L'extraordinaire Olivia du défunt Ian Falconer

Par Lucie Cauwe @LucieCauwe

Olivia. (c) Seuil Jeunesse.


On a appris le décès, le 7 mars dernier, à l'âge de 63 ans, de l'auteur-illustrateur américain Ian Falconer, créateur de la célébrissime "Olivia", cette expressive petite truie toujours habillée de rouge. L'artiste était né le 25 août 1959 dans le Connecticut. Alors qu'il a créé trente couvertures pour le "New Yorker", qu'il a réalisé des costumes et des décors de théâtre, on le connaissait principalement du côté francophone pour sa délicieuse héroïne, spontanée et craquante.



"Olivia" nous est apparue à l'automne 2000 dans un album titré de son prénom, traduit et adapté en français par le Seuil Jeunesse. On a découvert avec un immense plaisir et dans de grands éclats de rire cette cochonnette surdouée, imprévisible, un brin excentrique, débordant d'idées, fatigante comme une vraie enfant. Avec ce premier album en français, Ian Falconeravait emporté le premier prix "Baobab de l'album", alors attribué par le journal "Le Monde" et le Salon du livre de jeunesse de Seine-Saint-Denis. 

Tout essayer avant de s'habiller. (c) Seuil Jeunesse.


"Olivia", le premier album jeunesse de Ian Falconer se caractérise par d'éblouissants croquis en noir et blanc relevés d'une pointe de rouge, régulièrement ponctués de collages de photos ou de tableaux célèbres. On découvre de cette manière l'héroïne dans son quotidien familial, Papa, Maman, le petit frère Ian, William suivra au tome suivant, un chat, un chien. Ses attitudes finement campées et ses expressions, oreilles, groin, yeux, bouche, la rendent terriblement expressive. Habillage du matin, plage, sieste, musée, applications pratiques, tout cela campe un délicieux portrait de l'enfance, en finesse, tendresse et malice.

Six des albums parus en français.


Six albums d'Olivia allaient suivre à bon rythme au début, toujours au Seuil Jeunesse qui traduit et adapte les textes en français, sans oublier les deux cartonnés "Olivia sait compter" (ressorti l'an dernier sous un nouveau titre) et "Olivia, les contraires" (2002). Neuf des dix titres américains d'"Olivia" auront donc été traduits en français (pas l'abécédaire).

Ce qui frappe dans cette série, c'est l'immense liberté tant du créateur que de l'héroïne. Tant dans son expression graphique que dans ses scénarios. On le sait, il s'est inspiré de sa nièce Olivia et de ses deux petits frères, Ian et William.

En témoigne sur Facebook lors de son décès son ami Jeffrey Whitty:

"Il me manque tellement. Sa famille m'a demandé d'écrire sa nécrologie, que je viens de terminer en consultation avec eux. C'est la version longue:

Ian Falconer: Peintre, Designer, Illustrateur et Auteur

25 août 1959 – 7 mars 2023

Ian Falconer, mieux connu comme illustrateur et auteur de la série de livres "Olivia" primée par la médaille Caldecott, est décédé de causes naturelles le mardi 7 mars à l'âge de 63 ans. Il était avec sa famille à Rowayton, Connecticut.

Né le 25 août 1959 à Ridgefield, Connecticut, d'Alexandra et Bruce Falconer, Ian était l'aîné de trois enfants, avant ses sœurs Tonia et Tory. Il a fréquenté la Long Ridge School à Stamford et la Cambridge School of Weston dans le Massachusetts. Il en écrit: "Les deux écoles étaient libérales, expérimentales et progressistes et m'ont permis de passer beaucoup de temps à me concentrer sur mes intérêts artistiques. Pour cela, je ne remercierai jamais assez mes parents." Après avoir étudié deux ans l'histoire de l'art à l'Université de New York, Ian s'est inscrit comme peintre à la Parsons School of Design; il a ensuite été transféré à l'Otis Art Institute de Los Angeles.

A Los Angeles, Ian a commencé à travailler avec l'artiste David Hockney, l'aidant à concevoir des costumes et des décors pour l'opéra. Leur relation s'est transformée en une amitié pour la vie et une collaboration artistique de plusieurs années. Sur ses expériences dans les opéras de Covent Garden, San Francisco et Los Angeles, entre autres, Ian a écrit: "C'est ici que j'ai appris l'art ancien et délicat de transformer une grande soprano dramatique, difficile, agressive et d'âge moyen en une princesse vierge de dix-huit ans."

Les scénographies de Ian se sont rapidement orientées vers le théâtre et le ballet, notamment "Scène de Ballet" de Stravinsky pour le New York City Ballet, "Firebird" pour le Boston Ballet et la production Off-Broadway de "The Santaland Diaries" de David Sedaris pour l'Atlantic Theatre Company.

Peu de temps après son retour à New York, Ian a illustré la couverture du 8 juillet 1996 du "New Yorker", lançant une longue et productive relation avec le magazine. L'humour subversif de Ian et son style d'illustration caractéristique ont illuminé trente couvertures du "New Yorker" au fil des ans.

En 1996, comme cadeau de Noël pour sa nièce de trois ans Olivia, Ian a créé un porcelet précoce et imaginatif nommé Olivia. L'accueil de sa famille et de ses amis l'encourage à travailler. "Quoi qu'il en soit, les dessins et le personnage se sont améliorés", écrivit plus tard Ian, "j'ai commencé alors à le développer vraiment sérieusement." Il a refusé les éditeurs qui voulaient que le texte soit écrit par quelqu'un d'autre. "Je crains que ma vanité ne me permette pas de me reléguer à "illustré par"."

Deux ans plus tard, Anne Schwartz de Simon and Schuster (une fan des couvertures du "New Yorker" de Ian l'a contacté pour créer un livre pour enfants; "Olivia" a rapidement été publiée en 2000. Elle est restée sur la liste des best-sellers du "New York Times" pendant plus d'un an, a reçu le Caldecott Honor et s'est finalement vendue à plus de dix millions d'exemplaires. Au cours des années suivantes, Ian a écrit et illustré sept suites appréciées et primées, dont la dernière était "Olivia l'espionne" en 2017. (...)"

"Olivia fait son cirque" (Seuil Jeunesse, 2001) est un titre à prendre au propre comme au figuré. La jeune héroïne, dont le caractère n'a rien perdu de sa force, est invitée à raconter ses vacances à sa classe. Elle se lance dans une incroyable causerie: le jour où elle est allée au cirque en famille, les artistes étaient malades. Devinez qui les a remplacés. Olivia bien entendu! Avec un aplomb aussi immense que son talent, elle explique comment elle a été successivement dompteuse de lions, femme tatouée, funambule, clown... Les images, joyeuses, pétillantes, charmantes, disent le reste! Pour un peu, on s'y croirait. Et c'est bien le but, non? 
  Un drame apparaît dans "Olivia et le jouet perdu" (Seuil Jeunesse, 2004). Pendant que sa maman lui coud un nouveau maillot pour le foot, son jouet préféré, une sorte de peluche toute usée, toute aimée, disparaît. Qui a pu faire ça? Dans des décors toujours riches de détails, Olivia mène l'enquête. Mais ce ne sont pas ses petits frères qui ont dérobé le doudou. L'explication, terrible, viendra pendant la nuit. Ce qui permettra à la cochonnette de se faire consoler par son papa tout en n'abandonnant pas son jouet chéri. Tout se passe dans les impeccables images.

Aller voir un feu d'artifice en famille, c'est bien, aller voir un feu d'artifice sans musique, c'est nul, décrète Olivia. "Olivia et sa fanfare" 2007 (traduit de l'anglais (américain) par Philippe Paringaux, Seuil Jeunesse, 2007) raconte en moult épisodes comment Olivia va organiser une fanfare, former finalement le groupe à elle toute seule faute de candidats et encore changer d'avis en cours de route. On note sa manière diplomate pour récupérer les instruments de musique des mains de son petit frère. Quelle imagination a cette petite dont le lit est d'album en album surmonté d'une photo différente. 
  Il faut toujours regarder les pages de garde dans les albums de Ian Falconer. Il s'y déroule déjà, la plupart du temps, une mini-aventure. En l'occurrence, la carbonisation de cookies. Cookies car "Olivia prépare Noël" (traduit de l'anglais (américain) par Marjorie Bourhis, Seuil Jeunesse, 2008). Olivia en rouge, Ian en vert et William en bleu attendent impatiemment le Père Noël. Alors, l'aînée s'occupe. Elle installe le sapin et ses guirlandes électriques, elle dresse la table avec un mini-sapin à guirlande électrique, elle interdit à son père de faire un feu dans la cheminée, elle prépare les confiseries pour l'homme en rouge... Peinant à s'endormir, elle finit par s'écrouler. Au réveil, elle file chercher ses frères et c'est ensemble qu'ils découvrent les cadeaux apportés. A noter aussi dans la série les jouissifs dialogues entre Olivia et ses parents.

Combien de livres le soir? (c) Seuil Jeunesse.

     "Olivia à Venise" (traduit de l'anglais par Sandra Lumbroso, Seuil Jeunesse, 2010) est l'album où l'auteur-illustrateur recourt le plus aux collages de photos et de tableaux afin de les intégrer dans ses illustrations. Ville d'eau, Venise emballe l'héroïne qui va la parcourir en famille de place en place, de canal en canal, tout en ponctuant chacune des étapes d'une glace! Un rythme infernal qui nous montre la famille dans divers lieux célèbres de la ville italienne jusqu'à la finale, totalement inattendue et réellement impressionnante.
  Crise d'identité peut-être chez Olivia dans "Olivia reine des princesses" (traduit de l'anglais (américain) par Yves Henriet, Seuil Jeunesse, 2012), mais déjà, il y a plus de dix ans, quelques lances contre les nunucheries des filles de l'école qui ne se voient qu'en rose et en princesses. Que ce soit au bal costumé ou à Halloween! C'en est trop pour la porcelette qui réserve quelques surprises à sa façon à ses condisciples. Mais si Olivia refuse avec la plus grande énergie d'être une princesse, il y a un statut couronné qui est loin de lui déplaire... Il y a six ans qu'est sorti le dernier titre de la série, "Olivia joue les espionnes" (traduit de l'anglais (américain) par Yves Henriet, Seuil Jeunesse, 2017), que je n'ai hélas pas vu. En voici la présentation par l'éditeur: "Olivia change de vie: elle qui a toujours été sur le devant de la scène, elle va désormais se fondre dans le paysage, en devenant une espionne. Mais à quel prix!"

Olivia faisant le portrait de son créateur.