Le mérite de l'honnêteté. Lorsque David Finch hérite du concept de départ d'Aphrodite IX, et qu'il commence à développer le personnage, il prévient d'emblée que la série à venir n'aura d'autre but que d'être un bon gros comic book mainstream, dans le ton de ce qui se faisait alors (les années 1990 étaient passées par là), notamment sur l'étiquette Top Cow de Marc Silvestri. Du coup, son androïde est surtout gynoïde, et sa plastique emprunte aux canons les plus éculés du fantasme geek masculin. Une créature au corps de rêve, avec des formes là où il faut, abondantes, voire surnaturelles, qui prend des poses aguicheuses pour accomplir le moindre mouvement, mention particulière pour la cambrure de l'extrême, à quatre-vingt dix degrés, au cas où ces messieurs auraient raté le fessier. Avec une chevelure verte du plus bel effet, et une sorte de tâche de la même couleur sur la joue gauche. Une femme somptueuse qui n'en est pas vraiment une, mais aussi et surtout une arme rôdée aux assassinats et autres missions éclairs, sans le moindre remords, sur commande. Encore plus pratique, à la fin de chacune d'entre elles, sa mémoire est effacée, et Aphrodite doit reprendre conscience d'elle-même, à commencer par son identité, son entourage immédiat, au point qu'une des techniques employées pour accélérer le processus est un enregistrement réalisé à son propre bénéfice, pour anticiper le "rebootage" inéluctable à venir. Mais notre "héroïne" n'accepte pas l'idée de ce qu'elle est censée être. Ses agissements passés, qui sont pourtant la conséquence de se programmation et donc caractéristiques de ce qu'elle est capable de faire, la repoussent et sont une source de tourment. Au final, Aphrodite IX n'est pas la seule de la "série" et elle va aller à la rencontre de celles qui est responsable de sa création, ainsi que du savant qui est un peu comme son "père". Un retour aux sources en guise de capacité de s'affranchir, définitivement, d'un destin préprogrammé.
La recette est alors simple. Du complotisme, du mystère, de l'érotisme, de la science-fiction, le tout dans le shaker, et on agite avant de servir frappé. Depuis la Galatée de Pygmalion, l'idée de créer une femme (si féminine qu'elle est aussi une menace pour ceux qu'elle séduit) artificielle a toujours trotté dans la tête des hommes, et ici le concept est poussé à l'extrême, à en devenir un fantasme lourdement armé. Toutes les tenues sont faites principalement pour révéler plus que couvrir, idem pour la mise en page, que ce soient des contre-plongées pour une chute libre, ou une rafale de munitions qui déchire les vêtements et laisse apparente la petite culotte. Finch interroge aussi le lecteur sur l'avenir même du genre humain, qui est de plus en plus dépendant de la technologie. Jusqu'où ira t-on pour guérir, pour nous améliorer, défier la mort ? Et si en fait les machines était nées pour nous supplanter, forcément, et que ce n'était qu'une question de temps, et de modalité , Autour d'Aphrodite IX, on rencontre également Burch, un géant bourlingueur au crâne rasé qui en sait plus qu'il ne devrait, et utilise la belle assassine pour des projets personnels. Et le play-boy Neville Stewart, dont l'élégance rassurante et l'autorité permettent de sauver la mise à notre beauté après qu'elle ait éliminé un ministre dont elle avait fait tourné la tête, en usant de ses charmes, à une réception huppée. David Finch et David Wohl signent là un de ces témoignages d'époque, avec une série (suivie d'une autre, plus tard) qui souffre tout de même de la lenteur de son dessinateur, à tel point que l'aide de Clarence Lansang fut requise pour tout publier dans des temps raisonnables. Les studios Top Cow ne se départiront jamais de cette étiquette d'usine à talents dont les produits finis restent loin de ce qu'ils pouvaient être correctement exploités et travaillés, mais qui exercent toujours une fascination évidente, et une influence notable, sur nombre de maisons d'édition américaines contemporaines. Du reste, cette édition française, chez Reflexions, a été un des petits succès à sensation de 2022; il y a bien une raison, vous ne trouvez pas?
Le volume 2, avec la min série illustrée par Stjepan Sejic, est attendu pour la fin janvier, toujours chez Reflexions. On y reviendra.
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