humains avec leurs doutes et leurs propres questionnements. Les sacrifices sont parfois vains, ils n'auront jamais la sérénité voulu. Même entre plusieurs espions les demi-mots sont utilisés, les regards furtifs, la recherche d'écoute. Un espion n'est jamais véritablement bien dans sa peau et ça, l'auteur nous le montre parfaitement bien avec les divers échanges. Rien que le premier chapitre nous montre trois personnages dont deux qui vont devenir principaux à un instant de ce récit et entre eux, nous avons déjà de la méfiance, des doutes, du questionnement de qui a bien pu dire quoi à un intrus. Ces premiers instants nous indiquent qu'il va falloir faire attention à chaque mot prononcé, chaque geste placé, car il y a forcément un but. Julian avait besoin de se "retrouver" et cette librairie lui permet de fuir la ville. Edward Avon a le bagou, le moyen de parler de tout et de rien pour vous faire parler. Il est agréable de l'écouter, de l'aider comme il vous aide pour faire aboutir des projets. Rien n'est gratuit semble être souvent de mise. C'est étrange de comprendre ce qui se passe vraiment vers la fin. Nos propres doutes sur les personnages (dont je n'ai que vaguement parler pour ne mettre personne sur une piste) s'atténuent peu à peu et même avec le point final, je me suis demandée si certains faits étaient bien réels, pour le récit bien entendu.
Devenir libraire... Je ne m'attendais pas à ce qu'il vive une telle aventure et pourtant ce n'est que le haut de l'iceberg. En mettant de côté l'espionnage, Julian va au-devant de ses proches voisins, découvre qui ils sont, parle porcelaine, écoute des avis, rencontre des personnes qui vont devenir importantes pour lui. L'amitié, l'amour, la confiance l'entraide, Julian est un homme qui est ouvert et ne fait pas cas de la maladie. il reste lui-même tout en essayant de garder le sourire. C'est un récit assez sombre de part les multiples secrets, mais cette petite lueur d'espoir qui naît aux creux de deux mains qui se rejoignent ne plonge pas l'histoire dans une profonde noirceur. Oui, nous avons la méfiance qui est encastrée dans chacun des espions du livre, pour autant l'envie de vivre autre chose apporte ce souffle qui donne envie de lire le livre dans son intégralité et vite. Nous sentons par moment des pointes d'ironie, cachant de la colère. Un peu d'humour noir, de nombreux traumatismes qui obligent certains d'entre eux à vouloir se protéger derrière une façade ou une fuite, être un espion britannique est complexe.
L'écriture est assez particulière au niveau des échanges. Je l'ai trouvé fluide avec les dialogues qui sont écrit différemment de ce que j'ai l'habitude de lire et j'ai aimé cela. Ils sont parfois intégrés dans le texte, parfois à part, cela reste simple à suivre. Ce ne sont pas des espions avec tout plein de gadgets comme dans les missions impossible, la voiture volante il faut l'oublier. Un peu comme des anciens qui remettent le couvert, c'est plus sobre. Dans tout cela une enquête est dirigée par un personnage qui semble avoir la tête sur les épaules, ne juge pas trop vite et semble vouloir ériger un autel pour celui qui est au cœur de cette enquête. La Postface est vraiment très intéressante, écrite par le fils de l'auteur qui nous raconte pas mal de détails et d'avis.
En conclusion, le thème de l'espionnage est vraiment mis en avant. C'est un récit que j'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir, aussi bien par le sujet qui est bien travaillé (et on ne se demande pas pourquoi en ayant terminé jusqu'à la toute fin) que par la plume de l'auteur. La hiérarchie, les agents dormants ou non, la manipulation, le protocole se doit d'être respecté, auquel cas vous risquez d'avoir un certain personnage qui va fouiner plus loin que les faux dossiers crées. Les doutes ne nous quittent pas et la fin ne peut que nous faire sourire malgré tout. Une très bonne lecture qui me donne envie de découvrir d'autres titres de l'auteur.
Extrait choisi :
« Ils marchèrent d'abord à une certaine distance l'un de l'autre, chacun dans sa propre zone, comme des victimes hébétées après un accident de voiture. Puis elle lui prit le bras. La nuit était grise, humide, très calme. La vieille camionnette était toujours garée sur l'aire de repos, mais les deux amoureux avaient dû s'installer à l'arrière ou se séparer. En remontant la grand-rue, ils passèrent de la section pauvre, enfilade de magasins caritatifs éclairée par des lampadaires à sodium orange, à la section riche, d'un blanc dont Aux Bons Livres de Lawdsley était le tout dernier fleuron. Sans qu'ils échangent un mot, elle le suivit dans l'escalier de service jusqu'à son appartement. Le salon était aussi dépouillé que le moine en lui l'avait voulu : un canapé à deux places, un fauteuil, un bureau, une lampe d'architecte. La baie vitrée donnait sur la mer, sauf que ce soir il n'y avait pas de mer, simplement des nuages maussades et des larmes de pluie. »