La rencontre entre Célestin et Lotte. (c) La joie de lire.
En littérature générale, la romancière franco-suisse Elisa Shua Dusapinest déjà bien connue, notamment par les prix littéraires qu'elle engrange crânement, alors qu'elle est née en 1992! Son premier roman, "Hiver à Sokcho" (Zoé, 2016) a reçu le prix Révélation de la Société des gens de lettres 2016, le prix Régine Deforges 2017, l'estimé prix suisse aujourd'hui bisannuel Robert Walser et... le National Book Award américain 2021 pour sa traduction par Aneesa Abbas Higgins ("Winter in Sokcho") en catégorie "littérature traduite". Son deuxième roman, "Les billes du Pachinko" (Zoé, 2018) a reçu le Prix suisse de littérature 2019 et été finaliste, comme son troisième, "Vladivostok Circus" (Zoé, 2020), du prix Blù - Jean-Marc-Roberts. Elle vient de recevoir la Bourse-écrivain de la Fondation Jean-Luc Lagardère (20.000 €) pour mener à bien le projet de son quatrième roman, portant "sur les liens complexes d'une sororité".
Sait-on seulement qu'en parallèle, Elisa Shua Dusapin a aussi écrit une pièce de théâtre musicale (musique de Christophe Sturzenegger), à la demande du Théâtre Am Stram Gram de Genève, et qu'elle y fut jouée en mai 2022 avec la participation de l'Orchestre de la Suisse romande?
Pièce de théâtre à l'origine, "Le colibri" se présente aussi comme un magnifique et épais roman graphique à destination de la jeunesse (à partir de 12 ans), délicatement illustré par l'artiste suisse Hélène Becquelin (La joie de lire, collection "Somnambule", 160 pages, avec un QR code permettant d'écouter la version audio longue de près de deux heures). Il s'agit de la première contribution de la romancière en littérature de jeunesse. Dans cette puissante bande dessinée au très bon rapport texte-images, il est question d'identité, d'amitié, de deuil, d'espérance et de liberté.
Tout commence quand le jeune Célestin et ses parents quittent leur petite maison en bord de mer pour s'installer en ville, dans un appartement au troisième étage. Dans le ciel, les corneilles remplacent les mouettes. Dès le départ, on sent Célestin triste, porteur de choses trop lourdes pour lui. De fenêtre à fenêtre, ou de toit à toit, il fait la connaissance de sa jeune voisine. Lotte, au nom de poisson. Particulière, imaginative, sensible, fantaisiste, "bizarre" pour Célestin.
Du ciel, le frère Célin veille et agit. (c) La joie de lire.
L'histoire se déroule en une succession de brefs chapitres. On voit apparaître Célin, le frère aîné mort devenu "explorateur du ciel", que Célestin ne peut évoquer avec ses parents, porteur d'un colibri endormi dont il lui confie la responsabilité. Une responsabilité qui va rapprocher Lotte et Célestin, faire grandir la toute jeune amitié de ces gamins de treize ans, leur permettre de se raconter. Ils ont chacun souffert mais profitent l'un de l'autre pour parler de tout souvent et de rien parfois. Les soins au colibri, les visites de Célin, la nouvelle du départ prochain de Lotte les incitent à ne pas perdre ce temps d'attente. Quand l'oiseau sortira de sa torpeur, il incitera Célestin à faire de même. A affronter enfin le passé, aussi douloureux soit-il, pour vivre le présent et envisager l'avenir.
L'écriture d'Elisa Shua Dusapin a une finesse et une force qui n'empêche pas les notes d'humour et de fantaisie. A l'économie de ses mots se mêlent agréablement les illustrations douces d'Hélène Becquelin, dans une très belle palette de gris qui ne sont éclairés que par le vert du colibri et les couleurs des fleurs qui lui sont apportées. Avec sa mise en page sobre et aérée, rendant grâce aux dialogues, "Le colibri" s'avère être un roman graphique de toute beauté, d'une grande force tout en étant d'abord aisé.
Le colibri est sorti de sa torpeur. (c) La joie de lire.