Black panther wakanda forever : deuil et apprentissage au wakanda

Par Universcomics @Josemaniette


 Pour la première fois, le Marvel Cinematographic Universe doit se confronter avec ce qui constitue la différence principale entre les comics et l'adaptation sur grand écran : la mort, définitive. Là où les personnages sont tous morts plusieurs fois et revenus grâce à des subterfuges scénaristiques parfois discutables (sur le papier), la disparition de Chadwick Boseman impose un hommage digne et émouvant, et l'exploration de nouvelles pistes narratives pas forcément prévues à ce stade. Et toujours pour la première fois, le cinéma présente un avantage indéniable par rapport au matériau d'origine, celui de ne pas pouvoir user jusqu'à la corde un tour de passe-passe, qui a fini par dénaturer et décrédibiliser certains des meilleurs récits de l'histoire des comics. En fait, Black Panther : Wakanda Forever s’avère être avant tout un long parcours d’apprentissage et de succession. Celui de Letitia Wright (qui interprète Shuri, la brillante sœur du roi T'Challa) qui tout en pleurant son frère doit également s’en départir, trouver sa place, sortir de l’ombre de celui qui fut un souverain et un guerrier admirable. L'élaboration du deuil est le thème premier du film et elle est immédiatement mise en scène, dès les premières images, grâce à un générique d'ouverture totalement dédié à T'Challa (pour une fois le silence est encore plus éloquent et solennel que la musique pompière qui est souvent employée) et à une séquence funéraire qui oscille entre tradition et science-fiction, et qui est aussi un hommage à Chadwick Boseman. L'acteur qui a incarné la Panthère dans quatre films, de Captain America : Civil War en 2016 à Avengers : Endgame en 2019, est en effet décédé en août 2020 d'un cancer du côlon, et sa mort soudaine oblige alors les démiurges du Marvel Cinematographic Universe à fondre fantaisie et triste réalité, dans un étonnant mélange qui exerce un impact émotif fort et durable sur le spectateur (beaucoup verseront d’ailleurs une petite larme, à la toute fin du parcours). La sœur, plutôt que le frère, cela implique avant tout une histoire de femmes, qui au Wakanda sont loin d’être des faire-valoir ou des créatures dont la place et l’importance est principalement liée à une condition ou une esthétique particulières. Dans ce film on trouve une femme puissante, Angela Bassett (Ramonda), capable d’asséner une leçon remarquable aux Nations-Unies, dès lors que son peuple est menacé. Mais également une femme forte qui se pense peut-être trop forte, Florence Kasumba (Ayo). Il y a une femme qui s'est éloignée (elle avait de bonnes raisons de le faire) en la personne de Lupita Nyong'o (Nakia) et dont le retour sera déterminant pour la résolution de l’intrigue. Puis une jeune femme intelligente mais encore inexpérimentée et un peu craintive, Dominique Thorne (Riri Williams). Qui n’évoquera absolument rien à ceux qui n’ont pas ouvert de comic book depuis des années, ou carrément jamais. Et pour compléter l’ensemble, quelques hommes qui élargissent un peu les horizons tout en acceptant de rester en retrait ou d’être vaincu : Martin Freeman, qui reprend le rôle d'Everett Rosso, et l'inattendu Tenoch Huerta dans le rôle de Namor. Inattendu, car honnêtement, qui pouvait prévoir que le Prince des Mers aurait droit à ce type d’adaptation, sous cette forme? Ne perdons pas de temps en circonvolutions de langage, c’est à notre sens la pire inspiration du film. Tout, des origines au caractère affiché, en passant bien entendu par les atours et le physique, nous pousse à halluciner, devant ce qui ressemble à un pastiche humoristique. Et c’est d’autant plus dommage que les vues et l’exposition de son royaume sous-marin, tout comme celles du Wakanda, peuvent être remarquables, réellement fascinantes. Et que Namor assume un rôle capital dans l’économie du film, qui possède bien des qualités, dès lors qu’il s’agit de mettre en place des enjeux géopolitiques, de rappeler quels sont les moteurs des relations diplomatiques et de l’économie dans ce bas monde, comment fonctionnent les états et dans quel but. Au-delà des combats un peu bourrins et des scènes forcément spectaculaires et guerrières, certaines remarques ou certains choix des souverains concernés donnent de l’épaisseur à un film qui gagne en profondeur, et pas seulement quand le Prince des Mers nous emporte en son royaume. Certains dénigrent systématiquement les films de super-héros pour leur niaiserie et l’absence de pensée élaborée. Wakanda Forever échappe à ces remarques, et ne laisse pas les super pouvoirs seuls au centre de la scène. En voilà une bonne nouvelle. 

Bien entendu, s'agissant d'un film avec des super-héros, il sera impossible de faire l'impasse sur les scènes à grand spectacle, les batailles rangées à coups de cascades improbables et de coups distribués à la régalade, sans conséquence apparente. Cependant, dans l'ensemble, c'est un film riche, visuellement soigné et détaillé, avec d'excellentes idées au niveau de sa réalisation (Ryan Coogler, qui a également co-écrit et réalisé le premier film, est à saluer) qui propose des séquences très audacieuses et réussies. Par exemple, le royaume sous-marin de Talocan est d'une beauté frappante, et parvient à associer la force et la brutalité d'un monde, avec sa grandiosité, son faste et son quotidien. Coogler est intéressant car il met aussi en scène la complexité d'une riche société africaine qui reste pourtant toujours liée aux mythes et aux limites de la perception de la culture afro-américaine aux Etats-Unis. C'est une vision qui regorge de stéréotypes et de force, et trouve un équilibre sincère, sans jamais tomber dans la condescendance ou l'admiration aveugle. Il n'y a pas de Wakanda caricatural ou au contraire un état parangon de justice et de progressisme. Le royaume de la Panthère est vivant, avec ses zones d'ombre, ses contradictions, jusque dans ses habitants, ses tribus, ses règles sociales et de justice, qui peuvent dérouter dans leur rigidité. Inversement, on peut pointer une certaine naïveté dans ce que devient l'Amérique, qui a recours à une jeune génie susceptible de révolutionner l'armement de sa nation, mais continue de fréquenter une université où il semblerait aisé d'enter comme dans un moulin. Certes, Riri Williams est probablement un des cerveaux les plus brillants de la planète, mais là voir ainsi "banalisée" au milieu des autres, puis en quelques coups de tournevis mettre au point une armure qui en remontrerait à Tony Stark, c'est tout de même un poil exagéré. Shuri, elle, est celle par qui le récit progresse, le contrepoint d'un Namor qui incarne les siens depuis des siècles. La jeune princesse apprend qui elle est et surtout qui elle sera, doit métaboliser un deuil avant d'en affronter un second, décider du sort des autres avant même de pouvoir s'assurer du sien propre. Là où T'Challa semblait parvenir à tout ceci avec une souplesse et une présence physique sculpturale et bondissante, Shuri est très souvent une ombre frêle et androgyne, une héroïne dont l'apparence ne définit guère la force et la détermination intérieure, qui vont l'amener à dépasser sa condition, pour devenir la relève, le visage et l'âme du Wakanda. Quelle que soit sa forme ou sa nature, cette dernière est alors véritablement éternelle, puisque c'est elle qui forge et non se laisse forger, c'est en elle que la Panthère peut naître, et non pas elle qui en est une simple extension. Et si le Wakanda, en réalité, n'était autre que notre vision du Marvel Universe, papier ou cinématographique, intergénérationnel et protéiforme, mais toujours lui-même?