Avalanche - Raphaël Haroche ♥
Gallimard
La BlancheParution : 12/01/23Pages : 224
ISBN : 9782072991356
Prix : 18.50 €
Présentation de l'éditeur
« Le zombie, bien sûr, c’est mon Nicolas qui se tient au centre du cercle de la cour du rocher, à genoux, courbé, rachitique, sa colonne dessinant un z, tordue comme le dos flagellé d’un martyr, semblant servir de paratonnerre à l’orage qui tarde à venir, à la colère de l’internat, sa république d’enfants cruels.
Mon Nicolas avec sa morphologie bizarre, dérangeante, exposée aux yeux de tous, créature qu’on pensait éteinte, disparue dans les forêts de Lituanie et de Pologne avec les golems et les dibbouks. »
Automne 1989. Après l’accident de voiture qui a coûté la vie à sa mère, un collégien en perte de repères intègre avec son petit frère un pensionnat pour familles riches, perché sur les flancs d’une montagne. Plus rien ne sera comme avant.
Entre éclairs de tendresse et débordements de cruauté, ce roman singulier et mélancolique est une chronique bouleversante de l’adolescence.
Raphaël Haroche
Photo Francesca Mantovani © Éditions GallimardOn ne présente plus le chanteur.
Après deux recueils de nouvelles
- Retourner à la mer 2017 Prix Goncourt de la nouvelle
- Une éclipse en 2021
Raphaël Haroche nous présente son premier roman.
Mon avis
C'est un premier roman pour Raphaël Haroche, il nous parle de l'adolescence, cette période particulière de la vie où l'on quitte l'enfance, où l'on entre dans le monde adulte et y découvre la dureté de ce monde, les rapports de force et la violence de la vie. Le moment où l'on prend vraiment conscience de la réalité de la vie en société.
L'action se déroule en 1989. Léonard (15 ans) et son petit frère Nicolas (12) viennent de perdre leur maman dans un violent accident de voiture. Leur père travaille en Amérique du Sud et les abandonnent à leur grand-mère d'origine ukrainienne. Arrivée en France d'Odessa il y a un demi-siècle, elle a gardé son accent mi russe, mi yiddish, elle incarne la pauvreté, la vieillesse et fait honte aux garçons en partance pour la Suisse. Nicolas possède un don pour le piano ce qui leur a permis d'obtenir une bourse pour rejoindre un prestigieux internat en Suisse réservé à l'élite mondiale, des riches uniquement.
"Je balaie du regard la cour de l'internat, enfants d'oligarques, de généraux, de marchands d'armes ou de pétrole, de financiers apatrides, corrompus à tous les étages, corrompus en famille, corrompus dans la solitude, jusque dans leur sommeil. Une réunion des parents d'élèves, si elle avait lieu, ressemblerait à une audience préliminaire de la Cour Pénale internationale."
Ils vont intégrer un autre monde, c'est un nouveau choc pour les deux frères, l'aîné s'y accomodant mieux, Léonard veut protéger son frère Nicolas qui sera la cible de la cruauté des enfants lors d'un bizutage, mais en même temps lui dit qu'il doit s'endurcir, apprendre la violence de la vie.
"Tu dois être un mensch, c'est ce que maman aurait voulu, tu ne vois pas qu'ici nous sommes dans le ventre de l'ennemi, tous ces gosses de riches n'attendent qu'un signe de faiblesse pour nous tailler en pièces."
Dans cet internat tout est permis pour ses fils de riches; c'est l'apprentissage de l'alcool, la drogue, la violence mais aussi la découverte de l'intensité et la confusion des sentiments, découverte de son corps - masturbation, premiers ébats pas toujours concluants ...
C'est le sentiment de honte qui domine pour Léo et Nicolas, lorsque leur vieille grand-mère avec son accent et ses sacs en plastique vient leur rendre visite à l'internat. Honte de ces deux mondes qui se côtoient, ultra riche et eux, honte des symboles que véhicule leur babooshka - vieillesse et pauvreté - qu'ils adorent pourtant et du manque d'amour de leur maman.
Tout se déroule sur fond historique à la rentrée de 1989, entre la chute du mur de Berlin jusqu'au procès exécution de Ceausescu.
Un très beau premier roman très réussi. L'écriture est belle, poétique par moment, drôle ou mélancolique à d'autres.
A découvrir au plus vite
Ma note : 9/10 ♥Les jolies phrases
Ici les grands sont solidaires des petits, l'une des choses les plus importantes est l'entraide, nous sommes une seule et même communauté.Je balaie du regard la cour de l'internat, enfants d'oligarques, de généraux, de marchands d'armes ou de pétrole, de financiers apatrides, corrompus à tous les étages, corrompus en famille, corrompus dans la solitude, jusque dans leur sommeil. Une réunion des parents d'élèves, si elle avait lieu, ressemblerait à une audience préliminaire de la Cour Pénale internationale.Nous avons un dicton qui se vérifie d'année en année, à l'institut du Rocher : "Ceux qui sont impatients apprennent la patience et ceux qui sont patients deviennent impatients." Intéressant n'est-ce pas ? A méditer !
Je regarde les élèves courir derrièer la balle, se rouler par terre en simulant une blessure, comme le font les joueurs à la télévision, j'ai une envie inexplicable de pleurer, peut-être à cause de la fêlure de mon crâne, une faille par où la joie s'écoulerait, comme une fuite d'huile, il paraît qu'en vieillissant les cellules de l'anxiété meurent avec les neurones, il n'y a plus qu'à attendre.
Les premières gouttes de pluie se font sentir, d'abord une goutte hésitante comme un éclaireur, minuscule bourrelet sphérique tombé d'on ne sait quel Everest, puis une ou deux autres, aussitôt suivies par des millions, se désintégrant au sol, explosant dans les cheveux, sur les visages, inondant le costume de monsieur Malvoisin qui continue son discours fleuve, nous forçant à rester figés dans la cour.
Ce sont tous des veaux ici, s'amuse Stefano, un peuple de veaux, qui attendent sagement qu'on les mène d'un enclos à un autre, on les laisse croire qu'ils sont libres, avec des référendums, des élections, des questions à choix multiples, mais le seul choix qu'ils ont c'est de décider où se trouve leur enclos et à quelle heure ils peuvent rentrer à l'étable, et lorsqu'ils s'échappent ils cassent quelques clôtures électriques puis se retrouvent apeurés à chercher l'entrée de l'enclos dont ils se sont échappés, rien ne fait plus peur que la liberté tu ne crois pas ?
Tu dois être un mensch, c'est ce que maman aurait voulu, tu ne vois pas qu'ici nous sommes dans le ventre de l'ennemi, tous ces gosses de riches n'attendent qu'un signe de faiblesse pour nous tailler en pièces, tu as vu comment ils appellent les pauvres ? Les suceurs de glace ! Tu as vu leur mépris lorsqu'ils descendent au camping pour trousser les filles, c'est encore le droit de cuissage qui s'applique, tu dois comprendre les règles sinon tu ne vas pas t'en sortir, arrête de te morfondre, pense à Harrison Ford, ce qu'il ferait à ta place ? Et Stallone ? Il foutrait le feu à tout l'internat, il ferait exploser la ville.
Le monde n'a rien de parfait, il y a des millions de créatures qui attendent notre extinction dans les fissures, sans dents, rampant, enchevêtrées dans le noir. Le monde n'a rien de parfait, des virus et des prisons ne cherchent qu'à nous coloniser avant de s'autodétruire faute de combattants, chacun ne cherche qu'à bouffer son prochain.
Je ne sais pas trop, parfois je me dis que la vie consiste à faire semblant d'aimer ce qu'on subit, c'est sûrement ça la vie pour beaucoup de gens, essayer d'aimer ce qui nous est arrivé.
Le présent n'existe pas, le temps d'y penser, c'est du passé.
Je ne crois pas qu'on s'intéresse beaucoup à notre liberté, j'ai parfois l'impression que le monde est un piège qui se referme sur nous, la seule liberté est d'en sortir...
Est-ce qu'on ne devrait pas avoir pitié pour les enfants des bourreaux ?