B. Une simple lettre, pour un homme qui n'a pas de nom, ou en tous les cas qui ne se souvient pas en avoir eu. D'ailleurs, est-on bien certain qu'il s'agit d'un homme ? En réalité, ce serait plutôt un demi-dieu. Le fruit de la prière adressée à une divinité par l'épouse du chef d'une tribu primitive, subissant les assauts répétés d'envahisseurs, à une époque extrêmement reculée, il y a des dizaines de siècles de cela. L'incarnation d'un cadeau fait aux hommes, un outil formidable, en pratique utilisé dès le départ comme une arme unique. Unute, tel est le terme par lequel le "père terrien" de notre "héros" l'a désigné, dès ses premiers jours; c'est-à-dire celui qui est employé pour exterminer l'assaillant, pour commencer, puis dans le but de se défendre et de conquérir. Il faut dire que nous tenons là une machine à tuer qui a bien du mal à maîtriser ses instincts et qui possède en outre un facteur autorégénérant proprement extraordinaire. Il y a un petit côté Wolverine-bête sauvage qui se reconstitue chez lui, mais auquel il faut donc ajouter des origines mystiques et tragiques, perdues à travers les temps. Celui qui donne son nom à cette nouvelle série intitulée BRZRKR (le terme se rattache à l'expression to go berserk, c'est à dire devenir fou de rage) a en effet de très sérieux trous de mémoire; il ne parvient pas à recoller toutes les informations qui lui permettraient de comprendre ce qu'il est, d'où il est et donc où il va. Pour le moment, il a accepté l'aide du gouvernement des États-Unis, qui lui a promis en échange de missions régulières (qui ressemble à des opérations de charcutage politique) tous les moyens à disposition de l'Oncle Sam pour avancer dans sa quête identitaire. Au passage, les laboratoires tentent de le cloner ou en tous les cas de récupérer des précieuses données génétiques, grâce à son organisme exceptionnel et ses dons hors du commun. Nous avons parlé d'outil, puis d'arme, mais il ne faudrait pas non plus s'y méprendre : B est presque un jouet, c'est-à-dire un pion, dont on se sert au besoin mais qu'on manipule à travers des séances de psychothérapie et d'analyse qui permettent de s'assurer de l'obéissance et de la docilité du bonhomme. Jusqu'à ce qu'il explose…
Ce nouveau titre qui débarque en ce mois de mars chez Delcourt est totalement explosif. L'action est présente dans chaque épisode, et par action il faut entendre la représentation décomplexée de scènes de massacre, qui vont de visages explosés en gros plan au moyen d'un bon coup de poing en pleine face, jusqu'au cheval écartelé à mains nues. Accrochez-vous car BRZRKR appuie sur l'accélérateur, du début à la fin, jonglant entre des scènes tirées d'un passé lointain, qui apportent les premières pierres à l'édifice de l'histoire intime du personnage, et le présent où il est exploité par ceux qui voient en lui une ressource un peu naïve, c'est-à-dire les Américains. Bien entendu, une des principales attractions de cet album réside dans la présence de Keanu Reeves à l'origine du projet; d'ailleurs, le personnage principal n'est pas sans rappeler un croisement entre John Wick et le Wolverine des débuts, celui qui ignorait un grand nombre de pans de son propre passé. Le scénario a été supervisé et étoffé par Matt Kindt, qui est un de ceux qui ne trahissent jamais. Le type possède une expérience à toute épreuve dans le domaine et sait apporter de la profondeur aux personnages qu'il dépeint. La fine équipe a ensuite été complétée par Ron Garney, dont la mise en page et le trait incisif rappellent très souvent ceux de Frank Miller. L'artiste a progressé de manière exponentielle depuis les années 1990 : de promesse certaine mais encore à affiner, il est devenu au fil du temps aussi versatile que brillant, comme nous l'avions constaté il n'y a pas si longtemps sur les pages de Conan. L'aventure est censée être proposée en trois albums chez Delcourt, mais des numéros spéciaux viennent d'être annoncés aux States, et il n'est pas dit que BRZRKR ne soit pas là pour s'installer dans une durée initialement plus modeste. Il convient de bien savoir quel type de produit on acquiert, avant de se lancer dans la première incursion de Keanu dans le monde des comic books. La violence explicite et le récit encore nimbé de secrets à dévoiler en font assurément un des incontournables du genre, dont la noirceur et le déroulement ne dépareilleraient pas sur grand écran, dans un bon blockbuster estival.
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