" La Treizième Heure "
BAYAMACK-TAM Emmanuelle
Les rencontres du vieux Lecteur avec les romans concoctés par Emmanuelle Bayamack-Tam ont parfois généré des incompréhensions. Mais avec La Treizième Heure, les reproches formulés antérieurement se sont dissipés. Mieux même : il s'est produit, au fil des pages qu'il a " dévorées " à un rythme soutenu, ce qui pourrait bien s'apparenter à une réconciliation.
L'histoire en elle-même s'ancre dans des problématiques qui font débat dans nos sociétés contemporaines. Non point tant dans celle des Eglises susceptibles d'être identifiées comme des sectes. Car la Treizième Heure est une sorte de confrérie créée puis placée sous la tutelle de Lenny, un homme aux apparences très ordinaires. Un fou de poésie qui initia un rite au cœur duquel ladite poésie occupe une place centrale. Il fut amoureux de Hind, une femme qui lutte en permanence pour s'arracher à " sa " prédestination. Une femme avec laquelle il a, d'une certaine manière, conçu Farah. Une femme qui l'abandonna au lendemain de la naissance de Farah. Leur fille qu'il assuma et qu'il éduqua au sein de " son " Eglise.
Le roman s'articule autour des " récits " confiés par l'Auteure à chacun de ces trois personnages ; il les entremêle, les éclaire, les télescope au point parfois de les rendre à leur néant. Mais il leur confère en même temps une puissance exceptionnelle, celle qui transcende ce roman si dérangeant mais aussi et surtout si vivifiant. Ce que la présence (incognito) des Poètes exalte et illumine en permanence.
Et puis, dans une sorte d'apothéose, et afin qu'aucune Lectrice, qu'aucun Lecteur ne soient tout à fait dupes, Emmanuelle Bayamack-Tam emprunte la voix de la prophétesse et confie à Farah le soin de conclure le récit. Un cri quasiment désespéré. Lenny s'est exilé, en compagnie de quelques-uns de ses adeptes, dans un désert. Peut-être est-il mort ? Si l'hypothèse est avérée, Farah imagine son retour, sa résurrection. Et c'est bien là où l'œuvre atteint à sa dimension prophétique. " A moins qu'il ne revienne mille ans après notre ère, débarquant au milieu des fougères exubérantes et des bêtes innombrables, sous un ciel irisé par les aurores magnétiques et balayé par les vents stellaires. Les baleines croiseront au large sans être déroutées par les cargos, les troupeaux transhumeront sans berger, les neiges tomberont sans témoin, les fleurs refleuriront saison après saison sans personne pour les humer ou les cueillir. Le chant du monde aura perdu ses poètes mais le monde n'en chantera pas moins : il éclatera en rumeurs, feulements, stridulations, cancans, éboulements, fracas, gazouillis éperdus et brames d'excitation. "