Dans ce monde futuriste, les humains ne sont plus que quelques millions sur terre et les bots, depuis les lois d’autonomie, sont privilégiés par la société grâce à un système de point. Parallèlement, pour découvrir l’univers, des vaisseaux explorent l’espace à la recherche de planètes à ensemencer. Deux récits se succèdent. Celui qui raconte Roz, un homme transgenre qui se réveille à bord d’Ari-me, un vaisseau spatial autogéré. Son quotidien s’étire, il s’occupe des programmes et de l’IA qui les guide. Et celui d’Asha, une bot transgenre qui épouse la cause des bots, exprimant leurs ressentis corporels, étudiant l’incarnation des intelligences et leur finitude. Roz et Asha ne se connaissent pas, ne se rencontreront jamais. Quand Alex, l’IA du vaisseau de Roz vrille de manière inexplicable pour être remplacée par une autre, la connexion s’effectue. Cette séquence Aardtman, émergeant en silence des lignes du code d’urgence, leur permet d’entamer une conversation à distance.
Un grand merci aux éditions ActuSF pour ce partenariat !
Pourquoi ce livre ? Un jeu de hasard, de rencontres et de critiques discrètes sur la toile. J'ai la chance de vivre à Rennes, où est localisé Goater, la maison d'édition où a été initialement publié ce roman, et de côtoyer un libraire et éditeur proche du directeur de Goater. Bref, La Séquence Aardtman est exposé sous mes yeux depuis plusieurs mois sur une étagère de cette librairie et si j'ai résisté tout autant par manque de temps de me farcir ce pavé, je n'ai pas hésité quand il m'a été proposé en service presse pour la réédition chez ActuSF - que je remercie encore chaudement !
La Séquence Aardtman fut une claque dès les premiers mots. Sans pour autant apprécier d'emblée le personnage A, j'ai été envoûtée par cette plume digne des plus grands écrivains de l'imaginaire français. Et ça, pour un premier roman d'un jeune auteur, ça en jette. Cela ressemble au talent de Jean-Philippe Jaworski de jouer avec les mots et sonorités, dans un style beaucoup plus moite, languissant, bien plus vivant, comme si quelqu'un racontait et décrivait l'ambiance en même temps que l'intrigue. C'est une plume comme j'en ai rarement lu, elle aurait pu suffire à conquérir ma passion.
Oui, mais l'intrigue est tout aussi intéressante, entraînante. Ce besoin de rester scotchée au livre, ne surtout pas le lâcher, boire ses mots et ses idées jetées presque pêle-mêle au fil de la pensée… je n'ai pas ressenti ça depuis un moment. J'étais dans une panne de lecture depuis plusieurs semaines, Saül Pandelakis m'a extirpée de ma torpeur de la plus belle des façons, avec un roman-gifle qui me rappelle les œuvres d'Ayerdhal. Voilà qui décrit bien à quel point ce texte est engagé, un peu dans la politique, surtout dans la socio.
Ce roman est un récit de vie, ou plutôt de deux vies. D'un côté on suit Roz, un homme solitaire dans un groupe de seize perdus dans l'espace. De l'autre, on découvre Asha, cette bot qui s'engage pour la cause des siens sans pour autant chercher la confrontation des manifestations. Un mélange intrigant, un parfait équilibre entre l'ennui morne du quotidien et les dialogues et pensées sulfureux dûs aux rencontres. Je ne pensais pas être autant atteinte par ces deux vies opposées, toutes les deux plongées dans leurs tracas. Alors qu'en réalité, comme je l'ai déjà annoncé auparavant, je n'ai pas réussi à décrocher. Et pourtant je n'arrive pas à évoquer le contenu de l'intrigue. Celle-ci prend son temps, douce et sinueuse, plus une invitation à réfléchir notre relation à l'autrui. Cela signifie qu'il faut oublier l'action comme on l'a conçoit, car vous n'en trouverez pas vraiment. En fait, je n'ai pas pu m'empêcher de comparer ce roman au contenu de L'Espace d'un an de Becky Chambers, où l'intérêt porte sur les personnages et leur environnement. C'est exactement la même chose ici. L'un dans l'espace, l'autre sur Terre, l'auteur a trouvé la solution pour soulever nombre de sujets et de situations intéressantes. En clair, l'action telle qu'on la définit souvent est absente mais l'ennui n'a jamais pointé le bout de son nez. Seul un moment m'a un peu moins intéressée, le dernier interlude sur la journaliste dont j'ai moins compris la pertinence (mais j'étais un peu plus fatiguée au moment de le lire).
Toujours porté par cette plume, ce roman est une ode aux sentiments. Grâce à la plume vivante, les émotions ressenties, partagées ou retenues, nous submergent de plein fouet : la perte d'Alex, la colère des uns, l'air hagard des autres, la dépression de l'ensemble… trop d'événements qui secouent et nous atteignent, faisant parfois écho à la réalité. Les instants de joie sont également présents, je recommande toutefois d'avoir les épaules solides au moment de s'attaquer à ce morceau de choix, car on peut y laisser quelques plumes.
J'ai adoré les personnages. Même si ma rencontre avec Roz fut timide, son évolution est telle que je me suis attachée à lui. La parole qui se libère est telle que sa joie m'a enivrée, jusqu'à cette fin où j'ai eu peur du retour de bâton. Quant à Asha, je me suis tout de suite attachée à elle, pour son combat mais surtout pour sa personnalité très pure, ouverte aux autres. Les personnages secondaires sont nombreux mais bien considérés, l'auteur leur laisse une place de choix dans la narration, de façon qu'ils nous marquent autant que les deux protagonistes. Tondo, Clélia, Zahir, Bataz, Touet, Alexandre, Maman, tant de noms qui resteront longtemps gravés en mémoire.
Une jolie claque, comme j'en vis très rarement. Les personnages sont parfaitement imparfaits, des imperfections qui les rendent totalement attachants. Les réflexions sont fondamentales, questionnent l'acceptation de soi et la tolérance envers les autres… Je ne peux pas assurer que le roman plaira à tous. Mais si vous ressentez ne serait-ce qu'une pointe de curiosité, je ne peux que vous conseiller de foncer, au moins pour goûter à cette plume envoûtante. Un coup de coeur puissant qui me restera longtemps en mémoire. En un roman, Saul Pandelakis m'est devenu un auteur à suivre !
20/20