Capable de jongler entre les productions mainstream des grands éditeurs américains et ses propres créations audacieuses, Mirka Andolfo a su se tailler un costume sur mesure dans le petit monde des nouvelles merveilles en provenance de l'Italie, ces dix dernières années; la voici désormais artiste affirmée et recherchée. Son Sweet Paprika débarque chez Glénat en cette fin d'hiver, et va en secouer plus d'un ! L'héroïne de cette bande dessinée s'appelle donc Paprika, c'est une dingue de travail, à la tête d'un média important (en réalité, c'est surtout une petite diablesse d'origine napolitaine, au sens concret du terme. Un portrait de Mirka ?). Elle se donne à fond dans l'exercice de ses fonctions, abuse de son pouvoir de directrice de la création chez Infernum Press avec tous ses subordonnés, quitte à les mépriser ouvertement, ou les humilier pour un simple café. Une tyrannie qui règne au détriment de sa vie privée, qui est pratiquement inexistante, pour ce qui des amis et pire encore… des amants. Paprika recherche le contact humain mais quelque chose en elle se bloque à chaque fois que vient le moment de concrétiser l'approche. C'est encore plus évident quand il s'agit des relations charnelles. On pourrait penser que la diablesse entourée d'anges est la tentatrice, que c'est elle qui use et abuse de ses charmes et des moments sulfureux, mais en fait, c'est le grand néant. Un vide sexuel et érotique qui trouve ses racines dans les rapports avec un père très strict et qui l'a longtemps rabaissée. Face à elle, un individu qui parait être tout le contraire, un certain Dill-Do (drôle de surnom). Bien que n'étant pas au centre de l'histoire, il occupe nombre de pages dans Sweet Paprika. Dill est un livreur sexuellement libre, conscient qu'il est attirant et de l'effet que son charme a sur les femmes. Il apporte les colis et le courrier chez Infernum Press et à chacune de ses visites, c'est un grand vent de sensualité qui balaie les bureaux. Ou pour être plus exacts, un souffle torride qui éveille les pulsions les plus sensuelles. Il drague tout le monde, y compris la patronne, qui se refuse à lui comme à tous les soupirants. Un pouvoir sur la gent féminine (et masculine, aussi) qui est aussi sa malédiction.
Sous une apparence de comédie sexy érotique à l'italienne, plutôt piquante et inoffensive, se cache une histoire beaucoup plus profonde, qui aborde des thèmes modernes, comme par exemple la place de la femme dans l'entreprise, la pression qui s'exerce sur elle dès lors qu'elle tente de concilier les activités professionnelles et la vie personnelle (et intime) ainsi que la manière dont les corps féminins restent aujourd'hui exposés, pour signifier quelque chose sur le marché de la séduction. Il y est également question de la capacité pour une femme d'assumer ses fantasmes et ses désirs, au même titre que pourrait le faire un homme. Les choses ont bien évidemment avancé mais nous sommes encore très loin d'avoir atteint une parité réelle; d'ailleurs même les femmes entre elles sont assez impitoyables sur ce sujet et la frontière est mince entre celles qui semblent frigides et n'osent pas s'affranchir, et celles qui au contraire décide de vivre leur intimité comme bon leur semble, et se retrouvent taxées d'immoralité (pour ne pas dire plus). On aborde aussi les différences sociales dans le couple, combien il est malaisé de voir un homme plus modeste, voire frustre, au contact d'une splendide créature, avenante et aisée financièrement. En réalité, le discours sociétal et humain est stratifié, intelligent, touche très souvent juste, sans en avoir l'air. Artistiquement parlant, Mirka Andolfo parvient à donner mille couleurs à une bande dessinée en noir et blanc, bonjour le tour de force ! Un choix qui n'est pas sans rappeler le manga, accentué par les réactions, les expressions, certaines situations où la caricature et l'emphase prennent le pas sur toute idée de réalisme. Mais cela reste toujours sous contrôle, avec une élégance folle, une maîtrise totale des intentions et des effets produits. Comme de coutume chez l'artiste, les corps sont pulpeux, les formes sont douces et rondes, et l'attraction physique associée à une forme d'animalité nécessaire, à laquelle il est impossible de résister, à moins de vouloir aller contre l'ordre naturel des choses, de l'existence. Régulièrement, des touches de roses sensualisent les bulles de dialogue, et ajoutent au piquant de la situation. La température va monter dans votre bibliothèque, avec un Sweet Paprika qui ne se contente pas d'aiguiser vos sens, mais parlera aussi à votre intelligence.
REJOIGNEZ LA COMMUNAUTE SUR FACEBOOK!
Attention : sortie de UniversComics Le Mag' #33ce dimanche 5 mars, 84 pages, gratuit.