L'Inspection Générale des Carrières a pour mission de surveiller le sous-sol du territoire, après les effondrements dramatiques de la rue d'Enfer, à Paris, en 1774. Une catastrophe géologique est donc à la base de la naissance de ce service, toujours actif à notre époque. Le directeur actuel se nomme Pierre-Guillaume Alain-Serré, et il a une fille (Sophie), qui semble avoir disparu depuis plusieurs jours. Personne ne se préoccupe de cette absence inexpliquée, sauf son unique amie, Sonia, qui commence à se poser pas mal de questions, au point de se confier à son groupe de potes, et de les embarquer dans une aventure rocambolesque et périlleuse. Dez, Berry et Kim appartiennent également à cette jeunesse marginale qui traîne ses doutes et son ennui le skate à la main, tiraillée entre le désir de vouloir appartenir à une communauté ou un collectif, l'envie de se singulariser, et simplement le besoin naturel d'exister et d'être acceptée "au naturel", quelles que puissent être les orientations sexuelles ou les aspirations existentielles de chacun. Virgile Iscan parvient à animer toute cette petite compagnie, à la crédibiliser et à la rendre attachante, en pimentant les conversations avec un parler assez proche de la réalité, des expressions et des raccourcis dialectiques propres à ce qu'on peut entendre aujourd'hui dans n'importe quel lycée de France. Pas de quoi s'en vanter, littérairement parlant, mais c'est ainsi : les boomers que nous sommes ne sont pas appelés à s'exprimer ou juger, juste peuvent-ils constater. Et ici, ça marche. Autre filon narratif, les observations et les premières conclusions de deux membres de l'IGC, qui se basent sur des souvenirs universitaires et de nouvelles explosions préoccupantes dans les sous-sols de Paris, pour essayer de comprendre ce qui se joue dans les entrailles de la capitale. Le risque qui pointe le bout de son nez est celui d'un effondrement massif, pur et simple, ce qui voudrait dire l'évacuation de Paris, de tous ses habitants. Vous avez dit panique assurée ?
Assez rapidement, le mystère s'épaissit. Sonia et sa bande tentent de pénétrer au domicile du père de Sophie, pour trouver des indices susceptibles d'expliquer sa disparition. Mais rien ne va se passer comme prévu (même si ce sera le prétexte à une belle vue des toits de Paris), et les adolescents vont se retrouver nez à nez avec l'incarnation des pires horreurs du racisme, du rejet de l'autre, de la monstruosité (in)humaine, au sens propre comme au sens figuré. On bascule alors vers l'épouvante, ou en tous les cas un récit plus effrayant qu'il ne semblait au premier abord, concept renforcé par l'apparition d'un nouveau personnage dans la dernière partie, qui confirme le caractère dérangeant et déroutant de l'ensemble. Alex Nieto brille avant tout par son sens de la narration, sa façon de tenir en vie l'intérêt du lecteur d'une planche à l'autre, y compris dans des passages plus statiques où ce sont les dialogues "fleuries" et les interactions entre adolescents qui rythment la progression du récit. Il faut bien l'admettre, les expressions faciales, les visages tout courts, ne sont pas toujours extraordinaires, avec un petit côté caricatural qui a l'avantage de ne pas surcharger les vignettes, mais n'est pas systématiquement du plus bel effet. Le travail de Fabiana Mascolo aux couleurs permet cependant de valoriser l'ensemble, de lui apporter une vitalité réelle. Comme c'est désormais une tradition, 404 Comics propose une édition soignée et imprimée de manière "responsable", avec un papier assez épais et au rendu mat, qui correspond tout à fait ce que nous pourrions souhaiter. Big Under est donc une création originale française qui incarne facilement son temps, avec des personnages qui ont besoin de peu pour fonctionner, même dans l'absence (Sophie et Sonia) ou quand le scénariste charge un peu la mule, avec un chouia de jeunisme exaspérant par endroits, ou quelques portraits caricaturaux, voire grotesques (les Rats que Sonia et ses amis doivent affronter). On a parlé de Stranger Things à la française ou de récit à la John Hughes pour définir Big Under, mais sa contemporanéité et sa capacité à saisir le moment présent sont des qualités qui permettent d'en faire un produit honnête et plutôt attachant. On peut ne pas être (clairement) le cœur de ce cible de cette bande dessinée, tout en en reconnaissant la qualité, et la valorisation qu'en fait l'éditeur. D'où l'envie de pousser plus loin les investigations, et l'attente de la suite, que vous pourriez être nombreux à désirer.