Les vilaines de Camila Sosa Villada

Les vilaines de Camila Sosa Villada Publié aux éditions Points, 2022, 240 pages. La Tante Encarna porte tout son poids sur ses talons aiguilles au cours des nuits de la zone rouge du parc Sarmiento, à Córdoba, en Argentine. La Tante - gourou, mère protectrice avec des seins gonflés d'huile de moteur d'avion - partage sa vie avec d'autres membres de la communauté trans, sa sororité d'orphelines, résistant aux bottes des flics et des clients, entre échanges sur les derniers feuilletons télé brésiliens, les rêves inavouables, amour, humour et aussi des souvenirs qui rentrent tous dans un petit sac à main en plastique bon marché. Une nuit, entre branches sèches et roseaux épineux, elles trouvent un bébé abandonné qu'elles adoptent clandestinement. Elles l'appelleront Éclat des Yeux. A Cordoba, en Argentine, la tante Encarna a ouvert une pension dans laquelle elle accueille des prostituées transsexuelles. La narratrice, elle même transsexuelle, nous raconte son quotidien: l'attente du client, la nuit, dans le parc, la drogue pour tenir, les poursuites avec la police, les tabassages mais aussi la solidarité, l'amitié et l'amour. Les " vilaines " désignent ces prostituées qui se cachent, que personne ne veut voir au grand jour et qui pourtant existent. Alors, cachées au fond de ce parc, à la merci d'hommes souvent violents, Les " vilaines " s'organisent et tentent de survivre. Ce roman est inspiré du propre parcours de l'autrice qui s'est elle-même prostituée. C'est un récit sans concession, souvent très dur. J'ai parfois dû reposer le livre après avoir lu certaines scènes difficiles. Mais l'autrice n'est pas dans le voyeurisme ni dans le misérabilisme. Ces " vilaines " existent et trouvent parfois un peu de bonheur. La fête les anime, les fous rire, la tendresse et la protection qu'elles se portent l'une à l'autre sont touchantes. Sans plaintes, sans cris, l'autrice expose la vie de ces hommes devenus femmes, leurs parcours bien souvent teintés de rejet, de violence, de malaise. Le résultat donne un roman fort, parfois trash mais jamais vulgaire, une ouverture sur un monde méprisé et désiré par des hommes qui y cherchent pourtant leur plaisir.