1. Le petit frère (JeanLouis Tripp – Editions Casterman)
De quoi ça parle: Le 5 août 1976, la vie de JeanLouis Tripp et de tous ses proches bascule irrémédiablement en une fraction de seconde. Ce soir-là, JeanLouis et son petit frère Gilles sont assis sur la plateforme d’une des deux roulottes qu’ils ont louées pour les vacances d’été. Ils avancent tranquillement sur une petite route départementale du Finistère. Tous les membres de la famille ont passé une excellente journée, pleine d’insouciance. Mais au moment où le jeune garçon se penche du côté de la route pour rejoindre sa mère qui fait du vélo derrière la roulotte, un événement aussi soudain que violent change l’ambiance du tout au tout. Gilles est percuté de plein fouet par une voiture qui dépasse la roulotte à vive allure…
Pourquoi c’est bien: Parce que JeanLouis Tripp a ressenti le besoin impérieux de raconter la mort brutale de son petit frère, alors qu’il avait enfoui cet événement au plus profond de lui pendant plus de 40 ans. Parce que c’est un magnifique témoignage sur l’expérience du deuil et sur la manière dont chacun réagit différemment pour surmonter sa douleur. Parce que c’est un récit à la fois très intime et terriblement universel. Parce que l’auteur trouve en permanence le ton juste pour parler de la perte tragique d’un petit garçon joyeux de 11 ans, que ce soit par les mots ou surtout par le dessin.
A qui ça plaira: A celles et ceux qui ont eu le malheur de perdre un être cher.
2. Les Pizzlys (Jérémie Moreau – Editions Delcourt)
De quoi ça parle: Depuis le décès de sa mère, Nathan a dû renoncer à ses études pour subvenir aux besoins de sa petite soeur Zoé et son petit frère Etienne. Sans jamais prendre le temps de se reposer, le jeune homme enchaîne les courses Uber. Du coup, il est extrêmement fatigué… Plus que jamais, Nathan compte sur le GPS de son smartphone pour le guider. Parfois, il a même l’impression de faire corps avec son logiciel de navigation et de flotter au-dessus de son véhicule. Alors, quand son précieux portable tombe en panne, Nathan est complètement désorienté. En conduisant une cliente à l’aéroport de Roissy, il s’égare dans des petites rues et finit par percuter violemment un poteau. Touchée par la situation de Nathan, Zoé et Etienne, la cliente en question, une vieille dame qui s’appelle Annie, leur propose de venir avec elle en Alaska, sa terre natale, où elle retourne vivre après 40 années passées à Paris. Sur un coup de tête, Nathan accepte. Mais forcément, le choc va être rude pour ces trois petits citadins, brutalement immergés dans une nature sauvage et parfois hostile.
Pourquoi c’est bien: Parce que les couleurs inhabituelles de cet album ont un côté fascinant. Parce que Jérémie Moreau maîtrise totalement son sujet et nous livre un roman graphique particulièrement intelligent. Parce que c’est une BD qui aborde des thématiques essentielles de notre époque, notamment notre dépendance au numérique et notre déconnexion de la nature. Parce que ce livre nous montre à quel point les conséquences de nos actions sur la nature sont d’ores et déjà irrémédiables. Parce que c’est une BD avec quand même une touche d’espoir, qui souligne qu’il ne faut jamais baisser les bras.
A qui ça plaira: A tous ceux qui s’intéressent à l’état de notre planète.
3. La dernière reine (Jean-Marc Rochette – Editions Casterman)
De quoi ça parle: « La dernière reine » est en quelque sorte un double récit. D’une part, c’est une histoire d’amour très forte entre Edouard Roux, un soldat gravement défiguré lors de la guerre 14-18, et Jeanne Sauvage, la sculptrice qui va lui redonner un visage. D’autre part, l’histoire d’Edouard et Jeanne est entrecoupée par des séquences plus courtes durant lesquelles on suit le destin souvent tragique des ours sur le plateau du Vercors à travers les siècles, en remontant même jusqu’à la préhistoire. La fameuse « dernière reine » qui donne son titre à la BD est le surnom donné au dernier ours. Comme le dit Edouard, « le jour où la dernière reine disparaîtra, alors sera venu le temps des ténèbres« . Il y a clairement un message environnemental derrière cette prédiction, puisque l’objectif de ce livre est de démontrer à quel point l’homme a toujours été destructeur pour les autres hommes, pour les animaux et pour la nature.
Pourquoi c’est bien: Parce que c’est un hymne à la nature puissant et émouvant. Parce que c’est une BD d’une grande beauté, avec des dessins puissants et hachurés. Parce que les couleurs sont parfois lumineuses, mais plus souvent sombres, dans une ambiance crépusculaire de fin du monde. Parce que c’est une histoire aussi belle que tragique. Parce que Jean-Marc Rochette, l’auteur des albums « Ailefroide » et « Le Loup », a mis beaucoup de lui-même dans ce récit. Parce qu’il a décidément beaucoup de talent pour raconter les relations difficiles entre l’homme et son environnement.
A qui ça plaira: Aux amateurs d’art, de montagne et d’Histoire.
4. Léo en petits morceaux (Mayana Itoïz – Editions Dargaud)
De quoi ça parle: En 1965. Franz, un ancien soldat allemand, fait visiter le Pays basque à sa femme. Il lui propose de s’arrêter dans l’auberge où il a logé avec son régiment durant quelques mois en 1942. A sa grande surprise, c’est Léo, la jeune fille de l’époque, qui lui ouvre la porte. Ils sont contents de se retrouver et d’échanger leurs souvenirs. Au moment où Franz s’en va, Léo lui demande des nouvelles de Félix, son amoureux allemand durant cette période particulière de la Seconde guerre mondiale. Franz lui apprend alors froidement que Félix est mort sur le front russe quelques semaines à peine après avoir quitté le Pays basque. Pour Léo, qui l’ignorait, le choc est total. Du coup, elle replonge près de 25 ans en arrière, à l’époque où elle vivait en secret cette belle histoire d’amour avec Félix, tout en travaillant comme serveuse dans l’auberge familiale avec sa grande sœur…
Pourquoi c’est bien: Parce que Mayana Itoïz, la dessinatrice du « Loup en slip », change totalement de registre avec ce roman graphique très personnel, basé sur l’histoire vraie de sa grand-mère. Parce que l’autrice a mis 20 ans avant d’enfin trouver le bon ton et le bon angle pour cette bande dessinée, dont l’histoire est forcément difficile à raconter. Parce que la très bonne trouvaille graphique de ce livre est d’avoir intégré des véritables photos de l’époque, mais de manière déchirée et sur du papier calque, ce qui suscite une vraie émotion tout en gardant une certaine pudeur.
A qui ça plaira: A celles et ceux qui vivent avec des secrets de famille.
5. Hoka Hey! (Neyef – Label 619 – Editions Rue de Sèvres)
De quoi ça parle: Dans une réserve indienne au coeur du Far West, le petit Georges récite à haute voix des textes de la Bible devant le pasteur Francis Clemente et l’une de ses amies. Tous deux s’émerveillent devant la vivacité d’esprit de ce petit Indien. Débarque alors un drôle de trio à cheval, composé d’un Indien Lakota qui s’appelle Little Knife, d’une Indienne avec un foulard sur le nez et d’un cow-boy irlandais. Après avoir interrogé le pasteur sur un certain Gavin Atkins, Little Knife n’hésite pas à abattre froidement Clemente et son amie… sous les yeux de Georges, qui était caché derrière un arbre mais qui a tout vu. Celui-ci tente de s’enfuir, mais les trois cavaliers le rattrapent sans problème. Little Knife décide alors d’emmener le garçon avec eux pour lui faire découvrir le monde en-dehors de la réserve. Mais ce qu’il ignore, c’est que la femme qu’il croit avoir abattu a survécu à ses blessures… et qu’elle vient de révéler leur destination au chasseur de primes qui les poursuit!
Pourquoi c’est bien: Parce que « Hoka Hey! » est à la fois un thriller haletant et un récit psychologique autour de l’impossible relation entre les Indiens et les envahisseurs blancs. Parce que c’est un album beau comme du Cinémascope. Parce que le découpage de « Hoka Hey! » fait penser à celui d’un film de Quentin Tarantino, alternant des scènes d’action spectaculaires avec des séquences plus contemplatives ou plus bavardes. Parce que le lecteur se retrouve véritablement immergé au milieu des Rocheuses, avec ses ciels tourmentés, ses hautes herbes, ses forêts presque vides et ses ambiances nocturnes. Parce que c’est un western magnifique et triste, qui plaira à coup sûr à tous les amateurs du genre.
A qui ça plaira: Aux férus de western grand format et grand spectacle.
6. Tanger sous la pluie (Fabien Grolleau – Abdel de Bruxelles – Editions Dargaud)
De quoi ça parle: Le 29 janvier 1912, Henri Matisse débarque dans le port de Tanger. Le peintre fauviste est venu au Maroc pour essayer de retrouver l’inspiration, en marchant sur les traces de Delacroix. A son tour, il veut se laisser guider par cette fameuse lumière marocaine. Mais à peine arrivé sur place, c’est (littéralement) la douche froide. Bien installé dans la chambre 35 du magnifique hôtel de la Villa de France, Matisse est réveillé en pleine nuit par le bruit de la pluie qui tombe. C’est un véritable déluge qui s’abat sur la ville, et la pluie semble interminable. Après s’être d’abord lamenté sur son sort, Matisse choisit de transformer sa chambre en atelier de peinture. Et il demande qu’on lui amène un modèle, une femme de Tanger. C’est ainsi que Zorah, prostituée, est convoquée afin de poser pour le célèbre peintre français…
Pourquoi c’est bien: Parce que la force de cette BD réside dans la relation très originale entre Matisse et Zorah. Parce que « Tanger sous la pluie » est en quelque sorte une double histoire, avec d’un côté le séjour de Matisse au Maroc et de l’autre côté le récit envoûtant de Zorah, inspiré des contes des Mille et Une Nuits. Parce que c’est un livre qui rend hommage à la beauté de Tanger et des paysages marocains, en soignant les détails architecturaux. Parce que le scénario est aussi captivant que bien construit. Parce que c’est un album aux couleurs chatoyantes, à la mise en page variée.
A qui ça plaira: Aux amoureux de Matisse et de culture orientale.
7. Le poids des héros (David Sala – Editions Casterman)
De quoi ça parle: Josep et Antonio, les deux grands-pères de David Sala, étaient des héros de la guerre et de la résistance, qui se sont opposés à la dictature de Franco au péril de leur vie. En tant qu’enfant, on ne peut qu’être impressionné par de tels récits héroïques. Pour le petit David, cet héritage dramatique est d’autant plus palpable qu’il est fasciné par un portrait de son grand-père Antonio. Ce tableau, accroché au mur près du piano dans la maison de ses grands-parents, a été réalisé par un prisonnier antifasciste allemand au camp de Mauthausen et a été caché sous terre pendant des années avant d’être récupéré à la libération du camp en 1945. C’est une peinture d’une tristesse terrible, sur laquelle on voit un homme au regard perdu. Quand il le regarde, David a l’impression que son grand-père lui parle à travers ce portrait…
Pourquoi c’est bien: Parce que David Sala rêvait de faire cette BD depuis des années, qu’il voyait comme une sorte de devoir familial à accomplir. Parce que l’auteur a eu la bonne idée de raconter ses grands-pères à travers ses yeux d’enfant. Parce que c’est un album qui alterne les séquences terribles avec des moments beaucoup plus légers. Parce que David Sala met magnifiquement en images les années 70 et la manière dont il voyait et ressentait les choses quand il était enfant. Parce que ses graphismes sont pleins de couleurs chatoyantes. Parce que David Sala est bien plus qu’un simple dessinateur de bande dessinée, mais un véritable peintre. Parce que c’est un album singulier, qui vaut certainement le détour.
A qui ça plaira: Aux nostalgiques des années 70.
8. Nettoyage à sec (Joris Mertens – Editions Rue de Sèvres)
De quoi ça parle: Le quotidien de François est réglé comme du papier à musique. Ce célibataire endurci, au physique passe-partout, a ses petites habitudes immuables. Tous les jours ou presque, il fume une cigarette sur le balcon de son appartement, passe boire une Stella Artois au bar Monico, fait un détour par le kiosque à journaux pour jouer ses numéros fétiches au Lotto: le 5, le 8, le 24, le 12, le 10 et le 52. Pour lui, la persévérance est la clé de la réussite. S’il gagne un jour le gros lot de 10 millions de francs, François s’achètera une Mercedes, mais surtout, il fera l’acquisition d’un bel appartement à la mer pour Maryvonne, la jeune femme souriante qui tient le kiosque. Elle et sa fille Romy sont les seuls rayons de soleil dans son existence plutôt terne. Lorsque François est envoyé par son employeur pour une livraison en-dehors de la ville, son destin bascule…
Pourquoi c’est bien: Parce que Joris Mertens est décidément un auteur à suivre de très près. Parce que le décor, les habits, le rythme et l’ambiance donnent à cette bande dessinée une saveur réellement unique. Parce que Joris Mertens fait preuve d’un talent d’orfèvre pour recréer le décor urbain et humide d’une ville des années 70. Parce que cette ville ressemble très fort à Bruxelles, tout en intégrant aussi des éléments plus parisiens. Parce que cette BD est un régal pour les yeux.
A qui ça plaira: Aux amateurs d’ambiances urbaines et pluvieuses.
9. Celle qui parle (Alicia Jaraba – Editions Grand Angle)
De quoi ça parle: Malinalli est née vers 1500 au sein d’une famille noble. Après l’assassinat de son père, sa vie devient beaucoup plus difficile: d’abord vendue comme esclave à un autre clan pour travailler aux champs et satisfaire la libido de son nouveau maître, elle est ensuite donnée aux conquistadors. A chaque fois, la jeune femme doit s’adapter à des nouveaux environnements, des nouveaux modes de vie et des nouveaux langages. A chaque fois, elle y parvient à merveille. Malinalli, alias La Malinche, est une figure très connue et très controversée au Mexique, car elle a longtemps été accusée d’avoir collaboré avec les conquistadors espagnols, et en particulier leur chef sanguinaire Hernan Cortès, contre son propre peuple. Celle que les Espagnols appelaient Doña Marina a en effet servi de traductrice à Cortès puisqu’elle parlait à la fois le nahuatl, le maya chontal et l’espagnol, ce qui lui permettait de converser avec tout le monde: les conquistadors, les Aztèques et les Mayas.
Pourquoi c’est bien: Parce qu’en racontant le destin exceptionnel de Malinalli, Alicia Jaraba raconte la colonisation du Mexique à travers un magnifique portrait de femme. Parce qu’elle éclaire notre lanterne sur un personnage historique fascinant qui reste largement méconnu en Belgique et en France. Parce que la bonne idée de la jeune autrice a été de structurer son récit à travers les langues, chaque chapitre démarrant sur le nom d’une langue différente, avec en gros plan la bouche de Malinalli qui prononce quelques mots dans ce langage. Parce qu’on est dans des couleurs chaudes, avec des personnages très expressifs.
A qui ça plaira: A celles et ceux qui aiment les petites histoires qui font la grande Histoire.
10. Soixante printemps en hiver (Aimée De Jongh – Ingrid Chabbert – Editions Dupuis)
De quoi ça parle: « Je pars. » Le jour de son soixantième anniversaire, Josy prononce ces deux petits mots auxquels personne ne s’attend. Son mari, ses enfants et ses petits-enfants voudraient qu’elle souffle les bougies de son gâteau, mais cette année, elle ne le fera pas. Elle a décidé de tourner la page. Définitivement. Sous les yeux médusés de ses proches, qui ne comprennent pas quelle mouche a bien pu la piquer, Josy se lève, prend sa valise et quitte la maison familiale à bord de son vieux van Volkswagen. A la surprise générale, cette mère de famille sans histoire décide de baisser le rideau sur 35 années de mariage et de reprendre sa liberté. A soixante ans, elle estime qu’elle a assez donné et qu’il est temps d’arrêter de faire semblant.
Pourquoi c’est bien: Parce que c’est une bande dessinée qui ose aborder des sujets tabous, notamment la sexualité après 60 ans. Parce que cette BD montre à quel point il est compliqué de reprendre sa liberté lorsqu’on est une femme, à cause de la fameuse charge mentale qui pèse sur les mères de famille. Parce que le scénario d’Ingrid Chabbert ne verse jamais dans le manichéisme. Parce que le trait de la dessinatrice néerlandaise Aimée De Jongh est plein d’émotion et de douceur.
A qui ça plaira: A celles et ceux qui rêvent de fuir la routine et la monotonie.
11. L’homme à la tête de lion (Xavier Coste – Editions Sarbacane)
De quoi ça parle: Tout comme son père et son grand-père avant lui, Hector Bibrowski est né couvert de poils, avec une véritable crinière qui lui recouvre le visage. Surnommé « L’homme lion », il est recruté par un cirque de phénomènes et de bêtes de foire, en compagnie de soeurs siamoises, d’un homme-tronc, d’une femme à barbe et d’une autre à quatre jambes, comme dans le film « Freaks » de Ton Browning. Etant donné qu’Hector est un grand amateur de littérature, son spectacle repose sur le contraste entre son physique bestial et son art de réciter des poèmes. Grâce à lui, leur cirque multiplie les tournées triomphales à travers l’Europe et les Etats-Unis. Mais au fil des ans, Hector se sent de moins en moins à sa place en tant que « monstre », tandis que le succès du cinéma concurrence dangereusement le monde du cirque et du spectacle.
Pourquoi c’est bien: Parce que le personnage d’Hector, bête de foire tiraillée durant toute sa vie par sa nature et ses contradictions, est complexe et subtil. Parce que « L’homme à la tête de lion » est un récit à la fois romanesque et original. Parce que les dessins de Xavier Coste, dont on avait déjà admiré le travail dans son adaptation de « 1984 », sont d’une grande beauté, avec notamment une magnifique utilisation des affiches de l’époque. Parce que ce livre est une claque au niveau graphique.
A qui ça plaira: A celles et ceux qui s’intéressent aux destins hors normes.
12. T’zée, une tragédie africaine (Appollo – Brüno – Editions Dargaud)
De quoi ça parle: Dans un pays qui n’est jamais nommé, mais qui ressemble beaucoup à l’ancien Zaïre, le maréchal-président T’zée est au pouvoir depuis 36 ans. Alors que le pays s’enfonce dans le chaos, les membres du clan présidentiel vivent les derniers moments de son régime corrompu dans le palais ultra-luxueux qu’il s’est fait construire au beau milieu de la forêt équatoriale. T’zée est un vieux dictateur bardé de médailles qui arrive au bout de son règne. Au début de l’album, il a disparu et la rumeur court qu’il aurait été tué dans les soubresauts de la guerre civile. Sa mort finit même par été annoncée officiellement. Dans ce palais présidentiel où ils ont vécu une vie de luxe et d’insouciance pendant que le peuple vivait dans une misère sans nom, Hippolyte, le plus jeune fils de T’zée, et Bobbi, la jeune épouse du dictateur, tentent de sauver ce qui peut l’être.
Pourquoi c’est bien: Parce que « T’zée » est une relecture réussie de « Phèdre ». Parce que c’est un roman graphique à l’ambiance crépusculaire, qui raconte de manière magistrale la vie et la mort d’un régime autoritaire d’Afrique centrale. Parce que c’est une véritable leçon sur comment on devient président à vie, en faisant la chasse aux opposants, en détournant les ressources du pays au profit de son clan et en profitant habilement de l’appui intéressé des pays occidentaux. Parce que le style très graphique de Brüno est reconnaissable entre mille, avec notamment une utilisation très appuyée du noir et des cadrages très cinématographiques. Parce que c’est un album magnifique, à la fois récit d’aventure, fable politique, et pièce tragique.
A qui ça plaira: Aux férus de politique et d’Afrique.
13. 1629 ou l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta – Tome 1: L’apothicaire du diable (Xavier Dorison – Thimothée Montaigne – Editions Glénat)
De quoi ça parle: En 1629, la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales décide d’affréter le « Jakarta », l’un de ses bateaux les plus modernes et les plus performants, vers l’Indonésie. Mais le « Jakarta » est un véritable baril de poudre qui ne demande qu’à exploser. Il transporte en effet une grande quantité d’or et de diamants pour corrompre l’Empereur de Sumatra, tandis que son équipage est composé de plus de 300 personnes issues pour la plupart des bas-fonds d’Amsterdam. Quant à son capitaine, Francisco Pelsaert, il reçoit seulement 120 jours de la Compagnie pour atteindre Java. Du coup, la tentation d’une mutinerie ne va faire que grandir au fur et à mesure du voyage. Pour couronner le tout, Jeronimus Cornelius, engagé comme numéro deux à bord, n’a aucune expérience de la navigation, car il est en réalité un apothicaire ruiné et recherché par l’Inquisition. Lucretia Hans est, elle, une invitée inattendue dans ce voyage effroyable. Femme de la haute société, sommée par son mari de la rejoindre en Indonésie, elle semble perdue au milieu de cet enfer sur mer… jusqu’à ce qu’elle découvre qu’elle est sans doute le dernier rempart pour déjouer les plans machiavéliques de l’inquiétant Jeronimus Cornelius.
Pourquoi c’est bien: Parce que c’est un huis clos sur les flots. Parce que l’ambiance de cette BD est suffocante, avec une tension et une promiscuité de tous les instants. Parce que c’est un livre inspiré de faits réels puisque le naufrage du « Jakarta » (qui s’appelait en réalité le « Batavia ») a été la plus grande tragédie navale connue par la Hollande. Parce que « 1629 » est à la fois un récit d’aventure spectaculaire et un voyage au bout de l’enfer de la noirceur de l’âme humaine. Parce que c’est un livre magnifiquement illustré par le coup de crayon inspiré de Thimothée Montaigne, à l’image de la superbe couverture dorée du livre.
A qui ça plaira: Aux fans de thrillers psychologiques haletants.
14. La dame blanche (Quentin Zuttion – Editions Le Lombard)
De quoi ça parle: Estelle, qui travaille comme infirmière dans une maison de retraite, ne compte pas ses heures pour améliorer le bien-être des résidents. Même les tâches les plus difficiles ne lui font pas peur. Comme la toilette mortuaire de Madame Suzanne, par exemple, une vieille dame qui vient de décéder et dont le corps est couvert de taches de vieillesse. Pour Estelle, chaque décès est un moment difficile, car elle tisse des liens très forts avec les vieilles personnes. Alors, pour s’assurer de ne pas les oublier, elle garde un souvenir de chaque disparu: un peigne, une lettre de Scrabble, une broche, un stylo, un jeu de mots fléchés. Dans le cas de Suzanne, ce sont des boucles d’oreille. Cette drôle de manie caractérise bien le caractère ambigu d’Estelle: elle est tellement empathique avec les résidents que souvent elle va trop loin, en n’hésitant pas à franchir certaines limites…
Pourquoi c’est bien: Parce que c’est une BD bouleversante. Parce que « La dame blanche » constitue un magnifique hommage au personnel soignant, une profession essentielle dans notre société mais dont on parle finalement très peu. Parce que la vie quotidienne dans une maison de retraite y est relatée de manière très humaine. Parce que l’ambiance de ce roman graphique est un peu particulière en raison du bleu très froid utilisé par Quentin Zuttion. Parce qu’en ajoutant aussi des touches de couleur, l’auteur souligne qu’il y a encore des moments remplis de joie, même pour des gens mourants, perdus, abandonnés ou malades.
A qui ça plaira: Aux personnes qui s’interrogent sur la vie en maison de retraite.
15. Merel (Clara Lodewick – Editions Dupuis)
De quoi ça parle: Merel est une femme sans histoires d’une quarantaine d’années. Elle vit seule sans mari ni enfants, élève des canards pour les faire participer à des concours, et traîne souvent dans le club de football local, afin d’y trouver la matière pour ses articles dans le journal du coin. Rien de très extraordinaire. Mais petit à petit, de manière insidieuse, tout le village va se liguer contre elle, faisant de sa vie un enfer… Tout part d’un malentendu. Lors de la soirée d’inauguration du nouveau local du club de foot du village, Merel fait une blague un peu grivoise sur Geert, un de ses bons amis, qu’elle connaît depuis l’enfance. Suzie, la femme de Geert, le prend très mal. Véritable commère, elle va nourrir l’hostilité des autres habitants contre Merel…
Pourquoi c’est bien: Parce que c’est un roman graphique à l’ambiance singulière. Parce que c’est un récit à la fois très belge, puisqu’il se déroule dans la campagne flamande, et très universel. Parce que l’environnement rural et villageois de cette histoire est certes paisible et reposant, mais avec en même temps quelque chose de vaguement menaçant. Parce que c’est le premier album très réussi de Clara Lodewick, une jeune autrice belge de 25 ans.
A qui ça plaira: A celles et ceux qui aiment les chroniques rurales.