Elliot au collège – Tome 1: Panique en sixième (Théo Grosjean – Editions Dupuis)
Tout le monde ou presque se souvient de son arrivée dans la cour des grands, lorsqu’on passe de l’école primaire à l’école secondaire. C’est un moment forcément stressant, puisqu’on doit trouver sa place dans un monde où tout est nouveau. C’est exactement ce que raconte la série « Elliot au collège », qui a fait son apparition dans le journal Spirou il y a quelques mois et qui donne lieu aujourd’hui à un premier album, très justement intitulé « Panique en sixième ». On y suit Elliot, un garçon particulièrement stressé. Il va passer par toutes ces étapes délicates (et parfois douloureuses) que l’on vit lorsqu’on débarque en tant que jeune ado dans une nouvelle école: le fait de ne pas pouvoir s’asseoir sur le banc réservé aux élèves les plus populaires de la classe, le fait d’être choisi parmi les derniers quand le prof demande de constituer des équipes en cours de gym, le fait d’être le seul élève à porter un slip de bain à la piscine, le fait de ne pas trouver sa place à la cantine… On retrouve énormément de situations reconnaissables dans cet album, qui parle de manière originale de la difficulté de se faire des nouveaux amis. C’est encore plus vrai quand, comme Elliot, on est en permanence accompagné par une encombrante boule d’angoisse. Car c’est là que se trouve la toute bonne trouvaille de cette série: Elliot voit en effet ses angoisses se matérialiser sous la forme d’une grosse boule brune. Ce personnage en apparence assez rigolo, l’accompagne partout où il va et symbolise ses peurs et ses appréhensions. Elliot peut lui parler et la boule d’angoisse lui parle également, mais il n’y a que lui qui la voit et qui l’entend. Un peu comme dans « Calvin et Hobbes », cette BD géniale dans laquelle Calvin, un petit garçon turbulent, dialogue en permanence avec Hobbes, un tigre en peluche qu’il est le seul à voir vivant. Sauf que cette boule d’angoisse est bien moins positive que Hobbes: dans « Elliot au collège », la boule essaie constamment de dissuader le jeune collégien d’aller vers les autres, de prendre des risques ou de se mettre en avant, en faisant croire à Elliot qu’il va forcément se taper la honte à chaque fois. Heureusement, les injonctions de la boule ne marchent pas toujours. Alors qu’elle essaie de lui faire croire qu’il a tout intérêt à rester seul dans son coin, un garçon prénommé Hari vient directement vers Elliot et lui demande s’il accepte d’être son ami. Devenus inséparables, Elliot et Hari vont même réussir à se faire d’autres amis, en particulier Aya, une fille super forte qui va prendre leur défense dans la cour.
« Elliot au collège » est une série qui va forcément plaire aux ados (et à certains de leurs parents) parce que son ton et ses dialogues sont modernes et savoureux. A l’image de séries à succès comme « Titeuf » de Zep, « Les Nombrils » de Delaf et Dubuc ou « Les cahiers d’Esther » de Riad Sattouf, Théo Grosjean parvient parfaitement à retranscrire l’ambiance particulière des écoles et des cours de récréation, en s’inspirant pour cela de sa propre adolescence. Il faut dire que ce jeune auteur avait déjà montré tout son talent pour mettre ses angoisses en images et en mots dans deux albums très drôles intitulés « L’Homme le plus flippé du monde », une série d’abord publiée sur son compte Instagram, qui compte tout de même plus de 200.000 followers. Dans la foulée du succès de cette première série, Théo Grosjean poursuit dans la même veine avec « Elliot au collège », mais en visant cette fois un public plus jeune. Une fois de plus, son personnage est clairement son alter ego. Pas seulement parce qu’Elliot lui ressemble physiquement, mais aussi et surtout parce qu’il est tout aussi angoissé que lui. Pourquoi avoir choisi de le flanquer de cette fameuse boule, qui passe son temps à essayer de persuader Elliot qu’il est l’être le plus pathétique du collège? « Je ne parvenais pas à faire parler mon ami imaginaire avec une autre voix que la mienne », répond l’auteur. « Si j’ai donné une drôle de forme à celui d’Elliot, ce n’est pas innocent. Car cette boule imaginaire représente la boule d’anxiété que mon héros a en permanence dans le ventre. » Cette thématique de l’angoisse est omniprésente dans le travail de Théo Grosjean, qui a pris l’habitude de s’appuyer sur ce personnage « flippé » pour mettre en mots tous les non-dits et les blocages qui polluent son esprit. Ce sont des sentiments qui nous habitent tous, mais que lui parvient à mettre sur papier de manière étonnamment juste. A noter que Théo Grosjean explique dans la préface de ce premier tome que son objectif est de suivre le personnage d’Elliot et de ses camarades de classe le plus longtemps possible et d’assister à leur évolution au fil des années. « J’ai toujours été fasciné par ce procédé narratif et j’ai toujours rêvé de me le réapproprier », explique Théo Grosjean, qui imagine déjà un format plus proche du roman graphique quand il s’agira d’aborder les années d’Elliot au lycée, au moment où les émotions deviendront plus complexes. On attend cette suite avec impatience, car cette nouvelle série, à la fois drôle et touchante, est vraiment une belle réussite.