Philippe Blay : Reynaldo Hahn

Reynaldo Hahn, Marcel Proust, Pierre Loti,  Philippe Blay, né en avril 1960, est un musicologue français, conservateur en chef à la Bibliothèque Nationale de France, spécialiste du théâtre lyrique en France sous la Troisième République et du compositeur Reynaldo Hahn ce qui justifie cette récente biographie.

Reynaldo Hahn, né en 1874 à Caracas au Venezuela et mort en 1947 à Paris, est un compositeur, chef d'orchestre, chanteur et critique musical français d'origine vénézuélienne. Son œuvre la plus célèbre est Ciboulette, une opérette en trois actes, créée le 7 avril 1923 au théâtre des Variétés à Paris. Par ailleurs, sans vouloir la jouer people, ce fût l’amant le plus célèbre de Marcel Proust…

Le bouquin est très complet donc plus que copieux et très dense. Trois axes peuvent en être dégagés : Reynaldo Hahn, sa vie, son œuvre, l’interprète d’exception et l’homme de lettres accompli, chanteur-né, chef d’orchestre et directeur musical de grande envergure, critique musical influent et alerte conférencier ; ses liens avec Marcel Proust (1871-1922) en évitant les ragots ; la vie sociale et culturelle du Paris de cette époque. Comme personne n’ira vérifier que vous avez lu ce livre de la première à la dernière page, vous pouvez vous intéresser plus précisément à l’un ou l’autre de ces thèmes. C’est ce que j’ai fait, je ne m’en vante pas mais la vérité doit primer.

Reynaldo Hahn est le benjamin d’une famille nombreuse d’origine juive allemande très aisée, ce qui contribue « à entretenir chez lui une forme d’insouciance et une absence d’esprit de compétition, même s’il avoue beaucoup travailler ». Précoce, il montre très jeune des dispositions pour la musique et devient l’élève de Jules Massenet au Conservatoire de Paris avec lequel se créera une belle amitié réciproque. Toutes les œuvres du musiciens sont analysées, tout son parcours détaillé et c’est dans ce luxe d’informations pointues que j’ai un peu abrégé ma lecture. Désolé, mais je ne connais pas la musique de cet artiste même si aujourd’hui pourtant, la musique de Reynaldo Hahn séduit une nouvelle génération d’interprètes…

Les deux autres thèmes m’ont beaucoup plus passionné. Sa liaison de deux ans avec Proust débutant par une rencontre en 1894 chez Madeleine Lemaire, peintre de son état, elle fut l'un des modèles qui inspira le personnage de Madame Verdurin dans A la recherche du temps perdu, elle reçoit le Tout Paris dans ses salons chaque mardi, et la fascination de l’écrivain pour « ce beau Latino-Américain qui, au-delà de la séduction physique, est en capacité, par sa culture, son intellectualité, son humour et sa prestance, de devenir l’interlocuteur primordial de l’écrivain majeur qui commence à se construire ». Et quand l’amour s’effacera, une amitié très sincère les unira jusqu’aux derniers jours de Proust, se proposant de jouer les infirmiers pour lui quand il sera mourant chez lui, ou pouvant le visiter sans se faire annoncer ou refouler par Céleste Albaret. On les suit dans leurs déplacements, leur complicité (ou non) intellectuelle et l’on constate que leur liaison homosexuelle ne crée pas de problèmes particuliers à l’époque. On notera, sans que ce soit voulu, qu’ils sont tous deux enterrés au Père-Lachaise, non loin l’un de l’autre, Hahn dans son caveau familial.

Enfin, le dernier thème qui court tout du long de l’ouvrage, c’est le contexte historique, social et culturel de cette époque. Les salons chez telle ou telle où les discussions vont bon train sur la littérature et la musique, où l’un se met au piano pour accompagner un artiste vocal ; les sorties nocturnes à l’Opéra ou au spectacle, les répétitions d’artistes ; les voyages à Venise ou en Allemagne, à moins que ce ne soit dans la propriété d’amis en Normandie ou ailleurs… Le beau monde sait vivre.

On croise toute la fine fleur intellectuelle et mondaine et politique de l’époque, les artistes contemporains vénérés par Reynaldo Hahn (Sarah Bernhardt, Saint-Saëns, Pierre Loti…), une distribution prestigieuse.

Enfin je tiens à préciser qu’il y a de nombreuses annexes en fin d’ouvrage, en particulier deux index, l’un de tous les noms propres cités et l’autre de toutes les œuvres du musicien. Des outils indispensables dans ce genre de livre pour s’y retrouver.

Un excellent bouquin.

« Alors que paraît en janvier 1896 chez Heugel un volume rassemblant 20 mélodies de Hahn et que Les Plaisirs et les Jours de Proust s’acheminent vers leur publication, les rapports entre les deux amants se détériorent, pour des raisons multiples dont certaines sont facilement perceptibles : ils sont encore à l’âge où l’attrait d’expériences nouvelles est intense et Lucien Daudet s’y prête ; Reynaldo Hahn a un besoin vital d’indépendance alors que pour Marcel Proust la jalousie est consubstantielle à l’amour, ce qui ne l’empêche pas d’éprouver lui-même des désirs d’infidélité. Au moment où il devient personnage de roman, le « dieu déguisé » du Jean Santeuil toujours en chantier, Reynaldo-Henri semble perdre en attrait sensuel chez son ami, tout en continuant à susciter chez lui l’appréhension d’une possible rivalité avec un autre garçon. »

Reynaldo Hahn, Marcel Proust, Pierre Loti,  Philippe Blay   Reynaldo Hahn   Fayard  - 700 pages -