Louis Calaferte (1)

Le comité de lecture était assemblé dans le plus grand secret quand la porte s'ouvrit. C'était Joseph Kessel qui s'écria: " René, tu dois publier ce texte ". Après cet ultimatum, j'eus l'occasion de lire le texte. Il s'agissait du Requiem des Innocents de Louis Calaferte. Je fus subjugué, tétanisé, envoûté, ... Au cocktail donné par René Julliard à la sortie du livre, j'ai rencontré un homme calme, doux, aimable, souriant, apaisé. La lecture et l'écriture l'ont métamorphosé, sauvé.

Extrait du Requiem des Innocents

Schborn m'en voulait un peu d'être le favori du directeur. Son orgueil ne lui permettait pas de m'en faire la remarque mais cela se devinait. Cette infime brèche demeura entre nous jusqu'au soir de juillet où je déchirai en morceaux le certificat. Après la bagarre qui nous opposa, tout devint plus clair, plus sain et nous n'avons jamais reparlé de cette pointe de jalousie. On regarde le lobe, Schborn manquait de cette vivacité d'esprit et de cette maturité qu'il aimait beaucoup chez moi. Malgré son bon sens, sa perception des choses, sa malignité et son goût des idées abstraites, Schborn manquait de véritable logique. Il était un intuitif, le poète, celui qui fait et défait le monde pour le refaire mieux encore. Plus tard, dans la ville, une fois installés ensemble dans une chambre effroyable d'inconfort et d'insalubrité, ça ne changeait pas et je découvris ce qu'était mon camarade : un étonnant bonhomme. Du courage plein le cɶur. De l'amour plein le cɶur. De cet amour insatisfait dont nul sur la zone ne faisait cas. Sous des dehors cruels, Schbornse révéla à moi éperdument pur, tendu vers la vie et l'amour qu'il ignorait. La dernière phrase de ce livre, une phrase d'amour, est écrite pour lui et pour une femme dont je n'aurai pas parlé. Elle seule, saine. Elle et moi.

Mes fantômes mêmes se refusent à me suivre et il ne traîne dans l'air qu'une inhumaine musique faite pour accompagner les larmes, tandis que je voudrais dire pour un camarade mort et une petite fille que j'aime un merveilleux chant d'amour...

Bernard Peix

Café Littéraire de Valréas

27 janvier 2022