Une relation toxique clairement dite. (c) La Partie.
Bien sûr, des albums belges ont déjà été évoqués dans cette rubrique (ici). En voici d'autres. D'artistes belges ou assimilés, c'est-à-dire résidant depuis cinq ans dans notre royaume.
S'insurger, toujours
La luxuriance des couleurs s'oppose frontalement aux propos. Petite Ourse qui a été adoptée par Pandora, une panda aussi intelligente que persécutrice, souffre d'être constamment maltraitée. Elle qui fait tout dans la maison et le fait bien est effacée par sa mère abusive qui s'attribue toutes ses réussites, qui dénigre toutes ses activités. De scène en scène, on découvre l'étendue de la malfaisance de Pandora, sa violence même, tant physique que morale, et les dégâts sur Petite Ourse. Complètement isolée, cette dernière trouvera finalement une alliée dans le ciel en la personne de la Grande Ourse. De réconfort en réconfort, cette dernière rendra identité et confiance à sa petite protégée de manière à ce qu'elle trouve la force de partir et de quitter cette mère adoptive nocive. En filigrane ce ce magnifique album rendant hommage à une petite trentaine de fleurs et de plantes, la splendide idée qu'il y a toujours quelqu'un pour nous venir en aide. Avec une infinie délicatesse, "Petite et Grande Ourses" traite des abus dont sont victimes les enfants en leur permettant de se glisser dans ses pages certes violentes mais sans mièvrerie ni pleurnichage. Totalement dans la ligne de la phrase de Gisèle Halimi, posée en exergue: "... ne laissez rien passer dans les gestes, le langage, les situations qui attentent à votre dignité, ne vous résignez jamais."
Petite Ourse atteint son point de non-retour. (c) La Partie.
Poésie en mots et en images
Un petit format pour un album jeunesse à la taille d'un roman en littérature générale. Une magnifique liberté dans les mots de Thomas Vinau qui a composé quatre poèmes, un par saison. A chaque page, en écho plutôt qu'en illustration, les merveilleux dessins paysagers d'Anne Brouillard où se distinguent parfois des silhouettes d'humains ou d'animaux. Ils sont d'une extraordinaire lumière, magnifiquement rendue à l'impression, et sont comme protégés par les épaisses couvertures de carton fort. La beauté est là. La satisfaction du lecteur totale et son plaisir immense.
A chaque saison, sa couleur de titre. On découvrira successivement "Le vilain petit bonhomme (automne)" en brun, "Le miroir cassé (hiver)" en bleu nuit, "Le camion tout pourri (printemps)" en vert, "Le berger (été)" en bleu. Quatre textes de saison qui chatouillent l'imaginaire, relient réel quotidien et élucubré, jouent avec les mots pour créer des sensations. Plusieurs dizaines de dessins plus somptueux les uns que les autres, grandes pages ou vignettes, au tour et à l'alentour d'une maison isolée, dans les bois qui l'entourent, avec ses visiteurs attendus ou pas, pour se repaître les yeux d'émotions, de sensations, d'élégance et de grâce.
Comment est né ce livre improbable? La réponse de son éditrice, Camille Gautier.
"Il est des livres comme de la vie, ils nous amènent leur lot de surprises, de rencontres et d'instants de grâce. "Pizza 4 saisons" est de ceux-là, car tout dans son histoire relève d'un compagnonnage joyeux.L'histoire commence en juin 2021, quand, prenant mon courage à deux mains, j'écris à Thomas Vinau pour lui dire combien j'aime son travail et son écriture. (...) Ma proposition fait son chemin chez Thomas, et quelques mois plus tard, j'ai le plaisir de recevoir un texte dans ma boîte mail, une "Pizza 4 saisons" bien étrange dont je mettrai longtemps à apprivoiser le titre alors qu'il me semble maintenant d'une telle évidence. Un mélange de lyrisme et d'espièglerie, de banal et de poésie. Là aussi, comme dans la vie.Toute la difficulté réside maintenant dans le choix de l'illustrateur ou l'illustratrice qui va s'emparer de ce texte atypique (la poésie contemporaine pour les enfants peut en effrayer certains). C'est très naturellement que le nom d'Anne Brouillard se dessine sur nos lèvres, et quelle chance qu'elle accepte d'embarquer dans l'aventure. Un pont entre la plaine du Nord et la garrigue du Sud se crée, les mois passent, les lumières changent et nous nous régalons des métaphores culinaires pendant que la pâte de cette pizza lève doucement et prend son temps. Au cours de nos échanges il est question de nature, de paysages, d'une maison qui sera le centre névralgique des promenades du livre. Une ombre sur un tronc, un renard caché dans des fourrés, une fillette qui réchauffe ses mains par un jour de grand froid. Là aussi une célébration des petits riens qui font un grand tout, en totale adéquation avec les textes de Thomas, et sans jamais pourtant être redondant l'un avec l'autre.(...) Une année a passé, quatre saisons se sont succédées, et maintenant que la pizza est prête, quel plaisir que de voir des lecteurs s'en emparer, la déguster, la savourer.Il est des aventures éditoriales comme de la vie, elles ont un goût de reviens-y!"
Le jeu de la lumière entre les arbres. (c) Ed. Th. Magnier.
On se rappellera aussi qu'avait paru en 1997 sous le titre "Pizza quatre saisons" un album pour les plus jeunes de Jean-Marc Rochette (l'école des loisirs/Pastel).
Un petit chien épicurien
Luchien est peut-être un petit chien, il est surtout un chien qui sait jouir de la vie. Son air heureux en couverture donne une idée de ce qu'on va découvrir dans cet inventaire joyeux et épicurien. Tout ce qui lui arrive est une occasion de plaisir. Jouer, manger, explorer, dormir... Une philosophie de vie à hautement recommander. Luchien est léger et s'envole par grand vent? Aucun problème, surtout s'il atterrit dans une flaque de boue. Il pleut? Excellente nouvelle. Il est sale? Vite, un bain plein de mousse.
De page en page, on suit Luchien dans ses petits plaisirs. Bien sûr, certains ne seront pas du goût des adultes, par exemple quand le petit chien se sent des talents de peintre et barbouille les murs de la maison. Les illustrations traduisent parfaitement les états de satisfaction du jeune héros. Contagieux, ils font sourire et rire, créent du bien-être et de la joie. Stehr croque admirablement son héros, en vignettes ou en pleines pages. Et personne bien entendu ne fera le rapprochement entre l'épicurien Luchien et un enfant.
Voler? Oui, bien sûr. (c) l'école des loisirs/Pastel.
Chouettes histoires
La luciole du titre, mais aussi le bison, l'hippopotame, la girafe, le ver à bois, le moineau, le crapaud et dix autres animaux sont les héros de ces passionnantes histoires du raconteur hors pair qu'est l'écrivain néerlandais Toon Tellegen, fort bien traduites. Dix-sept histoires animalières convoquant souvent d'autres animaux dans leurs déroulés et qui interagissent parfois entre elles. Empreintes de fantaisie et même de nonsense, elles en disent long sur les travers des humains. De la luciole qui rêve de briller davantage aux résolutions du nouvel an du porc-épic en passant par le moineau qui dispense des cours de tout et même de rien, on déguste ces historiettes pétulantes. Le beau papier crème de l'album sied superbement aux splendides illustrations du Belge néerlandophone Carll Cneut. Riches de mille détails, à la fois baroques et documentaires, elle cultivent une singularité de conception et de réalisation réjouissantes, propre à leur créateur.
Le bison qui a un double. (c) l'école des loisirs/Pastel.
Et aussi
Le bon roi Dagobert de la chanson se retrouve transformé en chauve-souris par la baguette magique d'Anne Herbauts. Pas facile de porter une couronne ou un simple chapeau quand on vit la tête en bas. Dagobert ne s'en fait pas, il est heureux comme ça. Mais son apparence fait croire aux animaux qui l'entourent qu'il est fâché. Qu'il est même fâché tout le temps. Le roi est tout étonné d'apprendre de sa voisine la reine Pipistrelle de passage qu'il leur fait peur. C'est encore la visiteuse qui donnera la solution pour résoudre ce conflit au fond inexistant: "Il faut regarder les choses de tous les côtés avant de juger." Un conte plein de sagesse porté par des illustrations et un texte malicieux.
On ne rigole pas dans le Règlobus conduit par Rainette, la grenouille reine du volant. Ou plutôt, on rigole beaucoup car la chauffeuse édicte toute une série de règles numérotées, dix-huit en tout, qu'elle entend voir appliquées par les usagers. Des animaux de toutes espèces, dont les particularités physiques empêchent l'application du règlement, quand ce ne sont pas tout simplement les comportements. Un excellent rapport texte-images, les secondes contredisant totalement le premier mais permettant de réjouissantes vues en coupe du bus occupé ou des zooms sur les uns et les autres dans un graphisme rarement vu.
Album poétique que cette évocation des saisons qui s'enchaînent autour de la personne de la jeune Freja en de petits événements minuscules. De ceux qu'on n'oublie pas mais qui font grandir. Album plastique par la grâce des illustrations faites de papiers découpés, donnant du volume aux pages grâce à une très bonne qualité d'impression.
Quand Pétille est en colère, ce n'est pas à moitié. Tout valse lors de ses tempêtes. Mais cela n'empêche pas Pétille d'écouter différents animaux qui l'interpellent et l'aident à transformer sa colère en acte plus positif. Des illustrations de deux forces selon qu'on est dans la colère ou dans les solutions et un texte à la première personne permettant à chacun de se glisser à la place de Pétille.
Bonne idée que cette géante vivant dans un petit village au sommet d'une grande montagne. La vie de Mariedl est compliquée et, en finale, peu agréable. Jusqu'au jour où arrive un petit bonhomme qui dirige un cirque. Il veut faire d'elle le clou de son spectacle. Il veut en fait l'exploiter, comme les autres artistes qu'il a déjà réunis. Mariedl ne se laissera pas longtemps faire, à raison. On suit sa révolte avec intérêt - le livre est basé sur une histoire vraie. Destiné à des enfants qui ne savent pas encore lire, l'album souffre toutefois d'un brouillage au niveau du graphisme, le texte en typo géante envahissant tout l'espace des pages au détriment des dessins.
D'expressives scènes animalières dans des sous-bois joliment représentés autour de Coyote et Ours, alertés par un bruit et en recherche du Dehors. Une quête angoissée et une galerie de personnages sonores jusqu'à une finale encore plus sonore où la peur a disparu et où les deux héros se connaissent un peu mieux.
Si l'école est encore comme la décrit cet album, il y a lieu de grandement s'inquiéter. La toute petite Camille nous raconte son mal être scolaire. Constamment maltraitée par son instituteur, Camille peine durant les heures de classe. Heureusement, il y a le week-end où la petite fille peut donner libre cours à ses talents propres et s'épanouir. Un jour de semaine, l'écolière craquera. En sanglots, elle va être consolée par la prof de musique, humaine, pédagogue, positive. L'adulte lui redonnera confiance en elle, lui permettra de déployer ses talents, même de se tromper, et surtout de contrer son détestable maître. De très jolis dessins aux crayons de couleur portent ce récit qui encouragera sans doute les enfants qui n'entrent pas dans les cases classiques de l'école.
Le revanche de Camille soprano. (c) Versant Sud Jeunesse.