Au printemps 2021, les éditions Fayard ont publié une nouvelle traduction du Mein Kampf de qui vous savez. L’affaire fit grand bruit avant que le livre ne soit disponible, Jean-Luc Mélenchon et la presse attisèrent le buzz avant d’en rabattre une fois l’ouvrage édité : le bouquin n’est disponible à la vente que sur commande (impossible de le feuilleter en librairie) et il est vendu sous le titre Historiciser le mal, accompagné d’un énorme appareil critique proposant une analyse critique, une mise en contexte, une déconstruction, ligne par ligne. Réédition conçue avec la participation de nombreux historiens et spécialistes, la traduction en étant réalisée par Olivier Mannoni.
L’auteur de cet essai revient dans son ouvrage sur cette éprouvante épreuve, un travail d’une dizaine d’années, une première version qui l’avait occupé six ans ayant été retoquée : il ne s’agissait pas ici d’une traduction banale, de celle où le traducteur tente d’améliorer le texte quand il est trop mauvais pour le rendre compréhensible au lecteur lambda, il fallait tout au contraire, rendre en français ce verbiage sans style, ces développements confus quasi illisibles, ces syllogismes et dérapages, bref un fatras « littéraire » et porteur d’idées répugnantes.
Olivier Mannoni élargit son analyse aux autres livres écrits par des nazis ou à leurs discours, démontrant qu’ils utilisaient sciemment la langue allemande pour manier « les ressources du langage pour dissimuler d’abord leurs intentions puis leurs crimes. »
Dans un dernier chapitre, l’auteur alerte, les nazis ont utilisé le langage pour tromper, cacher leurs projets dans un premier temps, or c’est exactement ce que l’on peut observer de nos jours, depuis les années 90, avec les Le Pen et les mouvements d’extrême droite, Eric Zemmour, ou plus récemment encore avec Trump, des mots, des expressions qui étaient jusqu’alors tabous, à force d’être répétés dans des discours sont repris par les médias et par un effet de boule de neige, deviennent des éléments du langage courant (le « grand remplacement » etc.). « Parce qu’il permet le dialogue et la prise de décision commune, le langage est la force de la démocratie. Que ce langage soit perverti, et c’est la démocratie elle-même qui se distord, s’atrophie et perd sa raison d’être. »
Glaçant.