Christine Jordis, née en 1942 à Alger, est une écrivaine, journaliste, critique littéraire et éditrice française, spécialiste de la littérature anglaise ayant écrit de nombreux ouvrages portant sur cette littérature et sur l’Asie. Le Nuage fou, son dernier livre, vient de paraître.
Lors d’un séjour au Japon, Christine Jordis visite le célèbre jardin du Ryoan-ji un temple zen situé dans le nord-ouest de Kyoto qui fait partie du Patrimoine mondial de l'UNESCO, l'un des monuments historiques de l'ancienne Kyoto. Il s’agit d’un jardin de pierres typique et chef-d’œuvre de la culture zen japonaise. Sur l’un de ces rochers sont gravés deux noms, Kotaro et Hikojiro. Intriguée elle mène son enquête qui de fil en aiguille va lui permettre de dresser le portrait d’Ikkyu (1394-1481), un célèbre moine zen et rebelle qui vivait au XVème siècle… Un récit biographique imaginaire basé néanmoins sur des faits avérés.
Kotaro et Hikojiro étaient deux kawaramono, deux enfants de parias de la société de l’époque, des intouchables dirait-on ailleurs, pauvres parmi les pauvres. Alors comment ont-ils pu arriver à se hisser au niveau de créateurs de ce fameux jardin ? En écoutant les récits diffusés par un moine errant, ils découvrent l’existence d’Ikkyu, ce moine hors-norme, vagabond, provocant (il fréquente les bordels), méprisant les hiérarchies sociale et cléricale mais doué pour la vie, l’amour, les arts, les lettres, il était le fils illégitime de l’empereur.
Ikkyu « voulut par le zen, faire revivre et affirmer l’essence de la vie, de l’existence humaine, cela en une période de guerre civile et d’effondrement moral. » Le peuple souffre, crevant de faim ou de maladies, épidémies et catastrophes naturelles s’ajoutent aux guerres, tandis qu’à l’opposé les seigneurs et certains moines vivent dans l’opulence. Ikkyu, lui, parcourt les routes, ascète en haillons et diffuse son message du « vrai » zen, après que le cri d’un corbeau l’ait amené à l’Eveil. Très vite il devient un héros populaire et ses exploits sont répercutés oralement. Christine Jordis déroule toute sa vie, expose ses différents talents avec nombre de ses poèmes, évoque sa liaison torride avec Mori, une jeune chanteuse aveugle alors qu’il est déjà très âgé et finalement son décès, plein de dignité, dans un ermitage près de Kyoto.
A partir de ce modèle, Kotaro et Hikojiro vont réussir à s’élever dans la société, intégrer les équipes de jardiniers du shogun et peut-être, être les vrais créateurs de ce jardin du Ryoan-ji.
Le bouquin est parfois complexe à lire, le début mérite qu’on fasse des efforts et quand l’auteure s’attache à l’histoire du Japon, certaines pages sont même ennuyeuses car assez pointues. Par contre, elle réussit magnifiquement à nous faire comprendre le zen, par une approche concrète et sensorielle, loin des discours théoriques et parfois nébuleux de certains essais. Et le jardin en est l’illustration et l’aboutissement absolu, le symbole parfait ; vous ne lirez pas ce livre, mais s’il tombe sous vos yeux, allez lire les pages 274-275, merveilleuses, elles vous disent tout ce qu’il faut retenir du zen.
« Une très longue errance : elle va durer quelque trente ans. De vingt-neuf à cinquante-sept ans, il est sur les routes. Après trente années de la discipline la plus rude entre les murs d’un temple, il part, il change de vie, le monde s’ouvre devant lui, il a pris le large. Libéré, il l’était déjà, le cri du corbeau a marqué le passage, il n’en ressent pas moins une autre forme de libération : cette ouverture de l’espace. Dorénavant, laissant derrière lui les murs, les horaires, les rituels, il va mener une existence affranchie, décousue, échevelée, qui aura pour centre non la salle de méditation mais les tavernes, les théâtres de rue, les bordels. »
Christine Jordis Le Nuage fou Ikkyu, moine zen et poète rebelle Editions de l’Observatoire - 375 pages -