Une série dont les personnages principaux sont trois vieux qui râlent tout le temps, ce n’est a priori pas très vendeur. Et pourtant, « Les Vieux Fourneaux » s’est imposée en seulement quelques années comme l’une des séries BD les plus populaires du moment. Elle a même déjà été adaptée deux fois au cinéma, avec entre autres Pierre Richard et Eddy Mitchell au casting. Désormais, la sortie de chaque nouvel album peut être considérée comme un petit événement. C’est à nouveau le cas avec ce septième tome à la couverture rouge vif, intitulé « Chauds comme le climat » (éditions Dargaud). Un album dans lequel Antoine, Pierrot et Mimile sont loin de baisser les armes et qui concilie une nouvelle fois humour féroce et humanisme communicatif, tout en dénonçant les travers de notre société. Dans cet album, il est question du vivre ensemble. Mais comme le souligne Paul Cauuet, le dessinateur de la série, ce vivre ensemble « n’a pas seulement du plomb dans l’aile, mais carrément un pic à brochette dans les fesses ». Ceux qui liront l’album comprendront la blague.
Si je vous comprends bien, la thématique de ce septième album, c’est le vivre ensemble?
C’est en tout cas la volonté du maire du village lorsqu’il organise un pique-nique de l’amitié et du vivre ensemble, mais on comprend vite que c’est pas gagné! Le vivre ensemble est un terme un peu galvaudé. On l’entend partout et tout le temps, mais il semble y avoir beaucoup de forces dans l’univers qui s’allient pour que ça ne se passe jamais bien.
Le premier album des « Vieux Fourneaux » est sorti en 2014. Depuis lors, on a l’impression que le monde va de plus en plus mal. Est-ce que du coup, cela vous donne davantage de sources d’inspiration?
On peut dire ça, malheureusement. Surtout que ce tome 7 a été écrit par Wilfried Lupano il y a environ deux ans. Et comme à chaque fois, on retrouve chez lui un côté un peu Nostradamus puisque cet été, la France a cramé un peu partout, comme dans notre album. En plus de ça, le gouvernement français fait lui aussi tout ce qu’il peut pour coller à nos thématiques.
Dans votre album, vous faites allusion au caractère pour le moins musclé de certaines interventions des forces de l’ordre lors des manifestations en France, tout en dénonçant également les casseurs parmi les manifestants…
On essaie surtout de montrer à quel point les gens ont du mal à agir ensemble. En France, la gauche est relativement désunie, tandis que les dernières élections présidentielles ont vu l’émergence de personnalités très extrêmes. Ce que nous voulons éviter dans nos histoires, c’est de décrire nos personnages comme des paladins ou des chevaliers blancs. Ils sont plutôt gris que blancs. Et puis de toute façon, ils se font tout le temps la gueule dans cet album, surtout Antoine et Pierrot, qui ne sont jamais d’accord sur rien. Antoine, c’est le syndicaliste avec la manifestation chevillée au corps. Pour lui, c’est quelque chose de sacré, au même titre que le barbecue et les saucisses. C’est une rengaine de cet album. De son côté, Pierrot est anarchiste et ça ne le dérange pas s’il y a de la casse. Du coup, ils s’engueulent en permanence, parce qu’Antoine est plutôt carré sur la manière de manifester.
Sophie, la petite-fille d’Antoine, en a un peu marre qu’ils s’engueulent tout le temps, non?
C’est vrai, elle est un peu larguée par moments, mais elle essaie quand même de rattraper les choses et de faire en sorte que les gens s’entendent bien. Hélas, elle est bien obligée de se rendre compte que ça ne marche pas.
Dans « Chauds comme le climat », il y a aussi un personnage qui est attiré par les idées d’extrême droite…
En France, ça fait un petit temps maintenant qu’on voit l’extrême droite émerger dans les périphéries des villes et dans les campagnes. C’est là que le Rassemblement National fait ses meilleurs scores, pas dans les villes elles-mêmes. C’est là aussi qu’on a vu se développer le mouvement des gilets jaunes. Dans ces régions, les gens sont loin de tout et il y a peu de transports publics, ce qui veut dire que les gens sont obligés d’utiliser leur bagnole du matin jusqu’au soir. Ils se sentent oubliés et donc, ils se réfugient dans le vote d’extrême droite, même si bien sûr, c’est un leurre.
En tant que dessinateur, est-ce que vous intervenez dans le choix des thématiques abordées dans les albums?
Non, absolument pas, cette partie-là est entièrement du ressort de Wilfrid Lupano. Je ne touche pas à une virgule de ses scénarios, que je découvre d’ailleurs uniquement lorsque lui-même en est entièrement satisfait. Par contre, c’est vrai qu’il me parle parfois des thèmes auxquels il pense lorsqu’on est dans une période entre deux albums. Mais à chaque fois, je monte dans le train sans me poser trop de questions parce que le voyage qu’il me propose me plaît toujours. Jusqu’à présent, je n’ai jamais été déçu.
C’est donc lui qui a la mainmise totale sur le scénario et les dialogues. Ensuite, vous avez carte blanche pour la mise en scène?
Oui, ça c’est mon rayon. Wilfrid écrit le scénario comme un roman, en y intégrant les dialogues, mais c’est tout. Ensuite, c’est moi qui détermine le nombre de cases ou le choix des plans. C’est quelque chose que j’aime faire. On fonctionne très bien comme ça. Dans cet album, j’ai mis beaucoup de scènes de foule par exemple, parce que c’est le genre de dessins que j’apprécie. J’aime ajouter des scènes remplies de vie, avec plein de personnages et de détails. La création du storyboard, c’est-à-dire la phase où je fais toute la narration et le découpage, est pour moi le moment le plus important de création d’un album. C’est le travail qui permet de passer d’un scénario à une vraie planche de BD.
Effectivement, il y a plusieurs scènes de manifestations dans ce septième album. Vous connaissez bien cet univers?
Pas spécialement. Les manifestations pures et dures, ce n’est pas du tout ma réalité quotidienne, ni celle de Wilfrid d’ailleurs, même si ça ne nous empêche pas d’être solidaires avec ceux qui y sont. En tant qu’auteurs de BD, on manifeste plutôt par le biais de nos albums. Il est évident que ceux-ci contiennent des messages. Il faudrait vraiment être de mauvaise foi pour ne pas les percevoir et pour ne pas comprendre de quel côté on se situe.
Cela veut dire que vous vous adressez avant tout à des lecteurs de gauche?
Non, on a toujours dit qu’on ne voulait pas faire une série pour une certaine catégorie de gens. Ce n’est ni une série pour les gens de gauche, ni pour les retraités ou les marionnettistes. On veut que nos livres soient lus par le plus grand nombre, même si on sait bien que certaines personnes ne vont jamais les lire.
Est-ce que vous recevez parfois des réactions négatives de la part de gens qui vous trouvent trop marqués politiquement?
Oui, ça arrive. On nous reproche parfois d’être des donneurs de leçons. Cela dit, on reçoit beaucoup plus de commentaires positifs que négatifs. J’ai l’impression que les gens apprécient vraiment de retrouver nos personnages.
Le succès de la série et les adaptations au cinéma changent-elles quelque chose à votre travail? Vous ressentez davantage de pression?
Pas du tout. On continue à travailler de la même manière que sur le premier tome, sans rien changer à notre approche, en essayant à chaque fois de faire mieux que le précédent album. Avec Wilfrid, on se connaît depuis dix-huit ans et on a déjà fait neuf livres ensemble. On est donc bien rodés et on se fait confiance mutuellement.
Même au niveau du rythme de parution des albums, vous êtes bien rodés…
En gros, on sort un nouvel album tous les deux ans. C’est un bon rythme, parce que ça nous permet d’avoir suffisamment de temps pour nous poser entre deux épisodes de la série.
Dans cet album, le vieux Garan-Servier passe l’arme à gauche. Est-ce que vous envisagez un jour de faire mourir un de vos trois personnages principaux?
Je n’en sais rien, mais ce qui est certain c’est que depuis le début de la série, nos trois vieux ne sont pas épargnés par les pépins en tous genres. On peut dire que la foudre leur tombe régulièrement dessus. Du coup, comme ils sont vieux, on ne sait jamais ce qui pourrait leur arriver. Mimile, par exemple, on sait qu’il est malade et qu’il suit un traitement, mais on ne sait pas trop ce qu’il a. Même chose pour Pierrot, qui fume tout le temps, ce qui n’est forcément pas bon pour sa santé. En réalité, la mort fait partie intégrante de notre série, parce que c’est le lot de tout le monde. On ne s’interdit rien. D’ailleurs, nos personnages vieillissent au fil des albums. Ça se voit moins sur les vieux, mais ça se voit sur la fille de Sophie, par exemple, qui était dans son ventre dans le premier épisode et qui a beaucoup grandi depuis lors. Dans notre série, on ne triche pas sur le temps qui passe, comme ça se fait dans Tintin ou Astérix, où les personnages sont immuables.
Est-ce que vous prévoyez une fin aux « Vieux Fourneaux »?
On a toujours dit qu’on n’en ferait pas des milliers d’épisodes en tout cas. Ce qui est certain, c’est qu’on va faire un huitième album. Mais je ne cache pas qu’on réfléchit également à ce qu’on pourrait faire d’autre après « Les Vieux Fourneaux ». Avec Wilfrid, on en a déjà parlé de manière très enthousiaste, même si cela reste embryonnaire pour le moment. En attendant, je prends toujours autant de plaisir à dessiner « Les Vieux Fourneaux ». A ce stade-ci, je ne m’en lasse pas du tout.