Auteur : Estelle Tharreau
Éditions : Taurnada
Paru le : 03 novembre 2022
250 pages
Thème : Thriller psychologique
disponible sur le site de l'éditeur
et sur Amazon
Coup de cœur !
Résumé
« Sébastien Braqui est soldat. Sa mission : assurer les convois logistiques. Au volant de son camion, il assiste aux mutations d'un pays et de sa guerre. Homme brisé par les horreurs vécues, il devra subir le rejet de ses compatriotes lorsque sonnera l'heure de la défaite. C'est sa descente aux enfers et celle de sa famille que décide de raconter un reporter de guerre devenu son frère d'âme après les tragédies traversées « là-bas ».
Un thriller psychologique dur et bouleversant sur les traumatismes des soldats et les sacrifices de leurs familles, les grandes oubliées de la guerre.
« Toutes les morts ne pèsent pas de la même manière sur une conscience. » »
Ma chronique
Je remercie la maison d'éditions Taurnada pour cette lecture poignante. "Ce soir, s'écrit enfin le dernier chapitre d'une guerre qu'il faudra oublier" Mais comment oublier l'horreur sans nom que vivent nos soldat envoyés pour obtenir la paix dans un pays qui se jouent d'eux ? Comment oser demander aux autres de se taire, de les oublier eux qui ont tout donné jusqu'à leur vie de famille, jusqu'à leur âme pour d'autres ? Qui a le droit de les juger pour des actes commis ? Qui peut dire "moi à sa place ? Non, personne n'est à la place de ces hommes qui se retrouvent sur le terrain et surement pas nous qui restons dans nos chaumières, les fesses posées dans un canapé sans un bruit, ou uniquement le chien du voisin qui s'amuse. Qui est véritablement le monstre ? Celui qui se bat pour qu'un pays reste libre ou celui qui dénigre ce qui est fait, parce que le pays concerné veut un retournement de situation ? Il y a tellement à dire sur ce récit que les mots risquent de couler, de ne pas pouvoir s'arrêter, parce que même s'il ne s'agit que d'un récit imaginaire les faits sont là : faire une guerre propre n'existe pas et pourtant ceux qui n'y vont pas y croit dur comme fer.
Sébastien Braqui a choisi d'aller là-bas afin d'y apporter sa contribution. Être comme son père, un routier, il a décidé d'être un chauffeur. Son quatrième retour ne se passe pas au mieux. Nous débutons sur son régiment qui revient, en fourbe, pour éviter de se faire caillasser comme cela a pu se produire en partant. Qu'est-ce qui a bien pu se passer sur ces terres pour que des hommes remplis de bonne volonté au départ, se retrouve tels des parias, les regards perdus, mortifiés, les âmes en perdition. Le sentiment de ne plus quoi savoir faire, de chercher ce qui a pu mal fonctionné, du pourquoi au-dessus d'eux ILS ont décidé qu'ILS n'étaient plus dans le ton. La nouvelle armée n'a pas besoin de ces vieux qui ont pourtant donné beaucoup, trop, beaucoup trop et qui vont avoir... Rien ou presque rien. Des oubliés, des hommes que l'on jette dans un coin, qu'il faut faire disparaitre d'une manière ou d'une autre et les rejets, les fameux purgés qui vont devoir se débrouiller. Avancer en oubliant ? Les mots décrits par l'auteur nous entraînent dans une guerre sans merci. Ceux qui pensaient que cela ne serait que de la facilité se trompe. L'horreur, les épidémies, les gens à sauver, ceux qui ne veulent pas, ceux qui croient encore en la politique, ceux qui ont des œillères, ceux qui sont là pour tuer. De véritables vampires qui veulent du sang : celui de n'importe qui. Celui de leurs frères et sœurs qui ne veulent pas se battre celui des soldats qui passent sur leur terrain de chasse, celui des gens qui sont là pour aider, tout est bon à prendre.Le récit n'est pas de Sébastien, il est d'une personne qui l'a connu sur le terrain, qui sait ce qu'il a vécu, qui n'est pas un frère d'armes, mais c'est pareil. Il suffit parfois d'une nuit affreuse, d'un moment horrible pour resserrer les liens entre deux hommes. Une souffrance partagée qui ne peut s'expliquer par des mots. Des liens qui n'auraient pas dû exister dans le sens où ces scènes et plus particulièrement celle-ci ne devrait pas exister. C'est un monde d'imaginer ce qui se passe à des milliers de kilomètres, s'en est un autre d'avoir les pieds dedans et profondément ancrés sans pouvoir s'en défaire par une bonne douche, comme une journée de travail difficile. C'est un récit qui m'a fait relativiser encore plus sur ce que je vis, car ce que nous vivons est bien différents de ces hommes qui sont loin de chez eux, qui tentent de s'en sortir et qui, lorsqu'ils reviennent ne sont pas totalement avec leur famille. C'est impossible de couper net, d'avoir un bouton reset et de recommencer à zéro comme si de rien n'était. Les images sont imprimées profondément dans leur rétine et pour ne plus en souffrir, pour ne plus avoir de cauchemars, de cris la nuit, il ne faut pas hésiter à demander de l'aide. Oui, mais à qui ? Un gout amer en bouche, ceux qui ont envoyés ces hommes avec Sébastien se fiche éperdument de ce qui peut leur arriver. Un psy par téléphone une fois et c'est bon. La bonne blague, comment un coup de fil peut permettre de savoir réellement qui en a le plus besoin ? Des aides pécuniaires ? Mais pour quoi faire, vu que tous veulent oublier cette guerre et l'enterrer six pieds sous terre, alors qu'on les aide ? Non, pourquoi faire ? La colère, la rage, la frustration, la colère, tout nous envahit, nous lecteurs, alors forcément lorsque cela arrive à un être humain dans le cas de Sébastien, et il y en a plein dans le monde, nous ne pouvons qu'imaginer une infime partie de ce qu'ils vont subir. Les mots soufflés aux creux des oreilles pour ne pas mettre en rogne les survivants, les tarés, les fous furieux... Les regards lancés, les piques ajoutées et puis la famille qui reste en France et qui subit : l'absence d'un père, d'un mari, d'un compagnon. Qui subit les regards des autres quand tout va mal, qui subit les mots crus quand le poste convoité par une autre est donné à la femme du militaire alors qu'elle n'en a pas besoin. Qui subit tout ce que celui qui revient ne veut pas expliquer. Les deux parties subissent sans le vouloir, sans le pouvoir et même la communication devient bien trop difficile. Comment mettre des mots sur certains actes ? Sur certains ressentis ? C'est l'incompréhension pour tout le monde, ceux qui vivent au cœur des événements, ceux qui ne savent pas et voudraient comprendre et ceux qui croient que la faute leur revient à eux, des soldats en oubliant qu'ils en font pas ce qu'ils veulent, qu'ils subissent aussi des pressions énormes. Un soldat doit se conformer à ce qu'on lui dis, il ne peut pas se rebeller, il ne peut pas faire ce qu'il veut. C'est tellement facile de ne pas vouloir le comprendre, pour montrer du doigt la mauvaise personne... Cette colère, ces émotions violentes, ce sont les personnages dans leur entièreté qu'ils la ressentent, la subissent de toutes parts.
Une famille qui se détruit, une parmi tant d'autres qui n'a pas su résister à une guerre qui n'a pas su s'arrêter à temps. Est-ce qu'il aurait fallu ne pas y aller ? Est-ce que la première fois était de trop ? Ou bien plus encore ? La naissance des casques bleus est-elle une meilleure chose ? Moins de fusils, plus de médicaments ? Le récit se fait avec plusieurs retours en arrière et ces questions ne trouvent pas de réponses, parce qu'il n'y en a pas. Les militaires sont sur le terrain, les civils du Shonga voient ce qui se passent, imaginent un monde meilleur comme ce petit Momar qui a cru voir une étincelle dans le regard de Sébastien. Les missions défilent, le temps aussi, les allers-retours de ces 20 ans de guerre, entre une terre aride qui n'a plus que le malheur à vomir et un faux retour dans sa patrie, nos hommes n'ont plus la tête à vivre comme avant. Ce comme avant qui les bouffent, les submergent et entrainent les leurs dans une descente aux enfers ingérable. La psychologie est terrible dans cette histoire. Décryptée, usée, fournie, nous ne pouvons que suivre les mouvements de ces personnages avec le froid qui parcourt le dos. Ce n'est pas un livre que j'ai lu d'une traite, ça impossible pour moi. Il est trop puissant, trop fort, trop émotif pour le digérer en une fois. J'ai mis plus d'une semaine et plusieurs livres entre des chapitres pour en ressortir sans avoir envie de faire comme Sébastien au final. Le cercle vicieux de l'alcool, de l'aide qui ne vient jamais, des autres qui les prennent pour des fous. Plus le rejet est violent, plus il s'enfonce et le serpent se mord la queue durant des mois... Le comportement de Sébastien est mis en avant avec tout ce qu'il voit et ressent, ce qu'il fait et subit (je pense que ce verbe est le plus important). Les traumatismes ne sont pas feints, le syndrome du stress post-traumatiques existe par la force des choses : se sentir humilié, faire partie de massacres, de tueries, avoir fait des choix horribles qui en peuvent être réparés, voir des morts, conduire sans pouvoir apporter son aide, la colère qui ne quitte jamais totalement un être vivant, l'échec de ne pas avoir réussi à apporter la paix malgré tout ce qu'ils ont fait. Sébastien est un soldat parmi tant d'autres qui se voient comme un déchet, qui tente de reprendre une consistance comme il peut, qui tente de reprendre sa vie en main. Mais comment faire après tout ce qu'il a vécu ? Et comment l'expliquer à ses proches qui se sont éloignés ? La violence ne les quitte pas et nous aimerions tellement le remettre sur les rails comme tant d'autres qui n'ont pas de chance, pas de soutien également. Il faut oublier cette guerre... Parce qu'elle a été raté ? Par la faute de qui ? Surement pas à cause de ces hommes qui ont vécu un enfer, mais de politiciens véreux qui ne pensent qu'à mettre des pions sur leurs échiquiers afin de garder en vie leur reine, leur royaume. Estelle Tharreau est un auteur que j'apprécie énormément, et j'ai encore deux de ces livres à découvrir, ces deux premier. Je découvre à chaque fois une plume qui apporte énormément d'émotions sur l'instant, qui fait réfléchir par la suite et donne envie d'en avoir d'autres sous la main pour continuer à lire les récits qu'elle peut imaginer. Le lien entre ce Momar et Sébastien, le lien entre notre soldat et celui qui nous raconte sa vie, le lien entre le déshonneur et la vie qui ne fleurit pas totalement... Suivre les soldats est important pour comprendre, être aux côtés des familles est tout aussi important car nous avons aussi des éléments clés qui nous permettent de comprendre pourquoi tant de déchirements. Sa fille Virginie qui ne veut plus le voir, sa femme Claire qui l'aime toujours malgré les années et qui essaie de l'aider, de le comprendre, de voir en lui l'homme qu''elle aimait alors qu'ils étaient tous jeunes. La communication ne peut pas se faire, pas avec tout ce qui se passe dans leurs têtes. Suivre ces deux femmes nous donnent beaucoup d'indications sur leur manière de vivre, sur leurs ressentis, sur ce qui est abimé et qui pourrait peut-être un jour être réparé. La fin m'a fait peur et j'avais imaginé quelque chose qui par "bonheur" n'arrive pas réellement (mais un détail 'avait mis sur le bon chemin, vive les bonnets de noël !) Rien n'est totalement terminé dans ce récit, le reste est à écrire pour ces personnages, mais ils sont sur une voie qui devrait être un peu moins chaotique.
En conclusion, un récit psychologique noir, poignant, impossible à mettre de côté. On aime ou on n'aime pas, il ne s'agit pas de dire si nous sommes pour ou contre la guerre, il s'agit d'hommes et de femmes qui la subissent et qui doivent vivre avec. Il s'agit de suivi psychologique qui ne vient pas pour des êtres humains qui en auraient besoin, pas parce qu'ils sont fous ou tarés, mais parce que parler à une personne extérieure est plus facile qu'à la famille. La psychologie de ces personnages est travaillée tout comme la manière d'aborder le sujet de la grande muette qui cache tout ce qu'elle peut pour couvrir quelqu'un ou quelque chose ? Toujours est-il qu'il ne s'agit pas d'une simple histoire, elle remet tout en question et montre qu'il y a toujours deux côtés dans une histoire.
Extrait choisi :
« Pendant des jours, le camp avait ressemblé à un bateau qui, après avoir subi tant d'avaries, dérivait dans la tempête. Puis le bruit et la fureur de la ville s'étaient arrêtés presque aussi vite qu'ils s'étaient déclenchés. La tempête s'était déportée vers le pays natal de Sébastien le laissant seul et impuissant dans l'enceinte de ce camp qui ne servait à rien d'autre qu'à attendre des ordres qui ne venaient plus.
Les longues journées d'ennui et des nuits sans sommeil s'enchaînèrent : penser à ceux qui vivaient dans la peur dans leur propre pays et à ceux, morts, dans celui-là. Se morfondre et attendre. Prisonnier du Shonga, de ce camp et de ce treillis. Ne plus s'entrainer et ne plus tirer pour faire profil bas en cette période d'accalmie. Se lever, manger au réfectoire, laveer les bâtiments et le matériel, manger, regagner son lit. Pas même un début d'alerte simulée ou réelle pour tromper la morosité qui envahissait les corps et les esprits. Une vie qui sonnait comme une ritournelle carcérale avec cette dérisoire salle TV comme cour de promenade. »