- Titre : Tous tes amis sont là
- Auteur : Alain Dulot
- Illustration de couverture : Benoît Preteseille
- Editions : Editions de la Table Ronde
- Date de parution : 13 janvier 2022
- Nombre de pages : 176
- ISBN : 979-1-037-109989
L'auteur
(Photo Editions de la Table Ronde)
Alain Dulot vit entre Paris et l'Ain, d'où il est originaire. En 1983, son roman La Reconstitution a paru chez Gallimard, suivi en 1986 de Le Marécage.
Quatrième de couverture
Le 8 janvier 1896, au 39 de la rue Descartes, Paul Verlaine s'éteint, à l'âge de cinquante et un ans. Le 10 janvier au matin, la foule est dense dans le quartier Mouffetard : proches et curieux, rosettes de la Légion d'honneur et guenilles trouées, vieilles barbes et jeunes moustaches, gens de peu et hauts de forme s'écartent pour laisser passer le corbillard. Alain Dulot se joint au cortège pour suivre la dépouille jusqu'au cimetière des Batignolles en s'adressant au prince des poètes. Il évoque sa mère Élisa, ses amis, la société littéraire qui l'entoure, ses amours tumultueuses - avec Mathilde Mauté, Arthur Rimbaud, Philomène Boudin et Eugénie Krantz - teintées de sa faiblesse pour l'absinthe. Et sa passion sans faille pour la poésie, des tavernes à l'hospice, de la prison aux cabarets, jusque sur son lit de mort.
Mes impressions
Dans ce récit, Alain Dulot se joint au cortège funèbre du poète Paul Verlaine le 10 janvier 1896, de la rue Descartes jusqu'au cimetière des Batignolles, où l'écrivain sera inhumé auprès de ses parents. Il s'adresse à lui, et nous raconte à nous, la vie tumultueuse de l'intéressé.
Trois parties se distinguent dans ce livre. Tout d'abord la vie "de famille" de Verlaine, son mariage de courte durée avec Mathilde Mauté, sa relation fusionnelle avec sa mère, ses amours avec Rimbaud, Philomène Boudin et Eugénie Krantz, qui gagnera la partie et sera celle qui accompagnera Verlaine jusqu'à sa dernière demeure.
p.24 "Il t'a fallu choisir entre ces deux créatures qui te partageaient et entre lesquelles tu te partageais toi-même : la légère ou la mégère. La mignonne frivole ou le robuste laideron. "Esther" ou "Nini". Philomène ou Eugénie. La Boudin ou la Krantz."
Dans un second temps l'auteur nous fait vivre les derniers moments du poète, le 8 janvier 1896, au 39 de la rue Descartes. ans Pour finir il nous invite à nous joindre au convoi, auprès des amis, connaissances et illustres inconnus qui rendent un dernier hommage à Verlaine.
Cette dernière promenade, traversée de Paris du sud au nord, est l'occasion de nous parler de sa vie, de ses comparses, collègues, amis et ennemis, des soirées d'ivresse dans les brasseries du Boul'Mich. Quand la cérémonie s'achève à Saint-Etienne-du-Mont, le cortège s'ébranle et s'étire, passant devant les lieux les plus importants de la vie du poète.
p.151 "La traversée de la ville a été la traversée de ta vie."
Du Panthéon à la coupole de l'Académie en passant par le jardin du Luxembourg, François Coppée, Stéphane Mallarmé, Paul Fort, Charles Mauras, Maurice Barrès, Paul Valéry et tant d'autres, "Tous tes amis sont là." Mais pas ton fils.
Un récit passionnant et émouvant, drôle parfois. Un voyage dans le temps, dans Paris, dans la vie de Verlaine. L'auteur tutoie le poète et nous donne ainsi une impression de grande proximité. Le style est poétique et l'écriture légère, enlevée. Un récit très agréable à lire. J'ai beaucoup aimé ce voyage avec Verlaine, même si c'était son dernier.
Et que dire du sublime bandeau illustré par Benoît Preteseille qui résume si bien l'esprit du livre ?
Un grand merci à Babelio et aux Editions de la Table Ronde pour l'envoi de ce livre !
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p.16 "L'hôpital était devenu ta résidence secondaire. Puis principale. L'hiver surtout, parce que tu y trouvais la chaleur, avec certes le ronflement des voisins mais surtout celui d'un poêle à charbon. L'Ancien Régime, qui avait le souci de protéger ses talents, t'aurait sans doute pensionné. La République, elle, t'a offert l'abri de ses établissements de soins. "
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p.26 "Tu avais trouvé ton port. Avec elle, tu as voulu reconstituer un ersatz de famille, l'apparence d'un foyer, de cette vie "simple et tranquille" que, sans succès, tu as toujours recherchée. Toi qui avais tant rêvé de la paix domestique, de la "lueur étroite de la lampe", de "l'heure du thé fumant et des livres fermés", de "la douceur de sentir la fin de la soirée", toi qui avais gardé la nostalgie des premiers mois de ton mariage avec Mathilde Mauté de Fleurville, du bel appartement des bords de Seine avec son parquet ciré, ses meubles vernis, son piano à queue, le linge brodé à vos deux chiffres réunis, le balcon ouvrant sur Notre-Dame de Paris et l'île Saint-Louis, tu avais créé ici, avec elle, ce climat de sécurité auquel depuis si longtemps tu aspirais."
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p.42 "Tu aimais les aubes multicolores, les crépuscules enflammés, les promenades par les chemins creux, la course des nuages dans le ciel, les jeux de lumière dans les sous-bois, comme tu aimais les tenues de campagne, les mets roboratifs et les longues étapes à l'auberge toute proche. Mais l'agriculture, c'est autre chose... Et si tu excellais au maniement du porte-plume, tu étais nettement moins doué pour celui de la bêche et de la charrue."
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p.50 "Tout avait commencé par une lettre. Celle qui t'attendait chez ton éditeur, à la fin de l'été 71, lorsqu'en compagnie de Mathilde, déjà en fin de grossesse, tu rentrais du département du Nord où tu avais jugé plus sage de te réfugier après l'épisode si violent et si compromettant de la Commune. L'enveloppe portait le cachet de Charleville. Un garçon de dix-sept ans y clamait son enthousiasme pour ta poésie et t'envoyait ses propres vers, cinq poémes qui t'ont paru "d'une beauté effrayante". Très vite, une seconde lettre est arrivée, accompagnée de trois autres poèmes. Ton correspondant disait étouffer à Charleville, rêver de Paris... Ebahi par la qualité de ces textes au ton si neuf, tu les as fait circuler dans ton entourage poétique, où ton sentiment a été partagé. D'autres courriers sont arrivés des Ardennes : "Je suis empêché de venir à Paris, étant sans ressources. Ma mère est veuve et extrêmement dévote." Sans ressources ? Qu'à cela ne tienne ! Tes amis poètes et toi vous êtes cotisés pour offrir le voyage au jeune prodige. Et tu as pris la plume : " Venez, chère grande âme, on vous attend, on vous admire."
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p.70 "Et lorsque Rimbaud et toi déambuliez dans les rues mouillées de Londres et dans la soûlographie, vous deveniez des vagabonds célestes. Seul le "dérèglement de tous les sens" permettait d'accéder à un au-delà sublime, celui de la poésie. Comme tu l'as écrit toi-même : "Ah ! Si je bois c'est pour me saouler,non pour boire."
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p.109 "Devant le Panthéon, justement, le convoi, un instant, marque le pas : "Aux grands hommes la patrie reconnaissante"... As-tu imaginé, toi aussi, rejoindre ce charnier prestigieux ? Un soir où tu étais en verve, tu as demandé qu'on t'y réserve une place. Après tout, disais-tu, tu vivais depuis des années à deux pas : le Panthéon n'était-il pas le cimetière de ton quartier comme Saint-Etienne-du-Mont l'église de ta paroisse ? Ce n'était évidemment de ta part, qu'une de ces plaisanteries de comptoir que tu affectionnais (...)"
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p.122 "Quelques centaines de mètres plus bas, la place Saint-Michel, avec ses becs de gaz, ses calèches aux sièges de cuir, ses tramways omnibus à impériale, ses fiacres, ses cabriolets, ses chevaux et ses cochers, a été, elle aussi, un pôle essentiel de ta vie. Sur cette place, le Soleil d'Or a longtemps compté pour toi presqu'autant que le François 1er. Depuis sa terrasse, les clients avaient sous les yeux la fontaine Saint-Michel, alors de construction récente et, en se tournant franchement vers la droite, la cathédrale Notre-Dame, de bien plus ancienne lignée - tu aimais dire que la première était une toute jeune fille contemplant une vieille dame..."
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