Le crépuscule des licornes est une plongée dans la high tech et les starts up newyorkaises, dopées et minées par des investisseurs avides de retour sur investissement rapide. Par le prisme d'une franco-américaine, Éléonore, journaliste scientifique, on découvre un univers fait d'inventeurs de génie et de requins aux dents longues à faire pâlir de jalousie le terrifiant monstre aquatique de Steven Spielberg. Éléonore dont le cœur vacille au souvenir d'un amour perdu, dont le couple avec Zack se résume à de la colocation insatisfaisante. Au détour d'un reportage sur la découverte majeure d'une puce qui va révolutionner les modes de pensée, elle rencontre un autre insatisfait, Juergen, scientifique brillantissime dérouté par la vacuité de sa vie intime et désarmé par la découverte majeure qu'il a semée. Deux atomes, deux éléments d'un qubit dans un monde qui évolue vite, très vite.
Le crépuscule des licornes raconte le monde de demain et le marché économique peu enclin aux questions métaphysiques que peuvent générer certaines découvertes scientifiques. Les licornes sont les starts up, objets de tentation technologiques, convoités pour l'espoir financier qu'elles suscitent lors de leur revente par des fonds d'investissement peu scrupuleux du mieux-être collectif. Le discours de Julie Girard est précis, scientifiquement juste, parfois brutal, rarement neutre : la sémantique de l'intelligence artificielle et de l'informatique quantique est mobilisée à bon escient, sans fioritures, sans outrance, sans nécessité de connaissance approfondie sur le sujet afin de ne pas perdre le lecteur novice. L'autrice profite de cet écrit pour régler les comptes d'une société du paraître, du jetable (celui de la marchandise, celui des cœurs), l'économie de marché et l'ultralibéralisme.
Le crépuscule des licornes présente deux itinéraires, deux trajectoires, deux cheminements : celui d'Éléonore, celui de Juergen, les deux rêvant de retrouver leur moi intime, une réconciliation avec leur passé et leur identité d'humain. La forme du récit de Julie Girard épouse exactement le discours tenu : en cours de lecture, on navigue entre Éléonore et Juergen. Ce chemin est long et passe par des phases pas agréables, par le travestissement des faux-semblants, par l'application du sens critique mis à mal dans un monde qui évolue trop vite dans lequel contester un "progrès" vous relègue dans le clan des "never been".
Julie Girard a construit là un premier roman très intéressant et cohérent, divergent par les différents plis qu'il occupe : d'une narration factuelle et linéaire, il s'agrémente d'éléments d'anticipation, sans réellement emprunter au fantastique. L'essai difficile et casse-gueule est réussi.
Il m'a juste manqué, au cours de la lecture, l'émotion et l'empathie à l'égard des héros. Je les ai vus naviguer sans accroche, sans les retenir, sans manque aussi. Question de feeling ou de timing, sûrement.
Editions Gallimard.
Lu dans le cadre d'une Masse critique organisée par Babelio et en partenariat avec les éditions Gallimard : je les remercie pour cette découverte.