Oh, Canada

Oh, Canada

" Oh, Canada "

BANKS Russel

" Outre la terreur de mourir, il veut aussi que prenne fin la douleur, l'horrible, implacable douleur mêlée de médicaments que provoque l'insatiable appétit du cancer pour son corps... " L'ultime roman de Russel Banks (décédé le 7 janvier de cette année) laisse à n'en pas douter entrevoir ce que fut le déroulement de la maladie. Même si dans ce roman-là, c'est Leonard Fife, le personnage central, que le cancer est en train de réduire à néant. Leonard Fife que quelques-uns de ses anciens étudiants filment et interviewent afin de réaliser un documentaire sur celui qui fut un maître du genre. Leonard Fife qui est au bout du rouleau, vieil homme dont la mémoire oscille entre réalité de ses souvenirs et réinvention (ou réécriture) de son passé. Lui qui avait fui les Etats-Unis pour se réfugier au Canada afin d'éviter la sinistre et sanglante guerre que son pays menait au Viet Nam, à l'instar des soixante mille jeunes américains qui avaient, eux aussi, pris le chemin du pourtant très peu accueillant voisin du nord. Leonard Fife, la guerre terminée, restera au Canada, où il se bâtira un avenir conforme et deviendra un estimé réalisateur de documentaires, mode d'écriture cinématographique qu'il enseignera à plusieurs générations d'étudiants.

Oh, Canada est évidemment un roman sur la mort, celle qui s'en vient de façon même pas sournoise, celle qui ravage dans un même mouvement le corps et l'esprit de Leonard Fife. Mais c'est aussi une œuvre testamentaire, nourrie de ce que furent la vie et les combats de Russel Banks. L'horreur de la guerre. Un désir permanent d'échapper aux contraintes morales. Des expériences avortées, dont deux mariages. L'exil. " Le froid a imprégné les vêtements de Fife qui commence à frissonner et à claquer des dents. Après un virage, il s'arrête de nouveau et se retourne pour se remettre face à la pente, aux ténèbres de la vallée, aux montagnes qui s'élèvent plus loin, et au-delà des montagnes, au Canada... Oh, Canada. "

Un poignant adieu que ce somptueux roman-là, le tout dernier qu'ait écrit Russel Banks. Un de ces auteurs qui, au cours de la vie du désormais vieux Lecteur, lui aura tendu une autre image de l'Amérique des guerres impérialistes et du capitalisme barbare. Une Amérique d'hommes égarés, mais à la constante recherche de la liberté, de la fraternité, en somme de tout ce qui confère à l'être humain un peu de beauté et de grandeur. Un roman qui est un point d'orgue à une carrière littéraire qui a suscité chez le Lecteur respect et admiration.

" Où peut donc aller un décrocheur de dix-huit ans quand il a quitté à la fois l'université et sa maison ? C'est évident ! Il ira à cuba ! Pour se battre aux côtés de Fidel Castro et de ses hommes dans les rudes collines de l'Oriente et de la Sierra Maestra. C'est là qu'il ira ! Fife suit depuis des mois les aventures de Castro et de sa joyeuse bande de Robin des Bois latinos, il les suit d'aussi près que le lui permettent les journaux et les magazines populaires et, comme la plupart des Américains, il admira l'avocat devenu révolutionnaire et il a établi un lien entre le leader cubain et les héros romancés de la révolution américaine. Ce qui ne gâte rien, c'est que Castro et ses hommes barbus rappellent à Fife les beatniks américains... "