Vague de froid (Jean Cremers – Editions Le Lombard)
Martin, un jeune trentenaire liégeois au look de hipster, a l’air solide comme un roc. Mais il n’en est rien. Depuis qu’il s’est séparé d’Amandine, ce grand gaillard à la barbe épaisse ne sait plus très bien où il en est. Il a coupé les ponts avec ses amis et ses parents et il ne répond pas aux appels d’Amandine, qui ne cesse d’essayer de le joindre. Déboussolé, Martin cherche un sens à sa vie. Pour tenter de retrouver le Nord, il prend la direction de la Norvège avec son petit frère Jules. Ils ont pour objectif de gravir le Preikestolen, cette falaise vertigineuse qui surplombe les eaux du Lysefjord à plus de 600 mètres de hauteur. Pourquoi la Norvège? Parce que Martin, qui ressemble un peu à un viking, est passionné par les dieux nordiques. Il les sculpte dans le bois et prie souvent Thor, le dieu du tonnerre et protecteur du « Midgard », qui est le nom donné par les les vikings à notre monde. Ayant tourné le dos à la religion catholique, Martin est séduit par le côté beaucoup plus humain des dieux nordiques, qui n’ont pas seulement des qualités mais aussi des défauts, ce qui permet de s’identifier à eux plus facilement. De son côté, Jules ne comprend pas très bien le trip mystique de Martin. De manière générale, il ne comprend d’ailleurs pas grand-chose au comportement de son grand frère, qui semble s’enfermer de plus en plus dans certaines obsessions, notamment celle pour le dieu Odin, qu’il a l’impression de voir partout autour de lui. Officiellement, Jules accompagne Martin en Norvège pour remplir son carnet de croquis et préparer son examen de repêchage dans une école d’art. Mais au fond de lui, Jules espère surtout que ce périple va enfin lui donner l’occasion de parler avec son grand frère, histoire de mieux comprendre ce qui le ronge de l’intérieur. Car en réalité, Martin cache un lourd secret, qui semble de plus en plus lourd à porter au fur et à mesure qu’ils se rapprochent du Preikestolen…
On pourrait croire que « Vague de froid » est l’œuvre d’un vieux routier du Neuvième Art, tant il s’agit d’un récit tout en émotion et en maîtrise. Mais en réalité, il s’agit de la toute première bande dessinée publiée par Jean Cremers, un jeune dessinateur belge. Avec sa longue barbe, celui-ci ressemble physiquement à Martin, le personnage principal de son livre, même si lui-même estime que son caractère se rapproche davantage de celui de Jules. On peut dire que Jean Cremers était attendu au tournant avec ce premier roman graphique, dans la mesure où il avait remporté le grand prix Jeunes Talents au festival Quai des bulles à Saint-Malo en février 2020. Pour ce premier récit, il a décidé d’opter pour une autofiction. « Vague de froid » s’inspire en effet d’un véritable voyage effectué avec son frère en Norvège. « Je pensais manquer d’expériences pour dessiner quelque chose de suffisamment évocateur », explique l’auteur. « Et puis j’ai effectué ce voyage en Norvège avec mon frère, et ce fut une évidence. Les liens au sein de ma famille, de ma fratrie plus précisément, sont puissants et dignes d’être couchés sur papier ». La nature norvégienne, à la fois majestueuse et hostile par moments, est le décor idéal pour ce road-trip mouvementé, qui va permettre aux deux frères de dépasser leurs peurs. En étant obligés de se serrer les coudes face aux éléments qui se déchaînent, ils vont enfin apprendre à mieux se comprendre. Les forêts, les montagnes, les fjords et les conditions météo dantesques, sans oublier les ours, les moutons et les corbeaux, donnent à ce livre une atmosphère particulière, de plus en plus tendue au fil du récit. Le contraste entre Martin et Jules, l’un taiseux et sombre et l’autre bavard et lumineux, fonctionne lui aussi à merveille. Avec son ton à la fois intime, émouvant et très personnel, « Vague de froid » rappelle l’énorme succès rencontré il y a deux ans par « Ne m’oublie pas » d’Alix Garin, une autre jeune autrice belge. Là aussi, il s’agissait d’un premier roman graphique. Et il était également paru aux éditions du Lombard, dont les responsables espèrent certainement que le livre de Jean Cremers connaîtra le même destin que celui d’Alix Garin. C’est tout le mal qu’on souhaite à ce jeune auteur, dont on entendra certainement encore beaucoup parler dans les années à venir.