L’incroyable expédition de Corentin Tréguier au Congo (Emmanuel Suarez – Hamo – Editions Nathan)
En 1872, les puissances coloniales européennes rêvent de mettre la main sur les richesses africaines qui leur échappent encore. Particulièrement celles du Congo, qui font saliver aussi bien la France que la Belgique du roi Léopold II. Du coup, quand le professeur Delescluze, un grand scientifique français, disparaît mystérieusement sur les rives du fleuve Congo, les deux pays y voient une occasion en or de s’emparer de ce vaste territoire encore largement inconnu des Européens. Persuadé que le professeur Delescluze, dont on est sans nouvelles depuis onze mois, s’est transformé en singe, le ministre français de la Marine charge le jeune Corentin Tréguier, un officier sans aucune expérience, de se rendre au Congo pour résoudre ce mystère et ramener le scientifique au bercail. Ça, c’est pour la version officielle. Car en réalité, le ministre et ses amis industriels comptent surtout sur cette mission pour faire de la prospection forestière et minière, avec comme objectif final de permettre à la France de faire main basse sur les précieuses ressources du Congo. Pour s’en assurer, ils flanquent le candide Corentin Tréguier d’un second autrement plus musclé: le capitaine Gabard. Fort en gueule, ce militaire brutal ne tarde pas à gagner la confiance de l’équipage de « La Galissonière » et à agir comme le véritable capitaine du bateau. De son côté, Corentin est cloué dans sa cabine, victime d’un terrible mal de mer. Le comble pour un Breton! Pour ne rien arranger, Corentin a accepté d’accueillir à bord une jeune femme qui prétend avoir été envoyée en Afrique pour recouvrer une somme d’argent considérable. Bien évidemment, le jeune et naïf capitaine, qui s’intéresse davantage à la botanique qu’à la géopolitique, tombe rapidement sous le charme de cette passagère inattendue. Mais il est loin de se douter que Camille de Willers est en réalité une espionne belge, qui a été dépêchée aux côtés de Corentin pour faire échouer sa mission et surtout s’assurer que les richesses du Congo n’échappent pas à Léopold II. Une fois en Afrique, ce groupe insolite est complété par l’arrivée de Christian, un interprète africain qui parle au moins six langues et dialectes régionaux. Passionné par la culture européenne depuis qu’il a été recueilli par des pères franciscains, ce jeune homme distingué adore le latin et rêve de se rendre un jour à la Sorbonne. Maintenant que la galerie de personnages est complète, l’action peut commencer!
Après « Tintin au Congo », voici « Corentin Tréguier au Congo ». Forcément, avec un titre pareil, on pense tout de suite à Hergé. La comparaison entre Tintin et Corentin tient la route en ce qui concerne l’aventure et l’humour, deux éléments très présents tant chez l’un que chez l’autre. Par contre, le ton est radicalement différent, avec des questionnements beaucoup plus modernes sur la colonisation et sur la place des femmes. Il faut dire que près d’un siècle sépare les deux albums. Depuis lors, les esprits critiques se sont aiguisés face aux ravages du colonialisme et de l’exploitation des habitants et des ressources de notre planète. « L’incroyable expédition de Corentin Tréguier au Congo » est l’adaptation en bande dessinée du podcast du même nom. Cette série audio en 10 épisodes, produite par France Culture, a connu un immense succès depuis sa première diffusion en avril 2018. C’est ce qui a amené Emmanuel Suarez, l’auteur du podcast, à envisager aussi une adaptation graphique de cette histoire. Pour ce faire, il s’est associé au dessinateur belge Hamo, qui a rapidement été convaincu par le projet en écoutant le premier épisode du podcast. « Dès les premières secondes, j’ai été littéralement attrapé », raconte-t-il. « Tout m’a de suite plu: les voix, la réalisation, l’angle sous lequel le fil se déroulait… En quelques secondes, je savais que j’écouterais ce podcast jusqu’au bout et en quelques minutes à peine, que je l’illustrerais. Les personnages existaient déjà graphiquement dans mon esprit car pour moi, c’était déjà une BD que j’écoutais. » Effectivement, on se laisse totalement embarquer par cette bande dessinée, qui contient tous les ingrédients d’un bon roman d’aventures: de l’exotisme, des rebondissements, de l’humour, de l’amour, des trahisons et surtout des personnages attachants. La palme revient bien sûr au duo formé par le jeune Corentin, un piètre marin prêt à risquer sa vie pour apercevoir de près une espèce rare d’orchidée, et Camille, qui découvre que tout est quand même beaucoup plus facile pour une jeune femme lorsqu’elle se fait passer pour un homme. Le capitaine naïf, l’espionne intrépide, le méchant second, l’interprète africain, le scientifique… tous vont se métamorphoser et voir leurs certitudes être bousculées au coeur de la forêt équatoriale africaine, ce qui va donner lieu à un dénouement totalement inattendu. Au final, cela donne un livre parfois un peu bavard, mais très agréable à lire et magnifiquement mis en images par le graphisme très ligne claire de Hamo. Tiens tiens, on en revient encore à Tintin.