On vous revient avec un nouvel article littérature pour vous parler de Demain, le jour, de Salomon de Izarra. Publié en aout 2022, Demain, le jour est le troisième roman de l’auteur.
A sa sortie en 2016, nous avions passé un agréable moment en découvrant Camisole de Salomon de Izarra. C’était donc l’évidence pour nous de sélectionner ce livre présent dans la Masse Critique Babelio d’Octobre, dédiée aux littératures de l’imaginaire. Nous voici aujourd’hui sur le blog pour vous donner nos retours… Et malheureusement, nous n’avons pas apprécié notre lecture et nous allons vous expliquer pourquoi !
France, 1936. Le bruissement d’une nouvelle guerre se fait entendre. Un train traverse les Vosges mais n’arrivera jamais à destination. De la carcasse encore fumante, alors que la nuit tombe, trois survivants trouvent refuge dans un petit village abandonné, au creux de la forêt, au milieu de nulle part.
Accueillis par le Maire, harcelés par des créatures mystérieuses, ils sont pris pris au piège et devront plonger dans les souvenirs les plus sombres de leurs vies pour découvrir les raisons de leur présence en ces lieux.
Avec Demain, le jour, Salomon De Izarra signe un huis clos intime et fantastique, véritable miroir des vanités humaines.
Un roman choral auquel on ne croit pas
C’est la première chose que nous avons remarquée au cours de notre lecture, et la première sur laquelle nous reviendrons donc dans cet article : on ne croit pas à l’aspect roman choral de ce roman, et ceux pour plusieurs raisons.
Le fait d’avoir choisi d’écrire un roman inspiré de sources écrites supposées réelles (à comprendre des écrits dans l’écrit) peut-être un choix compréhensible dans le cadre d’un roman fantastico-horrifique. C’est d’ailleurs un procédé qui a été utilisé et plus d’une fois par nul autre que Lovecraft lui-même. Ce choix vient renforcer le suspens d’une histoire s’étant déjà déroulée et dont le protagoniste nous fait état totalement ou partiellement, par la suite.
Demain, le jour se construit ainsi principalement autour du journal intime de Paul, de la correspondance que Suzanne entretient avec son amie Béatrice et d’enregistrements audio réalisés par Armand. Malheureusement, la mayonnaise ne prend pas, et pour cause, les différents personnages de cette histoire s’expriment de manière trop similaire, on ne voit derrière leurs différents récits que la plume, parfois un peu pataude de l’auteur. Pour illustrer notre propos, on vous donnera un exemple qui vous semblera peut-être être du pinaillage mais qui, personnellement nous a irritées.
Sur le plan de la langue, on retrouve des constructions pas forcément très communes dans les chapitres de différents personnages comme c’est le cas de l’énumération sous forme « qui …, qui …, qui … » :
A la page 31, par le personnage de Paul : « qui une rencontre, qui une peur, qui un évènement plus marquant que je ne l’aurais admis de prime abord, qui un coup de sang ou un coup de poing. »
A la page 67, par le personnage de Suzanne : « qui des poèmes et des articles, qui mon grand projet romanesque constamment repoussé. »
Ou encore à la page 128, employée par Eugène : « je finis par me lier avec l’un ou l’autre artiste, qui un homme, qui une femme. »
Ça peut sembler être un défaut de l’ordre du détail mais en réalité ce sont ce genre de tiques de langage qui ont empêché notre immersion dans l’histoire et qui nous rappelaient sans cesse que cette histoire n’était qu’une construction là où l’auteur voulait donner à son récit un aspect de réalité, basée sur une mise en abime de l’écrit.
Par ailleurs, faire ce choix implique de passer un pacte implicite avec le lecteur. En décidant de faire de son roman un condensé de sources variées rédigé par ses protagonistes, on assume aussi le fait que toutes les connaissances que nous apporterons à notre lecteur sur lesdits protagonistes devront être exprimées à travers les personnages eux-mêmes, à l’écrit (ou pour Armand, via un enregistrement audio). Le personnage l’affirme lui-même de manière peu subtile, toutes ces digressions autour de leurs vies, c’est l’unique moyen que Salomon de Izarra a en sa possession pour nous permettre de connaître ses personnages :
« Tu dois te demander ce qu’il s’est passé durant ces trois années, pas vrai? c’est logique. Mais maintenant, tu sais que j’aime les digressions, parce qu’elles sont amusantes à écrire et qu’elles permettent de mieux saisir celui qui les fait. »
Demain, le jour, Salomon de Izarra, Editions Mnémos, 2022, p. 113.
Quand on part de ce fait, le pacte est rompu à la page 215 par exemple, alors qu’on passe soudainement à un chapitre nommé « Dans les pensées d’Armand ». Ce chapitre nous paraît totalement incompatible avec le fait de s’être toujours adressé à nous via un support d’écriture ou d’enregistrement. L’auteur décide soudainement qu’il est capable de nous transmettre les pensées de ses personnages et change de point de vue. Pourquoi pas, ce n’est évidemment pas interdit, mais pour notre part ça a renforcé notre impression que la construction de ce récit pouvait tout à la fois être un peu artificielle et bancale.
De même, on pourrait relever que Paul, écrivant son journal intime, ne cesse de s’adresser aux lecteurs. Certes, on écrit toujours pour être lus par quelqu’un… Mais dans ce cadre précis, ça nous a paru un peu forcé et irritant et ceux même si le personnage de Paul est un peu mégalo ce qui pourrait, à la limite, justifier cet usage de l’adresse au lecteur.
Des personnages peu attachants
De cette façon d’écrire résultent des personnages peu attachants car peu incarnés tout simplement. Si d’aucuns sont volontairement antipathiques, comme c’est le cas de Paul, d’autres nous ont tout simplement laissés indifférents comme c’est le cas de Suzanne et Armand.
A ce manque d’attachement au personnage vient s’ajouter une lassitude face à la façon dont l’auteur écrit ses personnages féminins. On pourrait évoquer le personnage de Suzanne, dont l’écriture est pour le moins assez peu subtile. La jeune femme, dont on saura tout du long qu’elle a subi un abus sans jamais trouver un sens à cette information (comme si la mention d’abus sexuels était une case à cocher depuis MeToo… Ne vous forcez pas à écrire sur l’expérience des femmes si c’est pour faire ça. S’il vous plaît.) est très mal écrit. A aucun moment l’auteur ne parvient à nous faire entrer en empathie avec elle, et pire, à nous intéresser à son passé.
De manière générale, les femmes semblent être le problème à tous les maux de nos protagonistes et en particulier leurs mères. C’est simple, tous les personnages ont des griefs envers leur mère ou leur ex-conjointe et on pourrait résumer l’écriture des femmes dans cette histoire à cette phrase prononcée par le personnage d’Armand :
« Toutes les mêmes, vous ne pensez qu’à vous, vous vous en sortez toujours, vous ne mettez jamais les mains dans la merde et vous sortez les mêmes excuses éculées, inutiles, stupides pour justifier toutes vos horreurs… »
Demain, le jour, Salomon de Izarra, Editions Mnémos, 2022, p. 166.
Un fond de misogynie que nous avions déjà perçu dès les premières pages du roman. Chez De Izarra, l’insulte se s’accorde au féminin, même quand le nom est au masculin : « le destin, cette merveilleuse putain ». C’est un peu gratuit ça non?
De manière générale, homme comme femme, les personnages de Salomon de Izarra sont à la fois désincarnés et clichés. Le tout manque grandement de nuance et l’auteur ne sait clairement pas écrire des personnages féminins, il faut bien le dire.
Un roman qui ne tient pas ses promesses
Enfin, et pour conclure, nous évoquerons le fait que ce roman n’a pas tenu ses promesses pour nous. Ce roman tient plus du roman historique très (TRÈS) légèrement saupoudré de fantastique. Et on insiste sur le TRÈS. Les évocations fantastiques nous ont semblé très rares et finalement, le surnaturel n’est qu’un prétexte pour pouvoir clôturer ce récit. Je ne nie pas que les créatures aient un sens, qu’elles symbolisent quelque chose, mais malheureusement, on nous a beaucoup trop parlé de faits inintéressants avant de nous parler desdites créatures.
Alors on vous avoue, quand on en pouvait plus trop que l’histoire ne démarre pas (la première précision sur les créatures survient à la page 97…) et que les personnages nous racontent des faits dans lesquels on n’arrivait pas à trouver de l’intérêt, on a un peu pouffé quand le personnage de Paul s’est exclamé :
« Parlons de choses plus intéressantes que de bleds hantés, de monstres et de cadavres : ma vie ! »
Demain, le jour, Salomon de Izarra, Editions Mnémos, 2022, p. 167.
Nous avons été déçues du peu d’intérêt que présentent les éléments surnaturels dans cet ouvrage, simples moyen de résolution utilisé artificiellement pour maintenir l’intérêt du lecteur au gré des mentions des personnages aux « créatures qui se trouvent dehors ». Ce roman se présente plus comme un roman historique portant sur l’entre-deux-guerres, le tout saupoudré d’une légère pointe de surnaturel, que comme un roman de littérature de l’imaginaire. Pas que ce soit quelque chose de mal, mais disons que cela ne correspond pas à ce que nous nous attendions. Ce n’est simplement pas ce que le résumé de la quatrième de couverture nous proposait …
Enfin, le roman tire trop en longueur. Pour notre part, nous nous sommes beaucoup ennuyés, probablement parce que nous n’étions pas venus pour lire un roman reposant plus sur l’historique que sur l’imaginaire. D’ailleurs on s’est sincèrement demandé pourquoi ce roman avait fini dans la Masse Critique Babelio imaginaire d’Octobre. Finalement il n’y avait pas tant sa place que ça…
Entre 4e de couverture trompeuse, personnages pas assez incarnés, procédés artificiels qui alourdissent la narration et longueurs, on doit bien reconnaitre qu’on n’a pas réussi à trouver de qualité à ce roman que nous n’avons vraiment pas du tout apprécié. Une grosse déception pour un roman qu’on avait pourtant très hâte de lire depuis sa sortie.
Voilà, ce sera tout pour aujourd’hui. Pour une chronique un peu moins négative, vous pouvez lire la chronique de l’Ourse qui semble de son côté avoir appréciés certains éléments de cette histoire !
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